Si son retrait d’Espagne, sitôt Amalaric châtié, fit accuser Childebert d’avoir manqué de sens politique et laissé passer une chance de s’emparer des possessions wisigothiques, il se révéla, à long terme, d’une grande sagesse.
Jamais, seul, le roi franc n’aurait eu la possibilité de conquérir la péninsule ibérique, ni même de conserver Barcelone. Et, quand il eût pris ce risque, ses frères, inquiets de ses succès, se fussent arrangés pour lui rendre la tâche impossible. Thierry et Clotaire se détestaient cordialement mais se fussent réconciliés sur le dos de Childebert, et même mis d’accord pour le supprimer s’ils avaient vu en lui un rival trop puissant.
Dans cet aimable climat familial, mieux valait éviter d’exacerber les tensions. Prudent, Childebert s’était donc contenté de venger l’honneur des Francs, libérer sa sœur, et rafler les trésors des rois espagnols : ce n’était pas si mal.
Quant à l’Espagne wisigothique, il la laissait au bord du chaos. Il faudrait une génération avant que l’ennemi héréditaire parvienne à surmonter la crise dynastique et politique provoquée par la mort d’Amalaric, stabilise la situation du pays et soit à nouveau en mesure de porter ses ambitions vers les Gaules. Childebert avait joué en grand stratège.
Tandis qu’il repassait les monts et chevauchait vers Narbonne, les Wisigoths, en effet, commençaient à s’entre-déchirer pour la couronne tombée de la tête du dernier Amale.
Theudis, l’ancien régent d’Amalaric, se crut de taille à la ceindre. De longue date familier des affaires, dans un premier temps, il se montra à la hauteur de la tâche en repoussant un retour en force des Francs, qui risquaient des raids sur Pampelune et Saragosse. Il parvint ensuite à s’emparer de la Bétique
1, restée possession vandale bien que ceux-ci eussent transvasé, depuis un siècle, l’essentiel de leur puissance en Afrique du Nord
2.
Ces incontestables succès, Theudis les avait achetés au prix fort, en opérant un renversement d’alliances qui ne lui fut point pardonné.
En 531, à la suite d’une bataille perdue aux confins sahariens, les Vandales avaient déposé leur roi, Hildéric. Celui-ci avait à leurs yeux le tort irréparable d’être à moitié romain et dernier descendant, en ligne maternelle, de la dynastie valentinienne
3. L’un de ses jeunes cousins, Gélimer, lui succéda et reprit la politique anticatholique traditionnelle.
Ce faisant, il avait irrité l’empereur byzantin, Justinien, très lié avec Hildéric, qui décida d’envoyer des troupes à son secours. Pour les Vandales, cette intervention impériale marquait le commencement de la fin. Theudis ne s’y trompa point et rompit les alliances nouées avec Carthage. Les troupes que Gélimer serait obligé d’expédier en Bétique lui manqueraient pour défendre l’Afrique.
Theudis comptait que le Basileus lui serait reconnaissant de ce soutien. En parallèle, il entreprit de se concilier deux puissances que les Amales n’avaient cessé de combattre : l’Église catholique espagnole et l’aristocratie hispano-romaine.
Que Theudis eût épousé une riche Espagnole catholique expliquait cette stratégie, si contraire aux usages nationaux qu’elle dressa contre lui la noblesse guerrière wisigothe. Le premier faux pas lui serait fatal. Ce faux pas, Theudis le dut à Justinien.
Le 15 septembre 534, au terme d’une brève et remarquable campagne, le général byzantin Bélisaire défit les armées vandales et libéra Carthage. Quelques semaines lui suffirent pour reprendre le contrôle de toute l’Afrique romaine, de la Cyrénaïque aux colonnes d’Hercule
4.
L’année suivante, Bélisaire débarqua en Italie, appelé au secours par la reine Amalasonthe. S’il arriva trop tard, la fille de Théodoric ayant été exécutée au terme d’un invraisemblable procès pour matricide
5, du moins put-il la venger en infligeant à son assassin et successeur, le roi Théodat, une défaite cuisante qui rendit à l’empire tout le sud de la péninsule.
On crut que rien ni personne n’arrêterait plus les Byzantins et qu’ils reconquerraient province par province l’Occident. Leur prochaine cible était l’Espagne.
