La haute et basse pègre littéraire avaient trouvé dans la Commune un filon fort lucratif et l’entretenait savamment. Pas de goujat de lettres qui ne baclât sa brochure, son livre, son histoire ; pas de si mince prisonnier qui n’écrivit ses lamentations. Il y eut des tas de Paris brûlé, Paris en flammes, Livre rouge, Livre noir, Mémoires d’otages, Carnaval rouge, Histoires du 18 Mars, de la Commune, des Huit journées ; les romanciers du bagne, les Pierre Zaccone, les Montépin brossèrent des Mystères de l’Internationale en livraisons illustrées ; les éditeurs ne voulaient que du communard ; telle fut la demande, que les Belges s’y mirent. Ces écritures, souvent obscènes, titillaient les cervelles bourgeoises. Pour les âmes délicates, le délicat Dumas fils étudiait la « zoologie de ces révolutionnaires » dont « les femelles ressemblent à des femmes quand elles sont mortes » ; des poètes, Paul de Saint-Victor, Théophile Gautier, Alphonse Daudet ; des écrivains plus ou moins illustres, About, Sardou, Claretie, Mendès, Ernest Daudet, etc., polissaient de savoureuses épithètes pour décrire ces « barbares » dont les cadavres puaient si fort. Aux gens très graves de la Revue des Deux-Mondes, MM. de Pressensé, Beaussire, Lavallée narraient des histoires philosophiques de l’autre monde. Tous, dédaigneux du peuple, ignorants des évolutions récentes, impuissants à saisir les causes multiples, ramenaient le 18 Mars, le Comité Central, la Commune à un dénominateur commun : l’Internationale. Elle comptait huit cent mille adhérents, d’après M. Daru, président de cette Enquête parlementaire ordonnée par l’Assemblée et devant laquelle les Versaillais seuls déposèrent, n’acceptant ni témoins, ni débats contradictoires. Les journaux publiaient par tranches ces dépositions sanieuses et l’on vit quels enfants, en matière de calomnies et de sottises, étaient les Quentin-Bauchard de 48 auprès des ruffians bourgeois de 71.
Ainsi fouettés de haine, les conseils de guerre, la commission des grâces poussaient toujours. La commission n’avait tué jusqu’alors que trois hommes à la fois ; le 24 juillet 72, elle en abattit quatre : François, le directeur de la Roquette ; Aubry, Dalivous, de Saint-Omer, condamnés pour l’affaire de la rue Haxo. De Saint-Omer était plus que suspect, et, dans la prison, tenu à l’écart par ses camarades. Devant les fusils, ils crièrent : « Vive la Commune ! » Lui répondit : « À bas ! »
Le 18 septembre, Lolive, accusé d’avoir participé à l’exécution de l’archevêque, Denivelle et Deschamps furent exécutés. Ces deux derniers crièrent : « Vive la République universelle et sociale ! À bas les lâches ! » Le 22 janvier 73, dix-neuf mois après la bataille des rues, la commission des grâces ficela trois nouvelles victimes à ses poteaux : Philippe, membre de la Commune, coupable d’avoir défendu énergiquement Bercy ; Benot, qui incendia les Tuileries ; Decamps, condamné pour l’incendie de la rue de Lille, quoique on n’eût pu produire de témoignage. « Je meurs innocent ! » cria-t-il. « À bas Thiers ! » Philippe et Benot : « Vive la République sociale ! vive la Commune ! » Ils tombèrent n’ayant pas démenti le courage des soldats du 18 Mars.
Ce fut la dernière exécution à Satory. Vingt-cinq victimes avaient rougi les poteaux de la commission des grâces. En 75, elle fit fusiller à Vincennes un jeune soldat accusé de la mort du mouchard Vizentini, jeté à la Seine par des centaines de mains, lors des manifestations de la Bastille. Les journaux réactionnaires avaient dit qu’il fut lié à une planche ; rien dans les débats ne vint justifier l’ombre de cette invention.