Le procès des « pétroleuses »

Tandis que le 3e Conseil de guerre se querellait avec les avocats, le 4e bâclait sans phrases la besogne. Le 16 août, à peine ouvert, il avait déjà prononcé deux condamnations à mort. Si l’un avait Jeffries, l’autre avait Trestaillons, le colonel Boisdenemetz, sanglier rouge, bel esprit à ses heures et correspondant du Figaro. Le 4 septembre, on lui amena des femmes accusées d’avoir incendié la Légion d’honneur. Ce fut le procès des pétroleuses. Les huit mille furies embrigadées qu’avaient annoncées les journaux de l’ordre, se réduisaient à cinq. Les débats prouvèrent que ces prétendues pétroleuses n’étaient que des ambulancières d’un admirable cœur. La citoyenne Rétiffe dit : « J’aurais ramassé aussi bien un soldat de Versailles qu’un garde national. » – « Pourquoi, demande-t-on à une autre, êtes-vous restée quand le bataillon se sauvait ? – Nous avions des blessés et des mourants », répond-elle simplement. Les témoins à charge déclarèrent qu’ils n’avaient vu aucune des accusées allumer aucun incendie ; mais leur sort était réglé d’avance. Entre deux audiences, Boisdenemetz criait dans un café : « À mort, toutes ces gueuses ! »

Trois avocats sur cinq avaient déserté la barre. « Où sont-ils ? » dit Boisdenemetz. « Ils ont demandé à s’absenter pour aller à la campagne », répondit le commissaire. Le conseil chargea des soldats de défendre les accusées. Le maréchal des logis Bordelais fit ce beau plaidoyer : « Je m’en rapporte à la sagesse du tribunal. »

Sa cliente, Suétens, fut condamnée à mort, ainsi que Rétiffe et Marchais, « pour avoir tenté de changer la forme du gouvernement » – on n’osa pas viser le fait de pétrole ; – les deux autres à la déportation et à la réclusion. L’une des condamnées cria au greffier qui lisait la sentence : « Et mon enfant, qui le nourrira ! »

– Ton enfant, le voici.

Quelques jours après, devant ce Boisdenemetz, comparaissent quinze enfants de Paris. Le plus âgé a seize ans ; le plus jeune, si petit qu’il dépasse à peine la balustrade des accusés, en a onze. Ils portent une blouse bleue et un képi militaire.

« Druet, dit le soldat, que faisait votre père – Il était mécanicien. – Pourquoi n’avez-vous pas travaillé comme lui ? – Parce qu’il n’y avait pas de travail pour moi. »

« Bouverat, pourquoi êtes-vous entré dans les pupilles de la Commune ? – Pour avoir à manger. – Vous avez été arrêté pour vagabondage ? – Oui, deux fois : la deuxième fois, c’était pour avoir volé des chaussettes. »

« Cagnoncle, vous étiez enfant de la Commune ? – Oui, monsieur. – Pourquoi aviez-vous quitté votre famille ? – Parce qu’il n’y avait pas de pain. – Avez-vous tiré beaucoup de coups de fusil ? – Une cinquantaine… »

« Lescot, pourquoi avez-vous quitté votre mère ? – Parce qu’elle ne pouvait pas me nourrir. – Combien étiez-vous d’enfants ? – Trois. – Vous avez été blessé ? – Oui, par une balle à la tête. »

« Lamarre, vous aussi, vous avez quitté votre famille ? – Oui, monsieur, c’est la faim. – Et où avez-vous été alors ? – À la caserne pour m’enrôler. »

« Leberg, vous avez été chez un patron et on vous a surpris prenant la caisse. Combien avez-vous pris ? – Dix sous. – Cet argent me vous brûlait pas les mains ? »

Et vous, homme aux mains rouges, ces paroles ne vous brûlaient pas les lèvres ? Sinistres sots qui ne compreniez pas que, devant ces enfants jetés dans la rue, sans instruction, sans espoir, par la nécessité que vous leur aviez faite, le coupable c’était vous, ministère public d’une société où des êtres de douze ans, capables, avides de travail, étaient forcés de voler pour avoir une paire de chaussettes et n’avaient pas d’autre alternative que de tomber sous les balles ou de tomber sous la faim.