Mort de Varlin

Varlin, hélas ! ne devait pas échapper. Le dimanche 28, place Cadet, il fut reconnu par un prêtre qui courut chercher un officier. Le lieutenant Sicre saisit Varlin, lui lia les mains derrière le dos et l’achemina vers les Buttes où se tenait le général de Laveaucoupet. Par les rues escarpées de Montmartre, ce Varlin, qui avait risqué sa vie pour sauver les otages de la rue Haxo, fut traîné une grande heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative qui n’avait jamais eu que des pensées fraternelles, devint un hachis de chairs, l’œil pendant hors de l’orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l’état-major, il ne marchait plus ; on le portait. On l’assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coups de crosse. Sicre vola sa montre et s’en fit une parure .

Le Mont des Martyrs n’en a pas de plus glorieux. Qu’il soit, lui aussi, enseveli dans le grand cœur de la classe ouvrière ! Toute la vie de Varlin est un exemple. Il s’était fait tout seul par l’acharnement de la volonté, donnant, le soir, à l’étude les maigres heures que laisse l’atelier, apprenant, non pour se pousser aux honneurs comme les Corbons, les Tolains, mais pour instruire et affranchir le peuple. Il fut le nerf des associations ouvrières de la fin de l’Empire. Infatigable, modeste, parlant très peu, toujours au moment juste et, alors éclairant d’un mot la discussion confuse, il avait conservé le sens révolutionnaire qui s’émousse souvent chez les ouvriers instruits. Un des premiers au 18 Mars, au labeur pendant toute la Commune, il fut aux barricades jusqu’au bout. Ce mort-là est tout aux ouvriers.

Les journalistes versaillais crachèrent sur son cadavre, dirent qu’on avait trouvé sur lui des centaines de mille francs, bien que le rapport officiel eût dit : « un portemonnaie contenant 284 fr. 15 ». Rentrés à Paris derrière l’armée, ils la suivaient comme des chacals et groinaient dans les morts. Oubliant que, dans les guerres civiles, il n’y a que les morts qui reviennent, tous ces Sarceys n’avaient qu’un article : Tue ! Ils publiaient les noms, les gîtes de ceux qu’il fallait fusiller, ne tarissaient pas d’inventions pour entretenir la fureur du bourgeois. Après chaque fusillade, ils criaient : Encore ! « Il faut faire la chasse aux communeux ». (Bien public.) – « Ces hommes qui ont tué pour tuer et pour voler, ils sont pris et on leur répondrait : Clémence ! Ces femmes hideuses qui fouillaient à coups de couteau la poitrine d’officiers agonisants, elles sont prises et on dirait : Clémence ! » (Patrie.) – « Qu’est-ce qu’un républicain ? Une bête féroce… Allons, honnêtes gens ! un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et internationale. » (Figaro.) – « Le règne des scélérats est fini. On ne saura jamais par quels raffinements de cruauté et de sauvagerie ils ont clos cette orgie du crime et de la barbarie… Deux mois de vol, de pillage, d’assassinats et d’incendie. » (Opinion Nationale.) – « Pas un des malfaiteurs dans la main desquels s’est trouvé Paris pendant deux mois ne sera considéré comme un homme politique : on les traitera comme des brigands qu’ils sont, comme les plus épouvantables monstres qui se soient vus dans l’histoire de l’humanité. Plusieurs journaux parlent de relever l’échafaud détruit par eux, afin de ne pas même leur faire l’honneur de les fusiller. » (Moniteur universel) – Un journal médical anglais demanda, le 27 mai, la vivisection des prisonniers.

Pour exciter les soldats, s’il en était besoin, la presse leur jeta des couronnes. « Quelle admirable attitude que celle de nos officiers et de nos soldats, disait le Figaro. Il n’est donné qu’au soldat français de se relever si vite et si bien. » – « Quel honneur ! s’écriait le Journal des Débats, notre armée a vengé ses désastres par une victoire inestimable. »

Ainsi l’armée se vengeait de ses désastres sur Paris. Paris était un ennemi comme la Prusse, et d’autant moins à ménager que l’armée avait son prestige à reconquérir. Pour compléter la similitude, après la victoire il y eut un triomphe. Les Romains ne le décernaient jamais après les luttes civiles. M. Thiers fit parader les troupes dans une grande revue, sous l’œil des Prussiens auxquels il jetait les cadavres de Parisiens comme une revanche.