Il avait débuté par fusiller les insurgés de juin 48 et gagné la croix sur ces barricades. Redécoré par Louis-Napoléon, il avait boudé un moment l’Empire ; la princesse Mathilde l’avait ramené au bercail. Il allait être sénateur, lorsque le 4 septembre renversa la marmite. De rage, il s’était réfugié en Allemagne pendant toute la guerre et, rentré en France sous la Commune, s’était heurté au mandat réservé par elle aux bonapartistes militants. Il avait pendant six années minutieusement ramassé les inventions, les calomnies, les ordures faites sur la Commune, ajouté du sien et, aux mille latrines réactionnaires, donné leur grand collecteur, les Convulsions de Paris.
Les amateurs d’ouvrages pornographiques purent enrichir leur collection d’une Justine politique et de style fleuri. Ce n’était pas, disait Maxime Du Camp, un mouvement historique qu’il allait décrire, mais « un cas pathologique. » « Toute la ménagerie des passions humaines avait brisé sa cage et durant deux longs mois s’est vautrée en pleine bestialité. Comme une prostituée sans vergogne, la Commune a tout fait voir et on a été surpris de la quantité d’ulcères qui la rongeaient. » C’est le début ; quatre volumes suivaient, de cette convulsion.
D’après Maxime Du Camp, le mouvement de la Commune était « un accès d’épilepsie morale ; une sanglante bacchanale ; une débauche de pétrole et d’eau-de-vie ; une ribauderie ; une inondation de violences, d’ivrognerie qui faisait de la capitale de la France un marais des plus abjects ; un cas analogue au mal des ardents, aux épidémies choréiques, aux possessions du Moyen Âge. » Le personnel se composait : « en haut, d’hommes arrivés aux accidents tertiaires de l’envie purulente ; » en bas : « de brutes obtuses ne comprenant rien, sinon qu’ils ont bonne paye, beaucoup de vin et trop d’eau-de-vie . » Le Comité Central était « un ramassis de vauriens » ; les gouvernants de la Commune, « des pyromanes ; des loups-cerviers ; des perroquets apprivoisés ; des papes de la démagogie ; des Antechrists filous ; une poignée d’escrocs qui règne par la violence, commande à des ivrognes, protège des assassins, discipline des incendiaires ; des fantoches épileptiques ; des grimaciers ; des politiques de crémerie ; des Césarillons d’estaminet. » L’Hôtel de Ville était « un chenil de chiens en fureur ; une gargote doublée d’un mauvais lieu » ; la préfecture de police : « le campement de la ribote. » Les fédérés « puaient le vin et la charcuterie à l’ail ; leur idéal était deux mois de bombance et le bagne après. » Les femmes étaient « des évadées de dispensaire ; des institutrices laïques qui sifflent les petits verres d’eau-de-vie et se marient sur l’autel de la nature. » Les fédérés étaient « des galopins éclos en marge du ruisseau et grandis sur le fumier des basses promiscuités. » L’abbé Vidieu avait trouvé mieux ; ils étaient tous « enfants de l’adultère. » Il est vrai que le bon prêtre ne se piquait pas, comme le convulsionnaire, d’être « sans passion », « un modéré », « un homme d’une droiture ferme auquel les œuvres de la haine inspirent une insurmontable horreur. » Comme on lui reprochait d’avoir exagéré, Maxime Du Camp répondit : « J’ai toujours parlé des communards avec une extrême modération… Nous, honnêtes gens, nous sommes très apaisés… La lie des grandes colères est tombée » ; et il s’indignait contre ces gens pour qui « le dernier mot de la politique est de cracher sur ses adversaires. »
