Les dénonciations et les arrestations reprirent plus fort. On mit la main sur Jourde, Rossel, Ferré, Paschal Grousset que la foule voulut écharper, sur Courbet dont Dumas fils célébra ainsi la prise : « De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée cette chose qu’on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant ? » Le maigre torche-cul des bourgeois eût trouvé très naturel qu’on anéantît l’œuvre de Courbet. Le conseil municipal d’Ornans, sa ville natale, partageant cet avis, mit à bas une de ses œuvres qui ornait la fontaine publique.
La presse illustrée qui parle plus vivement à l’imagination ne manqua pas de donner aux fédérés et à leurs femmes des attitudes et des physionomies abjectes.
Il y eut, pour l’honneur français, quelques traits de cœur et même d’héroïsme dans cette éruption de lâcheté. Vermorel fut recueilli par la femme d’un concierge qui parvint, quelques heures, à le faire passer pour son fils . La mère d’un soldat versaillais donna l’asile à plusieurs membres de la Commune. Un grand nombre d’insurgés en renom furent sauvés par des inconnus. Il y allait cependant de la mort pendant les premières heures, ensuite de la déportation pour ceux qui abritaient les vaincus.
La moyenne des arrestations se maintint, en juin et juillet, à cent par jour. À Belleville, Ménilmontant, dans le XIIIe, certaines rues n’avaient plus que les vieilles femmes. Les Versaillais, dans leurs états menteurs, ont avoué 38 568 prisonniers parmi lesquels 1 658 femmes et 651 enfants, dont 47 de treize ans, 21 de douze, 4 de dix et un de sept , comme s’ils avaient, par un moyen quelconque, compté les foules qu’ils nourrissaient à la pelle. Le nombre des personnes arrêtées atteignit très probablement cinquante mille.
Les méprises furent innombrables. Des femmes du beau monde qui allaient, les narines dilatées, contempler les cadavres de fédérés furent englobées dans des razzias et emmenées à Satory où, les vêtements en lambeaux, rongées de vermine, elles figurèrent très convenablement les pétroleuses imaginées par leurs journaux .
Des milliers de personnes durent se cacher en France ou à l’étranger pour fuir les poursuites ou les dénonciations. On calcule les pertes d’ensemble par ce fait qu’aux élections complémentaires de juillet il y eut cent mille électeurs de moins qu’à celles de février. Le Journal des Débats estimait que « les pertes faites par le parti de l’insurrection, tant en tués qu’en prisonniers, atteignaient le chiffre de cent mille individus. »
L’industrie parisienne en fut écrasée . Ses chefs d’atelier, contremaîtres, ajusteurs, ouvriers-artistes qui donnent à sa fabrication sa valeur spéciale, périrent, furent arrêtés ou émigrèrent. La cordonnerie perdit la moitié de ses ouvriers, l’ébénisterie plus d’un tiers ; dix mille ouvriers tailleurs, la plupart des peintres, couvreurs, plombiers, zingueurs disparurent ; la ganterie, la mercerie, la corsetterie, la chapellerie subirent les mêmes désastres ; d’habiles bijoutiers, ciseleurs, peintres sur porcelaine s’enfuirent. L’ameublement, qui occupait auparavant plus de soixante mille ouvriers, refusa, faute de bras, des commandes. Un grand nombre de patrons ayant réclamé à Versailles le personnel de leurs ateliers, les Mummius de l’état de siège répondirent qu’on enverrait des soldats pour remplacer les ouvriers.
La sauvagerie des recherches, le nombre des arrestations s’ajoutant au désespoir de la défaite tirèrent de cette ville saignée à blanc quelques suprêmes convulsions. Des soldats, des officiers tombèrent frappés par des mains invisibles ; près de la caserne de la Pépinière, on tira sur un général. Les journaux versaillais s’étonnaient avec une impudence naïve que la fureur populaire ne fût pas calmée et ne comprenaient pas « quelles raisons même futiles de haine on pouvait avoir contre des troupiers qui avaient bien l’air le plus inoffensif du monde ».