Conclusion

Ai-je voilé les actes, caché les fautes du vaincu ? Ai-je falsifié les actes des vainqueurs ? Que le contradicteur se lève, mais avec des preuves.

Les faits prononcent ; il suffit de les résumer pour conclure.

Qui a lutté constamment, souvent seul, souvent dans la rue, contre l’Empire, contre la guerre de 1870, contre la capitulation de 1871, sinon le peuple ?

Qui a créé la situation révolutionnaire du 18 Mars, demandé l’exécution de Paris, précipité l’explosion, sinon l’Assemblée rurale et M. Thiers ?

Qu’est le 18 Mars, sinon la réponse instinctive d’un peuple souffleté ? Où y a-t-il trace de complot, de secte, de meneurs ? Quelle autre pensée que : Vive la République ! Quelle autre préoccupation que de dresser une municipalité républicaine contre une Assemblée royaliste ?

Est-il vrai que, dans les premiers jours, la reconnaissance de la République, le vote d’une bonne loi municipale, l’abrogation des décrets de ruine eussent tout pacifié et que Versailles ait tout refusé ?

Est-il vrai que Paris ait nommé son Assemblée communale par un des votes les plus nombreux, les plus libres qu’il ait jamais émis ?

Est-il vrai que Versailles ait attaqué Paris sans avoir été provoqué, sans sommation et que, dès la première rencontre, Versailles ait fusillé des prisonniers ?

Est-il vrai que les tentatives de conciliation soient toujours venues de Paris ou de la province et que Versailles les ait toujours repoussées ?

Est-il vrai que, pendant deux mois de lutte et de domination absolue, les fédérés aient respecté la vie de tous leurs prisonniers de guerre, de tous leurs ennemis politiques ?

Est-il vrai que, depuis le 18 Mars jusqu’au dernier jour de la lutte, les fédérés n’aient pas touché aux immenses trésors en leur pouvoir et qu’ils se soient contentés d’une paye dérisoire ?

Est-il vrai que Versailles ait fusillé dix-sept mille personnes au moins, la plupart étrangères à la lutte, parmi lesquelles des femmes et des enfants, arrêté quarante mille personnes au moins, pour venger des murs incendiés, la mort de soixante-quatre otages, la résistance à une Assemblée royaliste ?

Est-il vrai que des milliers aient été condamnés à la mort, au bagne, à la déportation, à l’exil, sans jugement sérieux, par les officiers vainqueurs, par des arrêts dont les Gouvernements les plus conservateurs d’Europe ont reconnu l’iniquité ?

Que les hommes d’équité répondent ! Qu’ils disent de quel côté est le criminel, l’horrible, des massacrés ou des massacreurs, des brigands fédérés ou des civilisés de Versailles ! Qu’ils disent la moralité, l’intelligence politique d’une classe gouvernante qui a pu provoquer et réprimer de la sorte un soulèvement comme celui du 18 Mars !

Et si maintenant je me mets en face des évènements qui suivirent, n’ai-je pas le droit de demander encore :

Est-il vrai que la grande majorité de l’Assemblée de Bordeaux voulait rétablir une monarchie et qu’elle n’ait reculé qu’après la Commune ?

Est-il vrai que l’écrasement de Paris ait permis aux réactionnaires de se perpétuer quatre années au pouvoir et de se battre encore quatre années sous le couvert de Mac-Mahon ?

Est-il vrai qu’en écoutant la voix de Paris, on eût épargné à la France huit années de luttes stériles, d’angoisses mortelles, l’avènement de cette politique énervante et oblique qui est la négation de notre génie national ?

Oh ! oui, ils avaient raison de vouloir conserver leurs canons, leurs fusils, ces Parisiens qui se souvenaient de Juin et de Décembre ; oui, ils avaient raison de dire que les revenants des anciens régimes complotaient une restauration ; oui, ils avaient raison de combattre à mort l’avènement des curés ; oui, ils avaient raison de redouter dans la République conservatrice, dont M. Thiers leur présentait la pointe, une oppression anonyme aussi dure que les jougs du passé ; oui, ils avaient raison de lutter quand même jusqu’au dernier pavé ; raison comme la dernière barricade de Juin, comme celle de Baudin ; raison comme les vaincus d’avance de Bazeilles, du Bourget, de Montretout ; raison de jeter au ciel leur dernière cartouche, tels les Gracques leur poussière d’où devait naître le vengeur.

Où étaient leurs grands hommes ? a-t-on dit. Il n’y en avait pas. C’est précisément la puissance de cette révolution d’avoir été faite par la moyenne et non par quelques cerveaux privilégiés.

Que signifiait-elle ? a-t-on dit encore. Un rappel à l’ordre adressé par le peuple républicain de France aux débris ressuscitants du passé. Elle a donné aux travailleurs conscience de leur force, tracé la ligne bien nette entre eux et la classe dévorante, éclairé les relations des classes d’une telle lueur que l’histoire de la Révolution française en est illuminée et à reprendre en sous-œuvre.

La révolution du 18 Mars était aussi un rappel au devoir adressé à la petite bourgeoisie. Elle disait : Réveille-toi, reprends ton rôle initiateur ; saisis le pouvoir avec l’ouvrier et remettez tous les deux la France sur ses rails.

Voilà ce que signifiait le 18 Mars. Voilà pourquoi ce mouvement est une révolution ; voilà pourquoi tous les travailleurs du monde le reconnaissent et l’acclament ; voilà pourquoi toutes les aristocraties n’y pensent qu’avec fureur.

Ce ne fut sans doute qu’un combat d’avant-garde, où le peuple, comprimé dans une lutte militaire savante, ne put déployer ses idées ni ses légions ; aussi n’a-t-il pas la maladresse d’enfermer la Révolution dans cet épisode gigantesque ; mais quelle puissante avant-garde qui, pendant plus de deux mois, tint en suspens toutes les forces coalisées des classes gouvernantes ; quels immortels soldats que ceux qui, aux avant-postes mortels, répondaient à un Versaillais : « Nous sommes ici pour l’Humanité ! »