Soldatesque en furie

Quoi d’étonnant qu’avec de pareils chefs, la fureur du soldat atteignît à une ivresse telle que la mort la soûlait encore ! Le dimanche 28, le long de la mairie du XIe où étaient adossés des cadavres, nous vîmes un fusilier marin dévider de sa baïonnette les boyaux qui coulaient du ventre d’une femme ; des soldats, sur la poitrine des fédérés, s’amusaient à mettre des écriteaux : Assassin, voleur, ivrogne, et, dans leur bouche, enfonçaient des goulots de bouteilles.

Comment expliquer ces raffinements de sauvagerie ? Le rapport officiel de Mac-Mahon n’accuse que 877 morts versaillais depuis le 3 avril jusqu’au 28 mai. La fureur versaillaise n’avait donc pas l’excuse des représailles. Quand une poignée d’exaspérés, pour venger des milliers de leurs frères, fusillent soixante-trois otages sur près de trois cents qu’ils ont entre les mains, la réaction se voile la face et proteste au nom de la justice. Que dira donc cette justice de ceux qui, méthodiquement, sans anxiété sur l’issue de la lutte, et surtout la lutte terminée, fusillèrent vingt mille personnes, dont les trois quarts au moins n’avaient pas combattu ? Encore, quelques éclairs d’humanité traversèrent les soldats et l’on en vit revenir des exécutions, tête basse. Les officiers bonapartistes ne mollirent pas dans leur férocité. Même après le dimanche, ils abattaient eux-mêmes des prisonniers ; le courage des victimes, ils l’appelaient « insolence, résolution d’en finir avec la vie plutôt que de vivre en travaillant. » L’inassouvissable cruel, c’est Prudhomme.