On aura idée des tortures des pontons et des forts, loin de la surveillance de l’opinion publique, par celles qui s’étalaient, sous l’œil du Gouvernement et de l’Assemblée, à Versailles où l’on avouait 8 472 détenus. Le colonel Gaillard, chef de la justice militaire, avait dit aux soldats qui gardaient la prison des Chantiers : « Dès que vous en verrez qui s’agitent, qui lèvent les bras, tirez, c’est moi qui vous l’ordonne. »
Au grenier d’abondance de la gare de l’Ouest, il y avait 800 femmes. Des semaines, ces malheureuses couchèrent sur la paille, ne purent changer de linge. Au moindre bruit, les gardes se précipitaient sur elles et les frappaient, de préférence aux seins. Charles Mercereau, ancien cent-garde, gouvernait cette sentine, faisait attacher celles qui lui déplaisaient, les battait avec sa canne, promenait dans son domaine les belles dames de Versailles, friandes de pétroleuses, disait devant elles à ses victimes : « Allons, drôlesses, baissez les yeux. » Et c’était bien le moins que nos fédérées dussent à ces honnêtes personnes.
Des filles publiques enlevées dans les razzias et soigneusement conservées pour espionner les autres prisonnières, s’abandonnaient aux gardiens en pleine chambrée. Les protestations des femmes de la Commune furent punies de coups de corde. Par un raffinement, les Versaillais courbèrent ces vaillantes sous le niveau des autres ; toutes les prisonnières furent soumises à la visite.
La dignité, la nature outragées, se vengèrent par des crises terribles. « Où est mon père ? mon mari ? Quoi ! seule, et tous ces lâches contre moi ! Moi, la mère, la femme laborieuse, sous le fouet, l’injure, et souillée de ces mains immondes ! » Plusieurs devinrent folles. Toutes eurent leur heure de folie. Celles qui étaient enceintes avortèrent ou rendirent des mort-nés.
Les prêtres ne manquèrent pas plus aux prisons qu’aux mitraillades. L’aumônier de Richemont disait aux prisonnières : « Je sais bien que je suis ici dans une forêt de Bondy, mais mon devoir, etc. » Le jour de la Sainte-Madeleine, l’évêque d’Alger, faisant une délicate allusion à la sainte, leur dit « qu’elles étaient toutes des Madeleines, mais non repenties, que Madeleine n’avait ni pétrolé ni assassiné », et autres aménités évangéliques. À Toulon, un aumônier mettait le poing sous le nez des communaux.
Les enfants furent enfermés dans un quartier de la prison des femmes, et aussi brutalement traités. Le secrétaire de Mercereau ouvrit d’un coup de pied le ventre d’un petit. Le fils de Ranvier, âgé de douze ans, fut cruellement battu pour avoir refusé de livrer la retraite de son père.
Cette férocité continue eut raison des constitutions les plus robustes. Il y eut de suite deux mille malades dans les hôpitaux et les pontons. Les rapports officiels avouèrent 1 179 morts sur 33 665 prisonniers civils. Ce chiffre est manifestement au-dessous de la vérité. Dans les premiers jours, à Versailles, un certain nombre d’individus furent tués et d’autres moururent sans qu’on les comptât. Il n’y eut pas de statistique avant les pontons. Il n’est point exagéré de dire que deux mille prisonniers laissèrent la vie entre les mains des Versaillais. Un plus grand nombre périrent, par la suite, d’anémie ou de maladies prises dans leur captivité.
Ces malheureux pontonniers, prisonniers des forts et des maisons de détention, macérèrent plusieurs mois dans la vermine avant d’obtenir un simple triage. Le Moloch versaillais tenait plus de victimes qu’il n’en pouvait digérer. En juin, il en dégorgea 1 090, réclamées par les réactionnaires. Mais comment instruire le procès de 36 000 prisonniers ? Car M. Thiers avait imaginé de remplacer la transportation en masse qui avait tant fait crier en 48 par des procès en forme ; seulement il donnait aux fédérés pour juges les mêmes soldats qui les avaient vaincus. En 1832, le barreau avait protesté contre la prétention du Gouvernement de faire juger les insurgés par des militaires ; cela parut tout naturel au barreau de 71 où l’on avait à faire à des « monstres
Ces prétendus parquets n’avaient interrogé que trois mille détenus à la fin de juillet et l’Assemblée s’impatientait M. Thiers avait sous la main plusieurs membres de la Commune ; il organisa pour les ruraux une grande représentation judiciaire.