Autre tableau de chasse

La commission des grâces attendait, chassepot en main, la proie que lui levaient les conseils de guerre. Le 22 février 72, elle fusilla trois des prétendus meurtriers de Clément Thomas et de Lecomte, ceux-là même dont l’innocence était le mieux ressortie des débats : Herpin-Lacroix, Lagrange et Verdaguer. Debout, aux poteaux de Ferré, ils crièrent : « Vive la Commune ! » et moururent la face rayonnante. Le 19 mars, Préau de Vedel fut exécuté. Le 30 avril, ce fut le tour de Genton. Ses blessures des barricades s’étaient rouvertes et il se traîna vers la butte, sur ses béquilles. Arrivé au poteau, il les jeta en l’air, cria : « Vive la Commune ! » Le 25 mai, les trois poteaux se garnirent encore avec Serizier, Boin et Boudin, condamnés pour avoir supprimé un Versaillais qui se battait contre la construction de barricades dans la rue Richelieu. Ils dirent aux soldats du peloton : « Nous sommes enfants du peuple et vous l’êtes aussi. Nous allons vous montrer comment savent mourir les enfants du peuple. » Eux aussi moururent en criant : « Vive la Commune ! »

Ces hommes qui s’adossaient si courageusement à la tombe, qui, du geste, défiaient les fusils et criaient en mourant que leur cause ne mourrait pas, ces voix vibrantes, ces regards fiers, troublaient profondément les soldats. Les fusils tremblaient et, presque à bout portant, ils tuaient rarement du coup. À l’exécution qui suivit, le 6 juillet 72, le commandant Colin ordonna de bander les yeux des patients. Ils étaient deux : Baudouin, accusé d’avoir incendié l’église Saint-Éloi et tué un individu disputant une barricade, Rouilhac, qui avait fusillé un bourgeois qui canardait les fédérés. Tous les deux repoussèrent les sergents qui venaient leur bander les yeux. Le commandant Colin donna l’ordre de les lier au poteau. Trois fois Baudouin brisa les cordes ; Rouilhac lutta en désespéré. Le prêtre qui appuyait les soldats reçut des coups dans la poitrine. On finit par les terrasser. « Nous mourons pour la bonne cause ! » crièrent-ils. Après le défilé, un officier psychologue, remuant du bout de sa botte les cervelles qui coulaient, disait à un collègue : « C’est avec cela qu’ils pensaient ».

En juin 72, toutes les causes célèbres étant épuisées, le parquet militaire vengea la mort d’un officier de fédérés, le capitaine de Beaufort. Il n’y a qu’une explication à ce fait étrange, c’est que de Beaufort appartenait aux Versaillais, chose vraisemblable . Trois accusés sur quatre étaient présents : Deschamps, Denivelle et Lachaise, la célèbre cantinière du 66e. Elle avait suivi de Beaufort devant le conseil tenu au boulevard Voltaire et, ses explications entendues, s’était efforcée de le protéger. L’accusation n’en faisait pas moins l’instigatrice de sa mort. Sur la déposition écrite d’un témoin qu’on ne put retrouver et qui ne fut jamais confronté avec elle, le rapporteur accusa Lachaise d’avoir profané le cadavre de de Beaufort. À cette ignoble parole, la vaillante femme fondit en larmes. Elle fut condamnée à mort, ainsi que Denivelle et Deschamps.

L’imagination malpropre de certains soldats de mœurs changarniennes s’ingéniait à salir les accusés. Le colonel Dulac, jugeant un ami intime de Rigault, prétendit que leurs relations avaient eu un caractère infâme. L’accusé eut beau offrir tous les démentis, le misérable officier persista.

La presse bourgeoise, sans trêve, sans lassitude, accompagnait tous les procès du même chœur d’imprécations et des mêmes souillures. Quelques voix ayant protesté contre des exécutions si longtemps après la bataille, un de ces Sarceys écrivit : « Le couteau devrait être rivé dans la main du bourreau. »