Cela faisait plusieurs jours qu’Artémis cheminait. Tantôt à pied, dans les sous-bois, tantôt sur son char tiré par ses biches. Elle évitait soigneusement les villes et tous les lieux où les hommes vivaient, préférant d’abord apprendre à connaître son royaume. C’est ainsi qu’elle arriva un matin sur le mont Pélion. Cette montagne était haute et couverte d’une végétation luxuriante : des platanes, des pommiers, des chênes, des hêtres… L’automne teignait les feuillages de toutes sortes de rouge et d’orange. Ce festival de couleurs réchauffa le cœur un peu triste d’Artémis. Mais son visage restait préoccupé.
Un bruit de course précipitée l’alerta soudain. Ses chiens dressèrent l’oreille. Maintenant des cris se rapprochaient. Artémis saisit rapidement une flèche et banda son arc. Elle n’eut pas le temps d’achever son geste que déboulait dans ses jambes un jeune garçon, vêtu d’une tunique en peau de léopard. Dans son élan, il fit trébucher la déesse. Les deux roulèrent dans la pente sur le tapis de feuilles mortes. Mais les poursuivants du jeune homme arrivaient. Ils étaient quatre, des jeunes garçons sensiblement du même âge, vêtus eux aussi de peaux de bêtes. Ne pouvant éviter les deux corps enlacés, ils tombèrent à leur tour ! Artémis mi-amusée, mi-agacée tentait de se relever lorsque arriva une jeune fille. Elle aussi courait, mais elle sut les esquiver avec agilité. Le sourire moqueur qu’elle arborait en regardant les garçons gesticuler au sol plut immédiatement à Artémis. Et la déesse partit d’un grand éclat de rire.
Les chiens aboyaient, les garçons grognaient, les filles riaient… « Holà ! cria une grosse voix. D’où vient tout ce raffut ? » Un personnage surprenant venait de surgir des taillis. Il portait une longue barbe blanche, son torse nu était celui d’un homme mais son corps et ses jambes étaient ceux d’un cheval ! Dès qu’il apparut, les jeunes gens se turent. « Bonjour, dit Artémis. Je ne sais qui tu es, mais moi je suis… » Sans ménagement, l’être mi-homme, mi-cheval lui coupa la parole : « Je te connais, moi. Bienvenue sur le mont Pélion, Artémis. Tu es sur mon territoire. Je suis le centaure Chiron. » Artémis avait déjà entendu parler du centaure le plus savant, le plus vieux et le plus sage de tous. Sa réputation était telle que tous les puissants du monde souhaitaient lui confier leurs fils en apprentissage. On disait qu’il enseignait les arts, les sciences mais par-dessus tout la manière d’être un humain respectueux des autres et des dieux. On murmurait aussi qu’il avait le don de divination, mais cela, personne n’en avait la certitude… Voilà une rencontre qui tombait à pic pour Artémis.
« Je ferais bien de m’inspirer des méthodes de ce grand éducateur pour remplir ma mission », pensa la déesse.
Comme s’il avait deviné ses pensées, Chiron l’invita à l’accompagner jusqu’à sa grotte. Elle s’empressa d’accepter, espérant trouver là une occasion de demander conseil au centaure. Pendant qu’ils se mettaient en marche, Chiron sermonnait sa jeune troupe. « Jason, tu courais le plus vite de tous ce matin. Mais il faut aussi courir avec ta tête, pas seulement avec tes jambes, dit-il au jeune garçon qui le premier avait trébuché. Si tu avais fait marcher tes yeux et tes oreilles, tu aurais deviné l’obstacle sur ta route avant de tomber. Quant à vous autres, Achille, Asclépios, Actéon et Héraclès, vous auriez pu vous aussi garder votre vigilance et ne pas tomber. » Puis, se tournant vers la jeune fille au regard effronté, il dit : « Atalante, je te félicite. Certes tu arrivais derrière eux, mais tu as fait preuve de réactivité. Ce matin, c’est toi que je déclare vainqueur. » Le coup d’œil narquois qu’Atalante jeta aux garçons n’échappa nullement à Artémis. Mais que pouvait bien faire cette fille parmi les élèves du vieux centaure ?
Une fois arrivés dans la grotte, les jeunes gens s’activèrent aussitôt. Artémis prit place en face de Chiron sur une grosse pierre plate qu’il lui avait désignée. « Puisque tu sais si bien qui je suis, commença-t-elle, tu devines donc aussi ce qui me préoccupe ? » Le centaure sourit. « Tes pas ne t’ont pas conduite ici par hasard, je suis la solution à ton problème, répondit-il. Établis des règles pour la chasse, et je me chargerai de les enseigner. Après tout, ma mission de professeur consiste à former mes élèves à devenir de bons guerriers, sans cruauté. Et toi, la déesse “kourotrophe”, tu as la charge d’accompagner les jeunes gens au seuil de leur vie d’adulte. Ensemble, nous écarterons d’eux toute bestialité, n’est-ce pas ? Nous ne pouvons qu’être complices toi et moi. »
Artémis était émue. Pour la première fois depuis le jour de sa naissance, elle rencontrait un allié, quelqu’un qui la comprenait sans qu’elle parle, quelqu’un sur qui elle pouvait compter. « Reste un peu parmi nous, reprit Chiron. Fais venir tes compagnes si tu le souhaites, vous êtes les bienvenues. » Artémis jeta un coup d’œil sur la petite troupe des élèves de Chiron. Son regard s’arrêta sur la seule qui faisait bande à part. Atalante ne semblait intéressée que par les flèches de son carquois qu’elle nettoyait avec grand soin sur ses genoux. « D’accord, dit Artémis, je reste un peu. » En décidant de séjourner quelque temps sur le mont Pélion, elle espérait bien percer le mystère de cette fille sauvage.
À SUIVRE