Le 2 septembre, le conseil fit semblant de délibérer. À neuf heures du soir, Merlin lut le jugement. Ferré et Lullier étaient condamnés à mort ; Trinquet et Urbain aux travaux forcés à perpétuité ; Assi, Billioray, Champy, Régère, Paschal Grousset, Verdure, Ferrat à la déportation dans une enceinte fortifiée ; Rastoul et Jourde à la déportation simple ; Courbet à six mois, Victor Clément à trois mois d’emprisonnement. Descamps et Ulysse Parent étaient acquittés. Courbet eut en outre à sa charge les frais de reconstruction de la colonne Vendôme dont il n’avait pas voté la démolition. L’auditoire se retira très désappointé de n’avoir obtenu que deux condamnés à mort, dont l’un, Lullier, ne l’était que pour la forme.
En somme, cette représentation judiciaire n’avait rien prouvé. Pouvait-on juger la révolution du 18 mars par des personnalités secondaires, et Delescluze, Varlin, Vermorel, Malon, Tridon, Moreau, bien d’autres, par ce qu’avaient paru Lullier, Decamps, Victor Clément ou Billioray ? Et quand même l’attitude de Trinquet, de Ferré, de Jourde n’eût pas témoigné qu’il s’était trouvé des hommes et des intelligences dans le Conseil de la Commune, que prouvaient les défaillances, sinon que ce mouvement était l’œuvre de tous, non de quelques génies, que la révolution se trouvait dans la Commune-peuple et non dans la Commune-gouvernement ?
La bourgeoisie, au contraire, avait épanoui sa pleine lâcheté. Certains témoins s’étaient manifestement parjurés. Pendant les débats, dans les couloirs, dans les cafés, les drôles qui avaient essayé de duper la Commune, s’attribuaient effrontément le succès de l’armée. Le Figaro, ayant ouvert une souscription pour Ducatel, racola cent mille francs et une décoration. Alléchés par ce succès, les plus minces conspirateurs réclamèrent monnaie et croix. Les partisans de Beaufond-Lasnier, ceux de Charpentier-Domalain se prirent aux cheveux, jurant qu’ils avaient bien mieux travaillé que leurs rivaux, publiant leurs hauts faits, citant des noms qui font le jour sur leur histoire.
Pendant qu’on vengeait la société à Versailles, la cour d’assises de Paris vengeait l’honneur de Jules Favre. Aussitôt après la Commune, le ministre des Affaires étrangères avait fait arrêter son ancien ami Laluyé, qui avait communiqué à Millière les pièces publiées par le Vengeur. L’honnête ministre, n’ayant pu réussir à faire fusiller Laluyé comme communard, le traduisait comme diffamateur devant la cour d’assises où l’ancien membre de la Défense nationale, l’ancien ministre des Affaires étrangères, le député de Paris, avoua publiquement avoir commis des faux. Il plaida que c’était pour assurer une fortune à ses enfants. À ce touchant aveu, les pères de famille du jury s’attendrirent et Laluyé, condamné à un an de prison, quelques mois après s’éteignait à Sainte-Pélagie. Jules Favre avait une terrible chance. En moins de six mois, la fusillade et le cachot l’avaient délivré de deux redoutables ennemis .