La politique de Theudis, déjà impopulaire, s’en trouva définitivement discréditée. En 548, le roi mourut, victime d’un coup d’État militaire qui porta au pouvoir Theudégisèle, lequel ne fit pas non plus l’unanimité puisque, dès l’année suivante, il disparaissait à son tour sous les coups d’assassins…
Un autre chef wisigoth, Agila, s’empara de la couronne et jugea opportun de raviver la persécution des autochtones catholiques.
Mais, et Agila, pour son malheur, ne l’avait pas saisi, quelque chose avait changé et il fallait désormais en tenir compte : les Hispano-Romains nicéens, si longtemps résignés à leur sort, avaient relevé la tête et n’entendaient plus subir les vexations d’un envahisseur hérétique qui les avait dépossédés de leurs droits. Les premières mesures d’Agila visant des édifices du culte catholique suscitèrent un tel mécontentement que Cordoue fit sécession du royaume wisigoth. Agila se porta contre la cité rebelle, accompagné de son fils et héritier officiel. Et se fit étriller par les Cordouans…
Ses troupes en déroute, son fils tué, le trésor royal aux mains de l’ennemi, Agila se replia sur Mérida. Cela se passait vers 551
6.
Peu après, Agila, qui n’avait pas de chance, apprit le soulèvement et la sécession de Séville. Cette fois, ce n’étaient pas des Nicéens mécontents mais un autre aristocrate wisigoth, Athanagild, qui menait la danse
7.
Plus tard, lorsque son usurpation aurait réussi, des flatteurs se rencontreraient pour laisser entendre qu’Athanagild, ou son épouse, Goïswinthe, ou les deux, étaient apparentés à l’ancienne lignée royale. Bien entendu, personne ne s’aviserait de les contredire.
En vérité, cette prestigieuse extraction n’existait que dans l’imagination de ces courtisans, spécialistes des généalogies de complaisance. Athanagild, autour duquel avait régné jusque-là le plus profond silence, était un leude parmi d’autres mais il avait eu la chance d’épouser une femme d’exception.
Goïswinthe alliait à la beauté une intelligence remarquable et une ambition dévorante. Elle avait fait preuve d’un rare entregent et tissé autour de son époux un réseau de relations, d’amis, d’alliés,
de soutiens dont elle formait le centre indispensable et qu’elle coordonnait. Sur quoi avait-elle fédéré les intérêts ? Sur des thèmes simples mais porteurs, toujours bien accueillis de la noblesse wisigothe : la grandeur de la race, sa supériorité sur les peuples vaincus et asservis de l’ancien empire romain d’Occident, l’attachement à l’arianisme des aïeux, seule religion véritable. Athanagild, s’il accédait un jour à la couronne, saurait restaurer la gloire antique de son peuple, remettre les Hispano-Romains à leur place, éradiquer le catholicisme espagnol.
Il n’en fallait pas davantage pour gagner à Athanagild de nombreux partisans et le pousser à risquer le tout pour le tout, profitant de la déroute d’Agila à Cordoue.
Cependant, quelle que fût la faiblesse d’Agila, l’insurrection de Séville ne suffit pas à provoquer sa chute, pas plus qu’elle n’incita une majorité de Wisigoths à choisir le parti d’Athanagild. Tout le monde, en Espagne, éprouvait une profonde lassitude après tant de troubles civils et aspirait à la paix ; nul n’avait envie de se lancer dans de nouvelles aventures. La grande nation wisigothique, sédentarisée, enrichie, engraissée, avait perdu son potentiel belliqueux.
Quant à l’éternelle querelle religieuse, que les puissants s’entêtaient régulièrement à relancer, elle n’intéressait plus grand monde, en tout cas côté arien ; l’hérésie, minée par les dissensions internes et les schismes répétés, tendait à se rapprocher du catholicisme honni, au point que seuls quelques théologiens pouvaient encore ergoter sur les raisons de mésentente subsistantes
8.
Dans ces conditions, le soulèvement d’Athanagild risquait d’être un feu de paille dont sa famille et lui-même seraient les premières victimes. Éventualité peu aimable qui poussa le mutin de Séville, conseillé par sa femme, à prendre des mesures extrêmes. À défaut de trouver des soutiens parmi ses compatriotes, Athanagild décida d’aller les chercher ailleurs.
