Nous nous amusions le long du jour, d'accomplir les divers actes de notre vie comme une danse, à la manière des gymnastes parfaits dont le propos serait de ne rien faire que d'harmonieux et de rythmé. Sur un rythme étudié, Marc allait chercher de l'eau à la pompe, pompait et remontait le seau. Nous connaissions tous les mouvements qu'il fallait pour quérir un flacon dans la cave, le déboucher, le boire ; nous les avions décomposés. Nous trinquions en cadence. Nous inventâmes aussi des pas pour se tirer d'affaire dans les circonstances difficiles de la vie ; d'autres pour accuser les troubles intimes ; d'autres pour les dissimuler. Il y avait le passepied des condoléances, et celui des congratulations. Il y avait le rigodon du fol espoir et le menuet dit : des légitimes aspirations. Il y avait, comme dans les ballets célèbres, le pas de la bisbille, le pas de la brouille et celui de la réconciliation. Nous excellions dans les mouvements d'ensemble ; mais le pas du parfait copain se dansait seul. Le plus amusant que nous avions inventé était celui de la descente vers le bain, ensemble, le long de la grande prairie : c'était un mouvement très rapide, car on voulait arriver en sueur ; il se faisait par bonds et la pente du pré favorisait nos enjambées énormes, une main tendue en avant comme font ceux qui courent après le tramway, et soutenant de l'autre le flottant peignoir qui nous couvrait on arrivait à l'eau tout essoufflé et nous plongions aussitôt avec de grands rires, en récitant du Mallarmé.
Mais tout cela, direz-vous, pour être lyrique manquait un peu de laisser-aller... Ah ! j'oubliais : nous avions aussi l'entrechat subit de la spontanéité.
Du jour où je parvins à me persuader que je n'avais pas besoin d'être heureux, commença d'habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n'avais besoin de rien pour être heureux. Il semblait, après avoir donné le coup de pioche à l'égoïsme, que j'avais fait jaillir aussitôt de mon cœur une telle abondance de joie que j'en pusse abreuver tous les autres. Je compris que le meilleur enseignement est d'exemple. J'assumai mon bonheur comme une vocation.
Eh quoi ! pensais-je alors, si ton âme avec ton corps doit se dissoudre, réalise au plus tôt la joie. Si peut-être elle est immortelle, n'auras-tu pas l'éternité pour t'occuper à ce qui ne saurait intéresser tes sens ? Ce beau pays que tu traverses, vas-tu le dédaigner, te refuser à ses blandices, à cause qu'elles te seront bientôt enlevées ? Plus rapide est la traversée, plus avide soit ton regard ; plus précipitée est ta fuite, plus subite soit ton étreinte ! Pourquoi donc, amant d'un instant, embrasserais-je moins amoureusement ce que je sais que je ne pourrai pas retenir ? Ame inconstante, hâte-toi ! Sache que la fleur la plus belle est aussi la plus tôt fanée. Sur son parfum penche-toi vite. L'immortelle n'a pas d'odeur.
Ame naturellement joyeuse, ne redoute plus rien de ce qui pourrait ternir la limpidité de ton chant.
Mais j'ai compris à présent que, permanent à tout ce qui passe, Dieu n'habite pas l'objet, mais l'amour ; et je sais à présent goûter la quiète éternité dans l'instant.
Cet état de joie, si tu ne sais t'y maintenir, ne cherche pas trop à l'atteindre.
Eblouissement tendre
Accueille mon réveil !
Je suis loin de prétendre
A l'immatériel ;
Mais t'aime, azur sans tache.
Léger comme Ariel
Je meurs si je m'attache
A quelque coin du ciel.
Il n'est rien, que je sache,
De plus substantiel.
T'écouter c'est t'entendre.
Pour goûter à ce miel
Je ne veux plus attendre.
Semblable, ce matin, à celui qui, de sa plume qu'il sait d'un peu trop d'encre chargée, par crainte d'une tache trace une guirlande de mots.