Pendant douze semaines, la mort resta suspendue sur les condamnés. Le 28 novembre, à six heures du matin, on leur dit qu’il fallait mourir. Ferré sauta hors de son lit sans montrer d’émotion, déclina la visite de l’aumônier, écrivit à la justice militaire pour demander l’élargissement des siens, et à sa sœur pour qu’elle enterrât son cadavre de manière que ses amis pussent le retrouver. Rossel, assez surpris d’abord, s’entretint avec un pasteur, écrivit pour demander qu’on ne vengeât point sa mort, précaution très inutile, et rédigea un testament mystique. Ils avaient pour camarade de mort un sergent du 45e de ligne – le régiment des quatre sergents de La Rochelle, – Bourgeois, passé à la Commune et qui montrait le même calme que Ferré. Rossel fut révolté quand on lui mit les menottes. Ferré et Bourgeois dédaignèrent de protester.
Le jour pointait à peine ; il faisait un froid noir. Devant la butte de Satory, cinq mille hommes sous les armes encadraient trois poteaux blancs gardés chacun par un peloton de douze exécuteurs. Le colonel Merlin commandait, réunissant les trois caractères de vainqueur, de juge et de bourreau. Quelques curieux, officiers et journalistes, composaient le public.
À sept heures, les fourgons des condamnés arrivèrent ; les tambours battirent aux champs, les clairons sonnèrent. Les condamnés descendirent escortés de gendarmes. Rossel salua les officiers. Bourgeois, regardant ces apprêts d’un air indifférent, alla s’adosser au poteau du milieu. Ferré vint le dernier, vêtu de noir, le binocle à l’œil, le cigare aux lèvres. D’un pas ferme, il marcha au troisième poteau.
Rossel, assisté de son avocat et de son pasteur, fit demander à commander le feu. Merlin refusa. Rossel voulut lui serrer la main pour rendre hommage à la sentence. Même refus. Pendant ces allées et venues, Ferré et Bourgeois se tenaient immobiles et silencieux. Pour terminer les épanchements de Rossel, un officier lui dit qu’il prolongeait le supplice des deux autres. Il admit qu’on lui bandât les yeux. Ferré jeta le bandeau, repoussa le prêtre qui venait à lui et, ajustant son binocle, il regarda bien en face les soldats.
Le jugement lu, les adjudants abaissèrent leur sabre. Rossel et Bourgeois tombèrent en arrière. Ferré resta debout, touché au flanc. On le tira encore, il s’affaissa. Un soldat lui colla le chassepot à l’oreille et fit jaillir la cervelle, même coup de grâce à Bourgeois. On l’épargna à Rossel.
Au geste de Merlin, les fanfares éclatèrent et, suivant la coutume des sauvages, la troupe défila en triomphe devant les cadavres. Quel cri d’horreur la bourgeoisie eût poussé, si, devant les otages exécutés, les fédérés eussent paradé musique en tête !
Les corps de Rossel et de Ferré furent réclamés par leur famille ; celui de Bourgeois disparut dans la fosse commune du cimetière Saint-Louis. La presse libérale réserva ses larmes pour Rossel. De courageux journaux, en province, honorèrent toutes les victimes et dénoncèrent à l’exécration de la France la commission des grâces, « la commission des assassins », dit à l’Assemblée un député. Traduits devant le jury, ces journaux furent acquittés.