Par ce vocabulaire on voit l’histoire. Du reste, aucun de ces artifices savants à la Jules Simon qui font tissu de vérité et de mensonge. Les inventions et l’ignorance de ce furieux érotique étaient d’un primitif. Du caractère des ouvriers, des faits les mieux établis, même des vraisemblances, il ne s’inquiétait jamais. Tout ce qui était versaillais, cancan réactionnaire, était source certaine, le premier chiffon venu de n’importe où, document ; tout fonctionnaire resté à Paris pendant la Commune une autorité indiscutable dont il consignait religieusement les plus cocasses vantardises ; les réquisitoires des conseils de guerre, les témoins à charge méritaient seuls créance ; tous les accusés avaient menti. Imperturbablement il accumulait les balourdises, faisait de Blanqui l’inspirateur de l’Internationale, d’Assi un personnage dominant, de Frankel un brutal, de Varlin un poltron, de Dombrowski un traître, confondait Cournet avec Latappy, Ranvier avec son frère. Son système d’argumentation était bien simple. Il citait un fait d’arrestation, de perquisition, voire d’exécution d’espion, et il terminait : « C’est par milliers qu’on pourrait multiplier les exemples », ou bien : « Il en était de même un peu partout ». D’autres fois il niait tout sec. Delescluze, « ce Bridoison patibulaire », n’était pas mort volontairement ; il le savait, lui, par un témoin qu’il ne voulait pas nommer ; il n’était pas vrai qu’on eût fusillé de faux Vallès, Billioray, Brunel, etc. ; c’étaient eux qui, pour dépister les recherches, avaient envoyé aux journaux le récit de leur exécution. Fausses aussi les exécutions si nombreuses. Le général Appert disait 17 000 ; ce n’était pas vrai ; il avait, lui, Maxime Du Camp, le chiffre exact : « 6 500 au plus », « faits de guerre, ajoutait-il, inhérents au droit de légitime défense ». Il connaissait ce chiffre « exact » par l’administration des cimetières, par les procès-verbaux d’exhumation ; comme si les administrateurs avaient compté les corps envoyés par charretées, les commissaires eu le temps de verbaliser, les incinérateurs souci du nombre des cadavres empilés. Maxime Du Camp « avait tous les procès-verbaux entre les mains », au besoin il eût donné le nom des victimes, car il se vantait d’exactitude : « Je n’ai rien avancé, disait-il, qui ne fût démontré par pièces authentiques… Je n’ai parlé qu’avec restriction toutes les fois que le document positif et précis m’a fait défaut. » Il n’en produisait pas un. S’ils existent, on imagine comment il a dû les accommoder, par sa façon de travestir les faits les plus connus.
Arrangées à la Montépin , enjolivées d’arabesques, agrémentées de : « Ils ont dû dire ceci, cela », de dialogues de ce genre : « Tous ces révoltés étaient devenus des voleurs ; quand l’homme rentrait au logis, la femme lui disait invariablement : qu’est-ce que tu rapportes ? », les malpropres imaginations de cet enragé pipelet versaillais faisaient les délices de la Revue des Deux-Mondes et des journaux figaristes. L’Académie française voulut posséder ce rare historien et, en 85, il eût parlé pour elle à l’enterrement de Victor Hugo si les proscrits, alors de retour, n’avaient menacé d’une intervention énergique. Maxime du Camp alla mourir en Allemagne, sa patrie de cœur, mais il continua de régner à l’Académie. En juin 95, son successeur, Paul Bourget, breveté pour les dissections d’âmes, affirma qu’il avait dressé « avec une force terrible » le réquisitoire du « sauvage vandalisme » et l’interlocuteur de Paul Bourget, un élégant snob, qualifia la Commune « d’accès de fièvre obsidionale et alcoolique ». Un autre palme-vert, versificateur pour nounous, déclara Maxime du Camp « injurié, mais irréfutable ».
Les vrais républicains se soulevaient contre ces Convulsions, oubliant que leurs chefs avaient, eux aussi, traité la Commune d’accès de fièvre, de convulsion de la famine et du désespoir : d’ailleurs nul écrivain n’était outillé pour la riposte. Les histoires que les radicaux se mirent à rédiger trahissaient la pauvreté de connaissance des hommes, des milieux et même des évènements de la Commune. Pour eux le bonapartisme jouait un grand rôle à l’origine et à la fin. Tel prenait la moyenne entre une page de Maxime du Camp et une page de proscrit et croyait avoir trouvé la diagonale historique. Le sénateur Corbon, ancien ouvrier comme Tolain, ne disait-il pas, en 80, dans le Rappel, qu’il avait été presque condamné à mort par le Comité de salut public !