Dans lequel les chasseurs rentrent chez eux

Peu à peu le palais d’Œnée se vidait. Les chasseurs, désemparés par la tournure tragique des évènements, se séparaient en silence et prenaient le chemin du retour. Atalante se sentait vidée. Ses pas l’entraînèrent à l’écart du palais, dans un grand champ d’oliviers. Le feuillage argenté des arbres frémissait sous la caresse du vent. Atalante laissa couler ses larmes sans plus chercher à les retenir. Artémis, qui l’avait suivie discrètement, s’apprêtait à venir consoler son amie, quand la silhouette massive d’un homme apparut entre les arbres. « Atalante, tu n’es pas responsable de la sauvagerie de Méléagre, dit l’homme en posant une main sur son épaule. Viens ma fille. » Atalante tressaillit. Ce geste paternel qu’elle avait tant espéré et qui arrivait enfin ! Elle répondit d’une voix fervente : « Mais c’est pour me défendre que Méléagre a commis ces meurtres absurdes. » Iasos lui répondit calmement : « Toi, tu as chassé avec retenue et brio. Lui aussi d’ailleurs. Mais il n’avait pas encore appris à se contrôler. Dommage, ce n’était plus un enfant pourtant… Tu n’y es pour rien. Oublie tout ça maintenant, viens avec moi. On rentre à la maison. » Atalante avait tant rêvé de ce moment. Elle chercha du regard un appui et aperçut l’ombre de sa chère Artémis derrière un arbre. La déesse lui fit signe de suivre Iasos et lui envoya un baiser d’adieu. Alors, sans plus hésiter, la jeune fille suivit son père jusqu’à son char et elle s’en alla avec lui.

La nuit s’apprêtait à tomber. Et c’était déjà tout un froissement de feuilles, tout un crissement d’herbes séchées et d’ailes repliées. Les animaux du jour accueillaient le sommeil tandis que le petit peuple de la lune s’éveillait. Artémis aimait cet instant par-dessus tout. Elle essaya de chasser sa mélancolie en pensant à toutes ses amies qui l’attendaient sur le mont Pélion, la douce Callisto, la fougueuse Polyphonté, et toutes ces nymphes avec lesquelles elle pourrait reprendre ses folles courses dans les bois. Un sourire reparut sur ses lèvres lorsqu’elle vit, aux portes du palais, les quatre élèves de Chiron qui patientaient sagement. Elle prit la tête de la petite troupe et s’engagea sur le chemin du retour.

La route n’était pas très longue. Mais si Jason, comme toujours, caracolait en tête, il fallait sans cesse s’arrêter pour attendre Asclépios qui avait repéré une touffe de gentianes ou un buisson de millepertuis et voulait absolument en cueillir. Ces pauses aggravaient la mauvaise humeur d’Héraclès qui ne cessait de rouspéter. Asclépios le taquina : « Avoue plutôt que tu enrages de n’avoir pas pu séduire la charmante Déjanire, vu les circonstances, n’est-ce pas ? » Héraclès haussa les épaules : « C’est vrai, je sais que je ne lui déplaisais pas. Mais j’y retournerai un jour. » Artémis ne put s’empêcher d’intervenir : « En attendant Héraclès, tu ferais bien de méditer ce qui vient d’arriver à Méléagre. Prends-en de la graine ! Voilà où mènent les débordements de violence… » Mais Héraclès ne l’écoutait déjà plus, car il venait de se lancer dans une course avec Jason. Seul Achille ne desserrait pas les dents. Ils arrivèrent à la grotte de Chiron sans qu’il eût prononcé le moindre mot.

Comme l’accueil fut délicieux ! Ses compagnes fêtèrent son retour avec une pluie de pétales de fleurs. Elles offrirent à la petite troupe fatiguée des oranges encore acides et des raisins doux et sucrés. « Tiens, Actéon… Te voilà toi ! dit Artémis en découvrant le jeune homme. Tu ne regrettes pas que tes mensonges t’aient privé de cette chasse ? — Sûrement pas, fanfaronna Actéon. D’ailleurs, si j’étais venu, comme je suis le meilleur chasseur de la terre, c’est moi qui l’aurais tué ce sanglier. » Le rire moqueur des filles le fit taire. Le vieux centaure, lui aussi, semblait heureux de retrouver ses élèves. « Au fait, Chiron, tu as les salutations de mon père », lui dit soudain Achille. Son père ? Artémis lui adressa un regard interrogateur. « Ah, tu ne savais pas ? répondit Achille feignant de s’étonner. Tu te souviens du chasseur qui en aidait un autre à se relever quand Atalante a atteint le sanglier avec sa flèche ? » Artémis fit signe que oui. « Eh bien c’était Pélée, mon père… »

La surprise d’Artémis était totale. Dès qu’elle se retrouva seule avec Chiron, elle le questionna : « Si Achille est bien son fils, peux-tu m’expliquer l’indifférence avec laquelle Pélée l’a traité ? Impossible de deviner qu’il était son père ! Je ne les ai même jamais vus deux minutes ensemble… » Chiron cria en direction du buisson le plus proche : « Actéon, tu files maintenant ! Je t’ai déjà dit de perdre cette sale manie d’espionner et de fouiner partout. » Les feuilles du buisson s’agitèrent, et l’on entendit des pas précipités. Le centaure revint près d’Artémis et soupira. « C’est une histoire assez terrible. Une histoire dans laquelle je n’ai pas été très brillant, c’est le moins que l’on puisse dire… Mais je veux bien te la raconter quand même. » Les yeux d’Artémis pétillaient de curiosité. Quel était donc le secret d’Achille ?

 

À SUIVRE