II
Le comité central, surpris comme tout Paris…

« Je vous rappelle que les membres du Comité s’étaient séparés à trois heures et demie environ du matin dans la nuit du 17 au 18. Avant le lever de la séance, il avait été décidé que la réunion du lendemain aurait lieu à 11 heures du soir, rue Basfroi, dans une école mise en réquisition.

Malgré cette heure avancée, rien n’avait encore transpiré des mouvements que le gouvernement avait décidés, et le Comité, qui venait seulement de se constituer par l’examen des pouvoirs et la distribution des commissions, n’avait reçu aucun avis qui pût lui faire supposer l’imminence du péril. Sa commission militaire n’avait pas encore fonctionné. Elle avait pris possession des documents, notes et procès-verbaux de l’ancienne, et c’était tout.

Vous savez comment Paris s’éveilla le 18 au matin. Les membres du Comité apprirent les évènements de la nuit par la rumeur publique et les affiches officielles. Pour mon compte, réveillé à huit heures environ, je me hâtai de m’habiller et je me rendis rue Basfroi en traversant la place de la Bastille occupée par la garde de Paris. À peine entré dans la rue de la Roquette, je vis que le peuple commençait à organiser la défense. On ébauchait une barricade au coin de la rue Neuve-de-Lappe. Je me vis refuser le passage un peu plus haut malgré la déclaration que je fis de ma qualité de membre du Comité. Je dus remonter la rue de Charonne, le faubourg, et revins dans ma direction par la rue Saint-Bernard. Rien ne s’annonçait encore dans la rue du Faubourg-Saint-Antoine, mais l’agitation y était grande. J’arrivai enfin rue Basfroi vers dix heures et demie. Elle était barricadée aux deux issues, sauf un passage ménagé pour les canons parqués dans un grand terrain de cette rue et qu’on emmenait un à un aux diverses barricades en cours de formation.

Je parvins, non sans peine, à pénétrer dans une salle d’étude où quelques-uns de mes collègues étaient réunis. Il y avait là les citoyens Assi, Prudhomme, Rousseau, Gouhier, Lavalette, Géresme, Bouit et Fougeret. Au moment où j’entrais, on amenait un sous-lieutenant d’état-major arrêté rue Saint-Maur. On l’interrogea. On amena ensuite un gendarme ; mais les seuls papiers trouvés en sa possession étaient des affiches transmises à l’une des mairies. Assi s’occupait de cette besogne et avait organisé une sorte de prison dans la cour. Je vis aussi défiler une quinzaine d’individus civils et militaires arrêtés par le peuple. Pendant ce temps, j’appris qu’on avait envoyé Bergeret prendre le commandement de Montmartre, où il avait été nommé chef de légion la veille. Varlin, arrivé presque derrière moi, était reparti organiser la défense aux Batignolles. Arnold fit aussi une courte apparition et retourna se mettre à la tête de son bataillon. Le Comité s’était recruté des citoyens Audoynaud, Ferrat, Billioray.

À midi, on attendait toujours les évènements et on ne décidait rien. Je priai quelques-uns de mes collègues de laisser Assi à ses interrogatoires inutiles et de venir délibérer dans une autre salle, celle que nous occupions ayant été peu à peu envahie par des personnes étrangères au Comité. Aussitôt installés, nous demandâmes des citoyens de bonne volonté pour nous servir d’état-major et nous renseigner sur la situation dans les différents quartiers. Il s’en présenta un grand nombre. Nous les envoyâmes dans toutes les directions dire a nos collègues de pousser la construction des barricades le plus avant possible, de réunir la garde nationale, d’en prendre le commandement et de nous préciser les points où nous pourrions leur faire parvenir nos communications.

De nos porteurs de message, il n’en revint que quatre. Celui que nous avions envoyé au XXe arrondissement nous apprit que le point de ralliement à Belleville était dans la rue de Paris et, a Ménilmontant, devant la nouvelle mairie. Varlin avait beaucoup de mal à grouper les gardes nationaux des Batignolles. Un état-major avait réuni des forces à la place du Trône et s’était rendu à la caserne de Reuilly ; mais la troupe avait fermé les grilles et pris une attitude menaçante. Brunel avec Lisbonne se préparait à intimider la caserne du Château-d’Eau. D’autres renseignements nous apprirent qu’on attendait des ordres du Comité. Duval s’était établi au Panthéon et attendait. Faltot nous envoyait une note avec ces mots : « J’ai cinq ou six bataillons dans la rue de Sèvres, que faut-il faire ? » Pindy avait pris possession de la mairie du IIIe et réunissait les bataillons dévoués au Comité. Dès que nous eûmes ces données, après nous être rendu compte des distances que chaque force aurait à parcourir, des lieux où l’on pouvait prendre des canons et des munitions, on arrêta quelques dispositions pour l’attaque

Pendant qu’on discutait ces résolutions, Lullier était venu se mettre à la disposition du Comité. Le Comité ne lui avait donné aucun ordre précis et s’était borné à lui dire qu’on rassemblait toutes les forces disponibles pour s’emparer de l’Hôtel de Ville.

Je dois également ajouter que les barricades gagnaient constamment du terrain et que les boulevards, du côté de la Bastille, avaient été évacués par les troupes à la suite de cet envahissement.

Des obstacles imprévus de toute nature, la difficulté de tenir la garde nationale sous les armes, nuirent à l’exécution de nos ordres. Ce qui aurait dû être exécuté à cinq heures ne s’exécuta qu’en partie et plus tard. Brunel ne put arriver qu’à sept heures et demie devant l’Hôtel de Ville et il s’en empara sans coup férir. Bergeret, parvenu à la place Vendôme, s’y barricada. Duval ne s’empara de la préfecture de police qu’à huit heures du soir. Eudes ne dépassa pas l’Imprimerie nationale. Quant à Faltot, je n’ai jamais bien su jusqu’où il avait été dans l’exécution ; je sais cependant qu’il agit.

Pour assurer la transmission de nos ordres, chacun des membres alors présentsil en était arrivé d’autres, mais je ne saurais dire lesquelsse chargea d’aller les porter sur un point déterminé. De sorte que, à trois heures et demie, le Comité se séparait, laissant Assi et deux autres membres en permanence rue Basfroi.

Chacun de nous, en arrivant à son poste, retrouva les collègues qui n’étaient pas venus rue Basfroi, mais qui, par leur activité dans leurs arrondissements, avaient préparé les moyens de résistance. Pour mon compte, je trouvai Édouard Moreau et Clémence au IVe et les troupes en armes dans la rue de Rivoli… »

 

(Extrait d’une relation adressée à l’auteur par BOURSIER, membre du Comité Central.)