La grâce-amnistie

L’Extrême-Gauche ne pouvait moins faire que de réclamer l’entière amnistie. L’agitation pour l’amnistie n’avait jamais cessé dans le peuple. Un journal de Paris, la Révolution française, publiait, malgré les amendes et la prison, des articles de membres de la Commune en exil. Une proposition d’amnistie fut déposée. Neuf bureaux sur onze la repoussèrent. Louis Blanc la défendit aussi chaleureusement qu’il avait défendu les droits des fusilleurs. Le rapporteur était Andrieux, l’ancien anarchiste de l’Empire, l’ancien procureur de la Guillotière en 71, devenu député. « Jamais, dit-il, il ne se trouvera une Assemblée française pour voter l’amnistie pleine et entière. Quant aux condamnés qui resteront en Nouvelle-Calédonie, le nombre en sera restreint à quinze cents, une partie de cette écume des grandes villes qui est toujours prête au pillage. » Le garde des sceaux avait dit douze cents ; Andrieux grossissait, guignant la préfecture de police, qu’il reçut après la morsure. Le Marcou de 76 excluait de l’amnistie « les sauvages qui auraient déshonoré le drapeau tricolore s’il pouvait l’être. » Il ne nommait pas ces sauvages qui, du reste, n’avaient pas combattu sous le drapeau tricolore, mais cela permit à Waddington de dire : « Il y en a douze cents. » L’amnistie plénière fut repoussée par 350 voix contre 99, et seuls furent amnistiés les graciés dans le délai de trois mois. Au Sénat, Bérenger déclara que « la France ne veut pas d’insurgés de profession » ; le Sénat vota tout de même la grâce-amnistie des trois mois, comptant sur le ministère pour exclure les « dangereux ou indignes ». Six semaines après, la Chambre refusait, par 317 voix contre 159, de prononcer la mise en accusation des hommes du 16 mai qui avaient chassé la Chambre et, pendant quatre mois, provoqué une guerre civile ; ils remercièrent la Chambre par un manifeste de défi.

Les exclus de la grâce-amnistie protestèrent contre les calomniateurs : « Des bouches officielles, mêlant l’outrage et l’iniquité, ont déclaré qu’il ne resterait plus en exil que des voleurs et des assassins. Ceux qui trompent ainsi l’opinion savent qu’il n’est pas un proscrit auquel ces épithètes puissent être appliquées. Les voleurs et les assassins ne sont pas de nos rangs. » On le vit bien par la suite quand la justice jeta à la correctionnelle ou à la cour d’assises tant d’insulteurs de communaux.

La discussion de cette loi-tamis avait fait surgir la théorie toute nouvelle du bon et du mauvais insurgé. De même que Louis Blanc distinguait entre le drapeau rouge de son temps, le bon, et le drapeau rouge de la Commune, l’infâme, le ministre de la Justice déclarait dignes d’estime tous les insurgés antérieurs à ceux du 18 mars, lesquels étaient abominables. « Ce serait, disait-il, injurier les autres insurgés que de les comparer aux organisateurs de l’insurrection du 18 mars », assez criminels pour s’être levés « quand l’ennemi occupait les forts. » Il continuait ainsi la légende de Paris agresseur le 18 mars. Pendant huit années, les républicains en vedette s’étaient bien gardés de contredire les histoires versaillaises et même, a dit Camille Pelletan, « ils outraient parfois par crainte de compromettre leur cause. » Cette noble politique avait porté ses fruits ; le parti républicain ignorait totalement l’histoire vraie de la Commune ; personne n’avait réfuté les calomnies innombrables et, lors de la discussion dernière, les journaux conservateurs avaient publié, comme document, des extraits du livre d’un polygraphe n’ayant de talent dans aucun genre, Maxime Du Camp.