Où ? À Constantinople. Jeu dangereux… Les Byzantins avaient repris l’Afrique, puis l’Italie ; ils se cachaient à peine de vouloir reconquérir l’Espagne, les Gaules, et même la lointaine Bretagne
9. Dans ces conditions, leur offrir une tête de pont pouvait se révéler une erreur majeure. Theudis lui-même, qui avait opté pour l’alliance impériale, avait vu le danger et s’était empressé d’expédier des troupes à Ceuta avant que les Byzantins s’y fussent renforcés. Athanagild n’eut pas ces scrupules et, en 552, réclama l’appui de Justinien. L’année suivante, les premières troupes débarquaient à Carthagène et prenaient le contrôle du littoral jusqu’à Malaga. De là, elles s’enfonceraient dans les terres, réoccuperaient l’ancienne Bétique. Athanagild ne s’y opposerait pas ; tel était l’accord passé avec l’empire qui le transformerait, aux yeux de beaucoup, en traître opportuniste.
Pour l’heure, cette combinaison ne lui réussissait pas si mal puisque l’armée wisigothe, incapable de s’opposer au débarquement, en tint Agila pour responsable, et l’assassina. Cela devenait une manie
10.
Athanagild, demeuré seul concurrent à la couronne, se retrouva roi d’Espagne. Encore fallait-il le rester…
Outre la nécessité de survivre à son usurpation, le souci immédiat d’Athanagild était de consolider ce que l’on n’osait déjà appeler sa « dynastie ». D’emblée, il se heurtait à une difficulté majeure, propre à lui susciter des rivaux : le nouveau couple royal n’avait pas de fils.
De son union avec Goïswinthe, n’étaient nées, ou n’avaient survécu, que deux filles
11, ce qui rendrait la succession compliquée, si tant est qu’Athanagild atteignît l’âge de transmettre la couronne à sa postérité.
Ces deux filles, nées entre 540 et 545, dans le sud de l’Espagne, avaient été baptisées Galswinthe et Brunehilde
12 ; ce dernier prénom renvoyant, comme nombre d’autres, à une onomastique belliqueuse chère aux peuples germaniques
13, se traduisait par
« Cuirasse de guerre
14 » ou plus sûrement « Guerrière cuirassée
15 », ce qui n’était ni très gracieux ni très féminin mais plaisait beaucoup.
Âgées d’une dizaine d’années lors de l’élévation d’Athanagild, ses filles se retrouvèrent propulsées du jour au lendemain au rang d’héritières de la couronne wisigothe, ce qui n’était pas, le triste sort de la reine Amalasonthe d’Italie l’avait prouvé, un sort enviable.
Dans l’impossibilité d’exercer la réalité du pouvoir royal, puisque celui-ci était d’essence militaire et qu’il était inconcevable d’imaginer une femme à la tête des armées, une princesse germanique n’avait d’autres choix que de déléguer ses droits au mari que son père lui aurait choisi, puis à leurs fils. « Ventre de souveraineté », elle transmettait le sang royal, sa légitimité, la gloire de ses aïeux, mais n’était rien par elle-même, sinon un obstacle entre le pouvoir et une parentèle masculine plus éloignée du trône qui ne reculait devant aucun moyen pour se débarrasser de la gêneuse. Malheur à elle si son époux, le véritable souverain, disparaissait trop tôt, si elle n’engendrait pas de mâles, si ceux-ci ne vivaient pas. La mort de son mari, puis celle de son fils, avaient condamné Amalasonthe.
Tenter d’imposer une succession en ligne féminine, c’était la quasi-certitude de grands troubles, de malheurs innombrables, de désordres sanglants. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si les rois, quitte à multiplier les concubines, s’ingéniaient à engendrer une dizaine de garçons.
Athanagild ne semble pas avoir éprouvé cette tentation. Était-il trop attaché à Goïswinthe, ou trop dépendant d’elle, pour lui imposer des rivales ? Espérait-il encore en avoir des fils ? Était-il un pieux arien que l’adultère scandalisait
16 ? En tout cas, il demeura fidèle à son épouse légitime, et regarda ses deux filles comme ses héritières.
