Le grand retour

Les proscrits peu éloignés purent, le 14 juillet, mêler leur joie à celle de Paris ; il fallut attendre cinq mois encore le retour des hâves Calédoniens. En neuf années, les grâces, les lois, la mort avaient libéré toutes les victimes de Versailles. L’Empire n’avait pas frappé sept ans ; il n’avait pas fait vingt mille cadavres. Il n’est qu’un pouvoir anonyme pour massacrer les foules ; chaque bourreau peut détourner la tête, se torcher la bouche et dire : Je n’en étais pas !

 

Les rapatriés refirent leur vie à l’atelier, dans l’industrie, le commerce, les arts, le journalisme. L’administration municipale, aux mains des républicains, en occupa un certain nombre ; quelques-uns eurent même des emplois officiels. Les militants du socialisme allèrent, comme les premiers amnistiés, grossir les rangs du Parti ouvrier, qui reçut d’eux une impulsion considérable et, quelques années plus tard, entra en nombre à l’Hôtel de Ville. Au jour du péril, en 89, quand le général Boulanger, qui avait fusillé sous Mac-Mahon, voulut, sous couleur de régénérer la France, édifier avec les monarchistes et les cléricaux une dictature dont l’issue inévitable était la guerre, la grande majorité des combattants de la Commune n’hésita pas à livrer bataille, sans rien demander que la République sauve. Désintéressement heureux pour la République, mais qui ne leur valut pas même le droit d’honorer leurs morts.

Au Père-Lachaise, non loin des tranchées gonflées des cadavres de la Roquette, dans un coin, est le mur historique où, à la fin de la Semaine sanglante, les fédérés furent fusillés. Le conseil municipal de Paris a consacré au repos de tant de républicains cet enclos semé de vaillances et les survivants ont voulu le marquer d’un souvenir ; les pierres et les grilles de leur modeste monument ont été enlevées. On laissait encore, aux anniversaires, le peuple de Paris accrocher librement des couronnes au mur ; aujourd’hui on n’y accède qu’un à un, sous l’escorte de policiers ; toute parole est interdite, tout cri de souvenir séditieux. Un député fut expulsé de la Chambre pour avoir crié : Vive la Commune ! De même, il fallut trente ans pour obtenir à la Marseillaise une première amnistie, et l’histoire de la Révolution française ne fut un peu dégagée de la fange réactionnaire que vingt-cinq années après l’écrasement de la Révolution.