Le compte des morts

Les massacres en masse durèrent jusqu’aux premiers jours de juin et les exécutions sommaires jusqu’au milieu de ce mois. Longtemps, des drames mystérieux visitèrent le bois de Boulogne . On ne connaîtra pas le nombre exact des victimes de la semaine sanglante. Le chef de la justice militaire avoua dix-sept mille fusillés. Le conseil municipal de Paris paya l’inhumation de dix-sept mille cadavres ; mais un grand nombre de personnes furent tuées ou incinérées hors Paris ; il n’est pas exagéré de dire vingt mille, chiffre admis par les officiers.

Bien des champs de bataille ont compté plus de morts. Ceux-là du moins étaient tombés dans la fureur de la lutte. Le XIXe siècle n’a point vu un tel égorgement après le combat. Il n’y a rien de pareil dans l’histoire de nos guerres civiles. La Saint-Barthélemy, Juin 48, le 2 Décembre, formeraient tout au plus un épisode des massacres de Mai. Les hécatombes asiatiques peuvent seules donner une idée de cette boucherie de prolétaires.

Telle fut la répression « par les lois, avec les lois ».

Toutes les puissances sociales applaudirent M. Thiers entreprenant de soulever le monde contre ce peuple qui, après deux mois de règne souverain et le massacre de milliers des siens, avait sacrifié 63 otages. Le 28 mai, les prêtres, ces grands consécrateurs d’assassinats, célébrèrent un service solennel devant l’Assemblée tout entière. Cinq jours auparavant, les évêques, conduits par le cardinal de Bonnechose, avaient demandé à M. Thiers de rétablir le pape dans ses États. Le Gesu s’avançait maître de la victoire et, sur le fier écusson de Paris, effaçant la nef d’espérance, plaquait le sanglant Sacré-Cœur.