Il leur fit enseigner à toutes deux les lettres latines, cette langue demeurant le principal vecteur de communication en Europe et ailleurs, veilla à ce qu’elles fussent familiarisées avec les grands classiques littéraires, capables de tenir une conversation élégante, de juger de la qualité d’un texte ou d’une poésie, d’écrire une lettre impeccable à un correspondant cultivé
17, leur fit donner de solides notions de rhétorique, de droit, de théologie et de géographie, sciences qui allaient de pair avec l’exercice du gouvernement.
Paradoxe fréquent à l’époque, la plupart des princes et rois barbares n’accédaient pas au centième des connaissances dispensées aux princesses, parce que, éduqués dès l’enfance dans le culte de la force virile et de l’exercice physique, ils n’avaient pas le temps d’étudier ces matières accessoires. Nombre d’entre eux savaient à peine lire et écrire
18 et ne s’en portaient pas plus mal.
À cette éducation lettrée, les deux princesses wisigothes ajoutèrent le bagage commun de toutes les femmes qui leur permettrait de diriger efficacement leur famille, leur domesticité et leur maisonnée : soins du ménage, cuisine, couture, tissage, jardinage, utilisation des plantes tinctoriales, cosmétiques et médicinales, notions de médecine et de puériculture. Les exercices physiques ne furent pas oubliés et on leur enseigna les bases de l’équitation
19.
Que retinrent les deux fillettes des leçons de leurs professeurs ? Brunehilde, vive et intelligente, absorba cet enseignement, mais Galswinthe, son aînée, en tira assez peu de bénéfices
20. En grandissant, la différence de tempérament des princesses devenait évidente.
Galswinthe, douce, tendre, timide et effacée, ne brillait ni par le prestige physique – elle en manquait même désespérément… –, ni par les dons intellectuels. Un peu sotte, molle d’apparence et de caractère
21, elle ne retenait l’attention qu’en raison d’un droit d’aînesse la destinant au trône. Brunehilde était d’une autre trempe, et le savait.
Belle, quand il était évident que Galswinthe resterait un laideron, douée pour les études, capable d’absorber les matières les plus rébarbatives et d’en disserter avec intelligence, décidée et autoritaire, brave et indépendante, qualités qu’elle apprendrait tôt à cacher, car, chez une femme, on les considérait comme des défauts, Brunehilde entrait avec une déconcertante aisance dans son personnage princier
22, prenait une grâce et une allure que n’eût point désavouées une fille des Césars.
Celle-là ne serait pas difficile à marier. Sa sœur non plus d’ailleurs car l’héritage royal suppléerait à ses charmes absents. Il suffisait d’attendre. Jeunes encore, Athanagild et Goïswinthe n’étaient pas pressés de se doter de gendres aux dents longues. D’ailleurs, dans le monde germanique, à la différence des cultures méditerranéennes, on ne mariait pas les filles sitôt nubiles mais on préférait attendre qu’elles eussent dix-huit ou vingt ans, âge réputé le plus favorable à la génération de beaux et robustes enfants dont la naissance ne tuerait pas de trop jeunes mères. Il s’en fallait d’encore plusieurs années que la question de l’établissement des princesses espagnoles devînt d’actualité. Il serait temps alors de rechercher parmi l’aristocratie militaire du royaume des garçons prometteurs et capables.
La suite des événements allait contraindre Athanagild à revoir ces plans.
Maintenant qu’il régnait, l’usurpateur mesurait l’erreur commise en faisant appel aux Byzantins. Certes, l’empire lui avait assuré un soutien financier sans lequel il ne fût pas venu à bout d’Agila, mais ce service avait été payé par l’occupation du littoral sud de la péninsule. Pis encore, Justinien ne cachait plus ses intentions de reprendre l’Espagne, comme il avait repris l’Afrique et l’Italie, donc de balayer l’allié occasionnel qui avait si sottement introduit le loup dans la bergerie. Solidement renforcés par l’arrivée régulière de nouvelles troupes, les Impériaux s’enfonçaient à l’intérieur des terres, s’emparaient de Séville et de Cordoue, cités catholiques trop heureuses de se jeter dans les bras du Basileus comme dans ceux d’un libérateur
23.
