1896

Vingt-cinq années ont passé sur la Commune. Les Galliffets sont toujours là. Vaincu, le peuple aurait les mêmes mitraillades. L’ancienne troupe des réacteurs n’a pas un hobereau, un prêtre, un esclavagiste de moins qu’en 1871 ; elle a même racolé quelques fifres bourgeois qui, sous masque de démocrate, facilitent ses approches.

En 48, au peuple ils avaient dit : « Le suffrage universel fait toute insurrection criminelle ; le bulletin a remplacé le fusil. » Et quand le peuple vote contre leurs privilèges, ils se cabrent ; tout Gouvernement est factieux s’il tient compte des vouloirs populaires. Que reste-t-il au peuple, sinon l’argument péremptoire, la force ? Il l’a enfin.

Après avoir tâté d’une masse de docteurs, l’ouvrier des villes et des champs a fini par témoigner d’une idée, d’une volonté propre – se soigner lui-même ; après de longues hésitations, la petite bourgeoisie, refoulée dans le prolétariat par les puissances financières, a fini par comprendre l’identité des intérêts. La soudure est presque faite entre ces deux classes qui constituent – parce qu’elles seules produisent – le véritable peuple français.

Il est revenu, après un long crochet, à la conscience de son origine. Pendant cent années, la France a expérimenté toutes les formes gouvernementales, fourni à tous les partis politiques les instruments de pouvoir, et tous les services de l’État, administrations, ministères ont continué de traîner après eux leur monde de créatures, leurs budgets toujours grossissants, leur vaste parasitisme au profit d’une caste, ruineux pour la nation ; pendant cent années, la France a chargé des hommes plus ou moins nuancés ou illustres de lui fabriquer des lois, et ces lois, toujours faites au seul profit d’un petit nombre, ont abouti à l’amoindrissement de la puissance nationale. L’expérience a trop duré ; elle est finie. Le lion ne remorquera plus la bourrique.

Trois fois, le prolétariat français a fait la République pour les autres ; il est mûr pour la sienne. Les lumières qui lui manquaient autrefois ne jaillissent maintenant que de lui. La poignée de ses adversaires ne remue que des cendres, débris d’un monde antimoderne, antiéconomique, fort seulement de lois et d’administrations surannées. Qu’ils disparaissent, et sera centuplée la production d’une France contrainte aujourd’hui à se consumer sur place. Le gouvernement du peuple, c’est la mise en marche d’une réserve de travail accumulé, aujourd’hui improductif.

Jamais la nation ne fut mieux musclée pour une prise de pouvoir. Quelques quarterons d’anémiques et de muscadins fin de siècle qui se disent navrés d’incertitudes ne sont pas plus la France que ne l’étaient les marquis d’avant 1789. Ah ! ils ne sont pas incertains de leur capacité, les travailleurs des campagnes et des villes. Quelle génération fut, depuis cent ans, plus instruite, plus compréhensive d’idéal ?

Pour disperser les frelons et traverser victorieux les rouges horizons qui se lèvent, que faut-il ? Oser. Comme autrefois, ce mot renferme toute la politique de cette heure. » Oser et labourer profond ». L’audace est la splendeur de la foi. C’est pour avoir osé que le peuple de 1789 domine les sommets de l’histoire, c’est pour n’avoir pas tremblé que l’histoire fera sa place à ce peuple de 1870-71, qui eut de la foi jusqu’à en mourir.