Les pages qui suivent sont à teneur autobiographique. Elles reflètent une grande partie des trois premières décennies d’une existence aujourd’hui longue. S’il n’y a rien de marginal ni d’erratique dans ma vie, cette dernière n’en représente pas moins un curriculum atypique : celui, en quelque sorte, d’un attardé du XIX e siècle fièrement ancré dans le XXI e. Ma personnalité fut solidement forgée par une série interminable de zigzags et de sauts d’obstacles, mais sans jamais de ruptures ni de chutes. Rétrospectivement, je mesure combien crûment, de façon différenciée selon les situations et les moments, se posa de fait l’important et délicat problème du genre. Voilà surtout ce que je voudrais restituer dans les pages qui suivent.
J’ai déjà dit avoir sélectionné quatre séquences. Toutes sont caractérisées par un investissement diversifié de l’éros ; également, par les expériences successives de l’une ou l’autre des manifestations du genre. Oui, avec le temps, je pris conscience du fait que ce dernier se présenta sous des formes ou des identités qui, dans les premiers temps du moins, n’avaient rien ni de « masculin » ni de « féminin ». C’est ainsi qu’à mon insu je verrai défiler toute une gamme de genres, à commencer par ce que j’appellerai le non-genre. L’être humain au féminin, par exemple, n’intervint dans mon existence d’enfant paysan que sous l’habit différentiel d’une chose citadine.
La première séquence aura pour cadre mon enfance, ethno logique et rurale. Tout y était centré sur la subsistance et sa condition première, le travail. Il n’y avait guère de sexe, animal ou humain, qu’intégré au champ économique. La deuxième couvrira surtout mon adolescence, triste et tourmentée dans un pensionnat catholique où je ressentis l’ambiance comme glauque et répressive. Je parlerai alors de sexe ou de genre neutre. La troisième me restituera comme perdu dans un vaste échantillonnage de populations masculines évoluant en uniforme et en armes, l’anonymat et l’éloignement offrant une liberté de mœurs au-delà de tout défi ; « sous les drapeaux », l’habit faisait le moine dans la mesure où il certifiait le mâle. Dans la quatrième séquence, enfin, on verra le théologien tout juste diplômé propulsé, sans la moindre transition ni monition, dans le confessionnal d’un haut lieu spirituel de la capitale. Je découvris alors ce que j’ose appeler les « maladies sexuelles de la foi », et plus encore ce que je désignerai comme un « tout sexuel », dominateur de l’ordre moral vécu.