La répression en province

Les mouvements de province furent jugés par les conseils de guerre ou les cours d’assises, selon que les départements étaient ou non en état de siège. Partout, on avait attendu l’issue de la lutte parisienne. Après la victoire de Versailles, la réaction reprit sa course. Le conseil de guerre d’Espivent ouvrit la marche de tous les procès. Il eut son Gaveau, le commandant Villeneuve, l’un des fusilleurs du 4 avril, son Merlin, son Boisdenemetz, les colonels Thomassin et Donnat. Le 12 juin, avec Gaston Crémieux et tous ceux qu’on put rattacher au mouvement du 23 Mars, Étienne, Pélissier, Roux, Bouchet, etc., parurent devant les soldats. La bêtise prétentieuse de Villeneuve servit de type aux réquisitoires militaires dont la France fut inondée. Comme Crémieux, Étienne, Pélissier, Roux furent condamnés à mort. Ce n’était pas assez pour la réaction jésuitico-bourgeoise. Espivent fit déclarer par la cour de cassation que les Bouches-du-Rhône étaient en état de siège depuis le 9 août 70, en vertu d’un décret de l’impératrice-régente, lequel n’avait été ni publié au Bulletin des lois, ni sanctionné par le Sénat, ni promulgué. Muni de cette arme, il poursuivit tous ceux que marqua le doigt de la congrégation et qui s’étaient montrés contre l’Empire. Le conseiller municipal David Bosc, ex-délégué à la commission, armateur plusieurs fois millionnaire, accusé d’avoir volé à un agent de police une montre en argent, ne fut acquitté qu’à la majorité de faveur. Le lendemain, le colonel-président fut remplacé par le lieutenant-colonel du 4e chasseurs Donnat, à moitié fou d’absinthe. Un ouvrier âgé de soixante-quinze ans fut condamné à dix ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de ses droits civils et politiques, pour avoir, le 4 Septembre, arrêté une demi-heure l’agent de police qui l’avait envoyé à Cayenne en 52. Une vieille folle, pourvoyeuse des jésuites, arrêtée un moment au 4 Septembre, accusa de son arrestation l’ancien commandant des civiques. Son accusation était contredite par elle-même, battue en brèche par des alibis et des preuves sans nombre. L’ex-commandant fut condamné à cinq ans de prison et dix années d’interdiction. Un des juges-soldats, sortant de commettre son crime, disait : « Il faut avoir de bien profondes convictions politiques pour condamner dans de pareilles affaires. » Avec de tels collaborateurs, Espivent put satisfaire toutes ses haines. Il demanda au parquet de Versailles de lui céder le membre de la Commune Amouroux, délégué un moment à Marseille. « Je le poursuis, écrivit Espivent, pour embauchage, crime puni de la peine de mort, et je suis persuadé que cette peine lui sera appliquée. »

Le conseil de guerre de Lyon ne fut pas trop au-dessous. Il poursuivit quarante-quatre personnes pour l’affaire du 22 Mars et il en condamna trente-deux à des peines variant de la déportation à la prison. L’insurrection du 30 Avril fournit soixante-dix accusés pris au hasard à Lyon, comme on faisait à Versailles. Le maire de la Guillotière, Crestin, appelé en témoignage, ne reconnut aucun de ceux qu’il avait vus, ce jour-là, dans sa mairie. – Présidents des conseils : les colonels Marion et Rebillot.

À Limoges, Dubois et Roubeyrol, démocrates estimés de toute la ville, furent, par contumace, condamnés à mort comme principaux auteurs de la journée du 4 Avril ; deux, condamnés à vingt ans, pour s’être vantés de connaître ceux qui avaient tiré sur le colonel Billet. Un autre eut dix ans pour avoir distribué des munitions.

Les jugements par le jury varièrent. Celui des Basses-Pyrénées acquitta, le 8 août, Duportal et les quatre ou cinq personnes accusées du mouvement de Toulouse. Acquittement à Rodez, où Digeon et les accusés de Narbonne comparurent après une détention de huit mois. Une population sympathique remplissait la salle et les abords du tribunal, et acclama les accusés à leur sortie.

Le jury de Riom condamna, pour les affaires de Saint-Étienne, vingt et un accusés dont un au bagne, le membre de la Commune Amouroux, qui s’était borné à envoyer de Lyon deux délégués.

Le jury d’Orléans fut sévère pour les accusés de Montargis, qu’il condamna tous à la prison, et atroce pour ceux de Cosne et de Neuvy-sur-Loire, où l’on n’avait fait aucune résistance. Ils étaient vingt-trois, dont trois femmes. Tout leur crime était d’avoir promené un drapeau rouge et crié : « Vive Paris ! À bas Versailles ! » Malardier, ancien représentant du peuple, arrivé seulement la veille de la manifestation et qui n’y avait pris aucune part, fut condamné à 15 ans de détention. Aucun accusé ne fut acquitté. Les propriétaires du Loiret vengeaient les terreurs de leurs confrères de la Nièvre.

Les agitations de Coulommiers, Nîmes, Dordives, Voiron donnèrent lieu à quelques condamnations.