Le soir du retour d’Artémis, le centaure l’avait consolée sans un mot. Mais le lendemain, la déesse, se sentant peut-être moins fragile, lui demanda : « Chiron, montre-moi s’il te plaît ce qui attend Atalante. Je suis prête maintenant à tout voir. » Le centaure poussa un gros soupir : « Tu n’as pas tort de t’inquiéter. Car une déesse de ta famille va encore une fois semer le désordre parmi les humains. Tu veux vraiment savoir ? » La gorge serrée, Artémis fit un signe de tête et s’approcha du feu. « Tu l’auras voulu, murmura le centaure en attisant le feu, regarde bien ces flammes… » Artémis se pencha et elle vit apparaître distinctement deux silhouettes à cheval. Elle reconnut Atalante et Hippomène. Carquois et arcs en bandoulière, ils chevauchaient joyeusement. Atalante avait noué ses cheveux, qui semblaient à nouveau coupés court. Hippomène au contraire avait lâché les siens qui flottaient sur ses épaules. Sur leurs selles, on devinait les proies déjà attrapées. Leur chasse était fructueuse et ils riaient aux éclats. Il faisait chaud et ils mirent pied à terre près d’une source pour que leurs chevaux se désaltèrent. Hippomène s’approcha d’Atalante et l’enlaça tendrement par la taille. À deux pas de là se dressait un magnifique temple. Était-il dédié à Zeus, à Cybèle ou à Aphrodite ? Artémis n’arrivait pas à distinguer les sculptures qui ornaient le bâtiment. Mais ce temple, comme tous les temples, était sacré, puisqu’il était la demeure d’un dieu.
À cet instant Chiron fit un geste discret. Il pointa du doigt un arbre, à l’arrière de la scène. Derrière, Artémis distingua très bien celle qui se dissimulait si mal : c’était Aphrodite. « Tu te souviens des pommes d’or qu’Hippomène a utilisées pendant la course ? Eh bien, c’est Aphrodite qui les lui avait données. Mais après avoir eu recours à son aide, il a tout bêtement oublié de la remercier ! Et tu te souviens comme Aphrodite se sentait offensée par le dédain d’Atalante pour l’amour. Elle espérait qu’une fois amoureuse et mariée, elle lui serait reconnaissante. Mais rien de tel n’est arrivé. Aussi ta tante, furieuse, ne les perd pas de vue. Elle les épie et guette leur moindre faux pas… »
En sueur, le sang fouetté par leur chevauchée, les jeunes gens s’embrassèrent passionnément. Puis, comme possédés par un désir irrépressible, ils se dévêtirent. Et cherchant un abri pour protéger leurs ébats, ils pénétrèrent dans le temple et refermèrent les portes ! Artémis n’en croyait pas ses yeux…
Ils avaient osé… Le dieu à qui ce temple était dédié ne laisserait jamais un tel sacrilège impuni, elle le savait bien… De longues minutes passèrent. Soudain les portes du temple s’ouvrirent à nouveau et deux lions en surgirent. L’un avait le regard affolé, l’autre, triste. Aphrodite sortit alors de sa cachette et s’adressant à eux d’un ton sévère leur dit : « Vos désirs amoureux vous ont conduits à profaner un temple ! Et votre ingratitude à mon égard est aussi une faute impardonnable. Je vous ai donc châtiés. Désormais vous ne serez plus jamais unis, plus jamais un couple. » Les deux lions poussèrent un rugissement désespéré, échangèrent un long regard amoureux et disparurent au loin, poursuivis par le rire d’Aphrodite.
Puis tout se brouilla à la vue d’Artémis qui resta hébétée devant les flammes du foyer. « Ce n’est pas possible, pas possible, répétait-elle. — Je t’avais prévenue, soupira Chiron. — Mais enfin ! C’est trop injuste ! s’écria-t-elle en se levant brusquement. Quel mal avaient-ils fait ? Ils s’aimaient ? Et alors ! Ils s’étaient choisis ! Et alors ? Ils n’étaient pas les jouets d’Aphrodite, ils étaient libres de leurs destins. Que de cruauté ! » La déesse était debout, prête à combattre un ennemi invisible. Elle n’essuyait pas les larmes qui coulaient sur son visage. Une rage impuissante l’habitait. Elle tendait ses poings en avant, comme pour terrasser le mal. Mais seule la nuit s’offrait à elle. Chiron lui posa la main sur l’épaule et la fit doucement rasseoir. Peu à peu, la colère lâcha prise. Artémis, la tête baissée, fixait un point sur le sol entre ses jambes. Elle n’entendait plus rien, ne voyait plus rien, dégoûtée par le sort réservé à toutes ses amies. Très abattue, elle dit à Chiron : « Tu vois, mon expédition sur l’Olympe n’a servi à rien. Les dieux de ma famille continuent à faire n’importe quoi avec la vie des humains. » Puis elle plongea dans un profond silence.
Le centaure ne savait comment répondre à cette grande douleur, à cette légitime colère qui semblait engloutir Artémis tout entière. L’aube n’allait pas tarder à poindre lorsqu’il eut une idée. Il s’approcha d’elle et lui dit gravement : « Peut-être que ton intervention n’a pas été inutile pour tout le monde, qui sait… » La déesse releva la tête, semblant émerger d’un brouillard noir. « Pourquoi dis-tu cela ? » répondit-elle. Chiron se leva : « Ça te dirait un petit voyage avec moi ? Nous pourrions partir demain par exemple. » Et sans attendre la réponse, il conclut : « Allons nous reposer maintenant, la route sera longue… »
À SUIVRE