Samedi soir

Le samedi soir, il n’y a plus aux fédérés que deux morceaux des XIe et XXe arrondissements. Les Versaillais campent place des Fêtes, rue Fessart, rue Pradier jusqu’à la rue Rebeval, où ils sont contenus ainsi qu’au boulevard. Le quadrilatère compris entre la rue du Faubourg-du-Temple, la rue Folie-Méricourt, la rue de la Roquette et les boulevards extérieurs, est en partie occupé par les fédérés. Douay et Clinchant attendent sur le boulevard Richard-Lenoir, que Vinoy et Ladmirault enlèvent les hauteurs et rabattent sur leurs fusils les derniers révoltés.

Il pleut à torrent. L’incendie de la Villette prête à ces ténèbres son aveuglante clarté. Les obus accablent toujours Belleville, arrivent même jusqu’à Bagnolet et blessent des soldats prussiens. Les blessés affluent à la mairie du XXe où il n’y a ni médecins, ni médicaments, ni matelas, ni couvertures ; les malheureux agonisent sans secours. Les Vengeurs de Flourens arrivent, capitaine en tête, un grand et beau gars qui, blessé, vacille sur son cheval. La cantinière, délirante, un mouchoir autour de son front saignant, jure et appelle ses hommes d’un hurlement de louve blessée. Entre les doigts irrités, les armes partent toutes seules. Le fracas des fourgons, les menaces, les lamentations, les fusillades, les sifflements d’obus, se mêlent en un sabbat à faire crouler la raison. Chaque minute apporte son désastre. Un garde accourt : « La barricade Pradier est abandonnée ! » Un autre : « Il faut des hommes rue Rebeval ! » Un autre : « Rue des Prés, on se sauve ! » Il n’y a pour entendre ces glas que six ou sept membres de la Commune, Trinquet, Ferré, Varlin, Ranvier, Jourde. Et, désespéré de leur impuissance, brisés par six jours sans repos, les plus forts s’affaissent dans la douleur.