À ce péril immédiat, très inquiétant si l’on se souvenait des précédents vandale et ostrogoth, s’en ajoutaient d’autres. L’unité factice de l’Espagne wisigothique, fruit d’une politique de coercition, menaçait de voler en éclats. Au mécontentement de la population autochtone catholique – jamais sincèrement ralliée, les Wisigoths l’avaient constaté jadis en Aquitaine… –, à la possible tentative de reconquête byzantine, se conjuguaient, en Galice, les tentatives de révolte des Suèves, établis là lors de l’invasion de 505 et qui vivaient mal leur soumission aux Wisigoths, l’insécurité qu’entretenaient les Vascons à la frontière pyrénéenne, le redoutable voisin franc en Septimanie, et les toujours possibles tentatives d’assassinat et d’usurpation menées par d’autres postulants à la couronne…
C’était beaucoup, c’était trop.
Athanagild, sensible aux reproches qu’on lui adressait concernant l’alliance byzantine, regardée comme une trahison non seulement par les Wisigoths mais aussi, maintenant que Justinien, toujours en quête d’argent pour mener ses guerres, les écrasait d’impôts délirants, par les Hispano-Romains des zones « libérées
24 », commença, vers 555, par dénoncer le traité passé avec l’empire. Cela clarifiait la situation, à défaut de l’améliorer. Et cela apaisait un peu l’opinion publique, sans faire prendre, dans l’immédiat, trop de risques militaires. En effet, Justinien, lui aussi pressé sur tous les fronts, n’était pas en mesure, pour l’heure, de poursuivre l’offensive en Espagne, d’autant que les vastes plateaux intérieurs qui le séparaient du
royaume wisigoth, s’ils coûteraient cher à reconquérir, ne rapporteraient strictement rien, car ils étaient incultes et désolés de sécheresse endémique. Il s’en tiendrait, un certain temps, au littoral et à ses vergers. Le provoquer en dénonçant l’alliance n’entraînerait aucunes représailles.
Fort de cette certitude, et péchant par excès d’optimisme, Athanagild crut même possible de passer à la contre-offensive et de rejeter les Byzantins à la mer. Il se trompait. Il parvint à récupérer Séville, où la population se demandait s’il valait mieux être écrasée sous la fiscalité délirante du souverain légitime défenseur de la vraie foi, ou supporter les vexations, plus modérées, d’un « tyran
25 » barbare et hérétique, mais il se cassa le nez sur les remparts de Cordoue la très catholique.
La tête de pont byzantine demeurait, épée de Damoclès suspendue au-dessus du royaume wisigoth. Athanagild savait ses jours comptés quand elle choirait.
Alors lui vint une idée ambitieuse, aussi dangereuse, d’ailleurs, que l’alliance impériale : s’allier à la dernière puissance germanique d’Occident capable d’opposer une forte résistance aux projets de reconquête byzantine : les Francs.
Le projet n’apparaîtrait pas moins contre nature aux Wisigoths que l’entente avec « les Romains », les Francs étant l’ennemi héréditaire, mais sa réussite pouvait s’avérer féconde.
En quoi consistait-il ? À créer contre l’empire un contre-feu en Italie. Comment ? En incitant les Francs à faire valoir leurs droits à l’héritage de leur cousine Amalasonthe. Bien entendu, Justinien, avare et rapace comme il l’était, ne lâcherait rien et l’on irait ainsi au casus belli. Les Francs, une fois engagés dans l’affaire, seraient obligés, pour le principe, d’envoyer des troupes de l’autre côté des Alpes. Les Byzantins ne pourraient plus expédier de renforts d’Italie en Espagne quand Athanagild lancerait son offensive contre la Bétique.
Restait à convaincre les Francs qui avaient manifesté jusque-là un intérêt limité pour la question italienne. À n’en pas douter, il faudrait y mettre le prix. Cela n’arrêta pas Athanagild : l’Espagne wisigothique possédait beaucoup d’or et de joyaux volés à Rome et ailleurs. Si nécessaire, il lâcherait une poignée de villages de Septimanie, parmi les moins productifs et les plus exposés à l’invasion
franque. Et, s’il fallait vraiment en arriver là, il sacrifierait aux intérêts de l’État l’une de ses filles chéries. Peut-être même les deux…
Encore fallait-il amener les Francs à entrer dans une partie qui n’était pas la leur.