Ils étaient bien peu nombreux, ceux qui parvenaient à rencontrer les mystérieuses Moires. Personne ne savait exactement où elles se trouvaient. Artémis avait pris instinctivement le bon chemin, car elle avait suivi un petit oiseau bleu qui voletait juste devant elle. « Il doit être envoyé par mon papa Zeus », se dit-elle. L’oiseau bleu était un colibri. Il ne pouvait s’empêcher de sautiller, de virevolter et de tracer de joyeuses cabrioles dans l’air, comme s’il essayait de dire quelque chose à la fillette. Un peu essoufflée, elle s’arrêta et lui lança : « Cesse donc de me chatouiller la figure avec tes plumes, colibri, et dis-moi qui tu es ! » Mais l’oiseau ne répondait pas. Car l’heure n’était pas venue pour lui de révéler son nom. En revanche, il connaissait le chemin qui menait aux trois vieilles fileuses, pour être venu ici questionner l’origine de la vie. Il guida donc l’enfant jusqu’à la caverne des Moires.
Trois très vieilles femmes, habillées de longues robes blanches, au tissu aussi fin que des ailes de papillon, étaient assises là. Des couronnes de narcisses tressés avec d’autres fleurs et quelques feuilles étaient posées sur leurs cheveux blancs qui flottaient jusqu’à terre. Lorsque Artémis arriva auprès d’elles, les Moires levèrent la tête. Artémis découvrit qu’elles étaient aveugles ! Celle qui paraissait la plus jeune des trois posa le long fuseau pointu qu’elle tenait à la main, se leva et dit : « Bienvenue Artémis, nous t’attendions. Je m’appelle Clotho. » La seconde déposa la grande règle qu’elle tenait à la main et fit un pas en avant. Artémis recula, un peu effrayée. Ces trois vieilles avec leurs yeux blancs lui faisaient plus peur que les Cyclopes ! « Ne crains rien Artémis, dit-elle. Je m’appelle Lachésis. Oui, nous t’attendions avec impatience. » La plus âgée des trois se leva enfin péniblement. Les longs ciseaux qu’elle avait un instant posés sur ses genoux tombèrent. Bravement, Artémis s’approcha, les ramassa et les lui tendit. « Merci ma fille. Je m’appelle Atropos. Assieds-toi, je vais t’expliquer. »
Presque timidement, Artémis s’assit aux pieds d’Atropos. Celle-ci reprit la parole : « Tu vois ce mur là-bas ? demanda-t-elle. Les signes qui y sont inscrits sont les noms des humains qui vont naître. Pour chacun d’entre eux, Clotho va tisser un fil, le fil de sa vie. Lachésis prendra sa règle pour le mesurer. Il y aura de très longs fils et d’autres très courts. Ainsi va le monde. Les humains n’ont pas tous la même longueur de vie. Quand la fin du fil arrive, alors je viens le couper avec mes ciseaux… » Atropos ne termina pas sa phrase, mais elle fit claquer brutalement ses ciseaux et le bruit sec broya le cœur d’Artémis. La fillette pâlit. Bien qu’immortelle et ne craignant rien pour elle-même, elle éprouvait une immense tristesse pour ces pauvres humains, qui tous, un jour ou l’autre, verraient les cruels ciseaux couper le fil de leur vie. Comme pour atténuer la violence du geste de sa sœur, Clotho apporta un verre de lait de chèvre à Artémis et la gratifia d’un sourire.
Artémis reprit un peu d’assurance pour demander : « Mais qu’attendez-vous de moi ? » Ce fut Clotho qui intervint : « Eh bien voilà, tu as su aider ta maman à mettre au monde ton frère. À partir de maintenant, Ilithyie n’est plus en charge d’accompagner les naissances sur terre : cela te revient à toi. Tu seras désormais la déesse qui accueille chaque être humain dans la vie. Il faut se dépêcher, car il y a beaucoup de vies qui attendent déjà… » D’un geste, elle indiqua à ses pieds des pelotes de fils emmêlés. Artémis regarda les trois Moires et répondit avec gravité : « Je serai la déesse des Naissances. » Clotho s’approcha d’elle pour l’embrasser. Puis après l’avoir serrée dans ses bras, elle dit encore : « Ma sœur Lachésis a une dernière mission à te confier. » Lachésis poursuivit d’une voix grave : « Tu vois cette règle ? La vie d’un humain devrait être aussi droite qu’elle. Mais il faut leur apprendre à emprunter le bon chemin. Nous pensons que, toi qui vas les mettre au monde, tu seras une excellente formatrice. Acceptes-tu de protéger et éduquer les jeunes gens ? De les emmener de l’enfance à l’adolescence, puis de les conduire jusqu’à l’âge adulte ? »
C’était en vérité une bien lourde responsabilité. Artémis hésita. Au-dessus de sa tête, le joyeux colibri bleu battait gaiement des ailes, comme pour l’encourager. « J’accepte », dit-elle. Mais elle se demandait avec un peu d’inquiétude si elle saurait accomplir cette mission.
À SUIVRE