Au cours duquel Poséidon se montre très mauvais perdant

Sans s’émouvoir, Athéna s’approcha à son tour. Elle brandit son javelot, frappa le sol et il en sortit… un arbre ! Oui, un arbre au feuillage bleuté, presque argenté. Un arbre sous lequel il devait faire bon l’été s’abriter des ardents rayons du soleil. Un arbre au tronc rugueux et noueux, solide et fier, prêt à braver toutes les intempéries. Un arbre dont les branches ployaient sous de petits fruits ovales et noirs. Athéna prit la parole d’une voix qui portait loin : « Cet arbre ne perdra jamais son feuillage, cet arbre vivra des siècles et des siècles sans jamais mourir, cet arbre vous offrira ses fruits à profusion chaque année, non seulement pour vous nourrir, mais aussi pour fabriquer de l’huile, ce trésor qui réjouira vos papilles et éclairera vos lampes, cette huile qui vous rendra célèbres par-delà les mers… Cet arbre s’appelle l’olivier ! » Un autre murmure d’admiration parcourut la foule. Les deux présents étaient somptueux !

Un grand silence suivit les deux déclarations des dieux. Lequel de ces précieux cadeaux serait jugé le plus utile ? Quel dieu serait choisi pour veiller sur la ville ? Le moment était solennel. Sans plus attendre, Cécrops lança le vote. Un par un, les habitants défilaient devant lui et exprimaient leur choix. Et voilà que chaque homme votait pour Poséidon, et chaque femme choisissait Athéna ! Dans la cité, il y avait autant d’hommes que de femmes, mais Artémis s’était glissée dans la file des femmes. Et Athéna l’emporta à une voix près ! Le roi Cécrops annonça le résultat ainsi : « Athéna, déesse de la Sagesse, tu nous as fait le don le plus précieux qui soit, celui qui nous assurera la prospérité à tout jamais, et sans que jamais nous ayons besoin de combattre. Ton arbre sera le symbole de la paix. Et notre ville portera désormais ton nom ! » La foule des Athéniens applaudit longuement sa nouvelle protectrice. Mais Poséidon, fou de rage, hurla : « Maudite cité qui laisse les femmes décider pour elle ! Cela va vous coûter très cher, croyez-moi ! Je me vengerai ! » Si Artémis était heureuse de l’issue de ce duel, si le choix d’un arbre comme suprême richesse ne pouvait que l’enchanter, elle regarda son oncle plonger au fond de l’océan avec appréhension. Elle savait qu’il ne fallait jamais prendre ses menaces à la légère.

Ce jour-là, la ville fut en fête. Allongées sur des divans, sur l’Acropole, Athéna et Artémis laissaient leur regard errer à leurs pieds vers les maisons qui descendaient en pente douce jusqu’à la mer. La cité qui venait de choisir Athéna était l’une des plus belles de Grèce et la déesse de la Sagesse rayonnait de fierté. « Il n’a décidément pas de chance, ce pauvre Poséidon », riait-elle malicieusement. « Pourquoi dis-tu décidément ? » questionna Artémis. Étonnée Athéna répondit : « Ah ? Tu n’es pas au courant ? » Et elle se mit à raconter à sa sœur avec de nombreux détails comment le dieu des Mers avait essayé, sans succès, d’obtenir la ville d’Égine, qui était restée sous la protection de Zeus ; puis comment il avait cherché à dominer l’île de Naxos, que Dionysos avait finalement emportée. « Et sais-tu qu’il s’est aussi fait souffler la ville de Corinthe par Hélios ? Ainsi que la cité d’Argos et toute l’Argolide par Héra ? » Artémis écoutait d’une oreille distraite. Elle allait dire à sa sœur combien ces querelles de pouvoir et ces bagarres entre les dieux l’ennuyaient, quand un grondement se fit entendre. Une sorte de rugissement, qui n’avait rien d’humain ni d’animal, fit trembler de peur tous les Athéniens autour des déesses. Ce mugissement semblait provenir du ventre de la mer à leurs pieds. C’est alors qu’elles virent avec stupéfaction l’océan se soulever et d’énormes vagues, aussi hautes que des montagnes, surgir de la mer et se ruer à l’intérieur de la ville. L’eau déferla en un instant dans un bruit assourdissant. En quelques minutes, les rues furent dévastées. Un torrent de boue envahit les maisons. On entendit les cris de terreur des habitants cherchant à échapper aux flots en furie. Bientôt, les hurlements s’éteignirent, laissant la place à des gémissements et des plaintes. Dès les premières vagues, Athéna avait bondi de son siège. « Maudit Poséidon ! hurla-t-elle. Tu es un mauvais perdant ! Ta vengeance est scandaleuse ! » Mais la soudaineté et la violence de ce raz-de-marée ne lui laissèrent pas le temps d’intervenir. En quelques instants, Athènes avait été engloutie sous l’eau et de nombreux citoyens avaient perdu la vie.

 

À SUIVRE