Les captifs à Versailles

À l’entrée de Versailles, la foule les attendait, toujours l’élite de la société française, députés, fonctionnaires, prêtres, femmes de tous les mondes. Les fureurs du 4 avril et des convois précédents furent autant dépassées que la mer se surpasse aux marées d’équinoxe. Les avenues de Paris et de Saint-Cloud étaient bordées de ces Caraïbes qui enveloppaient les convois de vociférations, de coups, les couvraient d’ordures, de tessons de bouteilles. « L’on voit, disait le Siècle du 30 mai, des femmes, non pas des filles publiques, mars des femmes du monde insulter les prisonniers sur leur passage et même les frapper avec leurs ombrelles ». Quelques-unes, de leurs mains gantées, ramassaient la poussière et la jetaient à la face des captifs. Malheur à qui laissait échapper un geste de pitié ! Il était jeté dans le convoi, trop heureux de n’être conduit qu’au poste, comme M. Ratisbonne qui venait d’écrire dans les Débats : « Quelle victoire inestimable ! » Effroyable rétrogradation de la nature humaine, d’autant plus hideuse qu’elle contrastait avec l’élégance du costume. Des officiers prussiens vinrent de Saint-Denis voir une fois de plus quelles classes gouvernantes ils avaient eues devant eux.

Les premiers convois furent promenés en spectacle dans les rues de Versailles. D’autres stationnèrent des heures sur la place d’Armes, torride, à deux pas des grands arbres dont on leur refusait l’ombrage, tant accablés d’ignominies que les malheureux rêvèrent après le refuge des dépôts.

Il y en avait quatre : les caves des Grandes-Écuries, l’orangerie du Château, les docks de Satory, les manèges de l’école de Saint-Cyr. Dans les caves humides, nauséabondes, où la lumière et l’air ne pénétraient que par quelques soupiraux étroits, les captifs furent entassés, sans paille dans les premiers jours. Quand ils en eurent, elle fut bien vite réduite en fumier. Pas d’eau pour se laver : nul moyen de changer ses guenilles ; les parents qui apportaient du linge étaient brutalement renvoyés. Deux fois par jour, dans une auge, un liquide jaunâtre : la pâtée. Les gendarmes vendaient du tabac à des prix exorbitants et le confisquaient pour le revendre. Pas de médecin. La gangrène rongea les blessés ; des ophtalmies se déclarèrent. Le délire devint chronique. La nuit mêlait les plaintes, les gémissements aigus aux hurlements des fous. En face, les gendarmes, fusils chargés, plus durs que jamais, n’ayant jamais vu, disaient-ils de bandits pareils à ces Parisiens.

Ces ténèbres avaient encore leurs ténèbres, la Fosse-aux-lions, caveau sans air, noire antichambre de la tombe, sous le grand escalier rose de la Terrasse. On y jetait quiconque était noté dangereux ou seulement avait déplu au brigadier. Au moindre bruit, le capitaine commandant les faisait bâtonner, à moins qu’il ne les bâtonnât lui-même. Les plus robustes n’y résistaient que quelques jours. Au sortir, la tête vide, aveuglés par le grand jour, ils trébuchaient. Heureux quand ils rencontraient le regard d’une épouse. Contre les grilles de l’Orangerie, des femmes se pressaient, essayant de retrouver quelqu’un dans ce troupeau vaguement entrevu. Elles suppliaient les gendarmes qui les repoussaient, les appelaient de noms infâmes.