Le cheval de bois avait rechigné à accepter Arec sur son dos. L’ex-stathouder était immunisé et cela se manifestait par une allergie des autres à son égard. Établir un contact physique était éprouvant pour les métamorphes qu’ils avaient créés. Vesper s’était installé sur l’encolure de l’animal, si tant est que l’on pût qualifier ainsi un être qui n’avait que du sang de navet dans les veines.
La monture d’Arec galopait maintenant entre les troncs sinueux, soulevant des nuages dorés, comme s’il était téléguidé. La forêt ne constituait probablement qu’une seule et unique conscience. Arec se demandait même si les autres, tous les autres, disséminés aux quatre coins de la planète et des univers adjacents, ne constituaient pas une gigantesque ruche… Il frissonna sur sa monture. Vesper l’extirpa de ses vertigineuses pensées.
— Regarde !
Arec essaya de voir ce que lui indiquait Vesper. Sans succès.
— Sur les troncs ! insista la chicherie.
Arec hurla. Il venait de voir son propre visage, une partie de sa monture et… Vesper qui faisait des grimaces !
Les troncs grouillaient de lézards de verre. Leur corps était recouvert d’écailles-miroirs qui reflétaient la forêt environnante, les rendant ainsi quasiment invisibles…
— Extraordinaire…
— Des reptiles de silicium…
Arec faillit rebondir sur sa vision de ruche cyclopéenne, mais les écailles-miroirs ravivèrent dans son esprit l’image d’Anjelina et de sa robe fourreau mi-miroir mi-vitre dont la matière déjouait avec roublardise les ruses singulières de la lumière.
Il remarqua alors que sa monture était en train de se démantibuler. Des fragments d’écorce sifflaient de part et d’autre de ses oreilles. Vesper s’en rendit compte également et bondit sur l’épaule d’Arec, évitant de justesse l’oreille gauche du cheval de bois.
Arec tira sur les rênes. Le cheval ralentit au moment même où une de ses pattes se brisait. Les trois autres suivirent le mouvement et l’animal racla le sol de son ventre. Arec sauta avant que ses pieds ne soient rabotés à leur tour.
— C’était moins une, soupira Vesper.
Un guerrier arriva aussitôt avec un cheval de rechange.
— Ils se mutilent pour toi, dit Vesper.
— Je ne crois pas qu’ils en souffrent trop. Et puis ils ne font pas ça pour moi, mais pour Anjelina. Des nouvelles d’Ismaël ?
— Kô est rentré sans encombre. Les vagues de bois l’ont laissé passer. Ils étudient un plan de fuite.
— Qu’est-ce que tu entends par là ?
Ils galopaient de nouveau. Le dos du cheval, uniquement constitué de lianes tressées, était plutôt souple et presque aussi confortable qu’une véritable selle.
— Par là je n’entends rien du tout.
— Tu ne me l’as pas déjà faite, celle-là ?
— Je ne crois pas, mais tu as peut-être raison. Un plan de fuite, c’est aussi l’ensemble des points de fuite d’un plan…
Les troncs filaient sur les côtés à grande vitesse. Arec se demanda de nouveau si tout ceci n’était pas qu’un rêve. Depuis qu’il avait effacé Anjelina, ou son double, la réalité, selon la formule consacrée, ne lui échappait pas mais avançait masquée, à tel point qu’il ne pouvait qu’en douter.
Il y avait de plus en plus de lézards de cristal, et il se demanda à quoi ils pouvaient bien servir. Comme cette armée d’apparence humaine et animale ? Avait-elle été créée par empathie, mimétisme ? Pour servir l’Homme ? Ou plutôt la femme…
Le paysage changea brusquement. Les troncs s’espacèrent et le sol s’inclina en une légère pente ascendante. La lumière était moins glauque, la clarté opalescente du ciel parvenait jusqu’au sol. Le paysage entier s’éclaircissait. La pente s’accentua, et soudain la vue fut entièrement dégagée.
Les arbres s’écartaient sur les côtés et se penchaient vers l’avant. L’espace entier se distordait. Les troncs s’inclinaient de plus en plus et finissaient par s’amalgamer, au loin, en un promontoire cyclopéen : un calice au cœur duquel le cercueil d’Anjelina resplendissait telle une perle de nacre.
*
Tout autour du cercueil, le promontoire grouillait de lézards de cristal. À cinq cents mètres du but, le cheval d’Arec rendit l’âme. Il perdit d’abord une oreille, puis une grosse partie de son flanc gauche. Le cou commença alors à se disloquer et Arec préféra arrêter sa monture avant qu’elle ne perde la tête.
Les lézards s’écartaient sur leur passage en soulevant des nuages de poudre dorée.
— Je suis un peu angoissé, murmura Arec.
— Tu as peur de quoi ? De découvrir le véritable visage d’Anjelina ?
— Je ne sais pas. Je n’arrive pas à accepter l’idée que tout ce qui se passe autour de moi est réel.
— Processus standard de déréalisation. Le monde extérieur t’apparaît extravagant, voire saugrenu. Tu es trop anxieux. Et cette tension psychique entretient ton sentiment d’irréalité.
— Qu’une chicherie affublée d’un groin de porc s’exprime comme un psychothérapeute n’arrange certainement pas la situation.
— Ah bon, tu arrives pourtant à plaisanter alors qu’il y a quelques secondes à peine tu étais totalement stressé.
Arec essaya de riposter, mais Vesper avait raison, le chiroptère braillard lui permettait finalement ne pas céder à la panique.
Le spectacle qui s’offrait à eux accapara soudain leur attention.
Le cercueil d’Anjelina était immense. Une architecture miroir qui reflétait la lumière opaline du ciel. Les zébrures de plomb paraissaient couler sur la surface même du verre. D’encore plus près, Arec eut l’impression que le verre tremblait. Ils en discernèrent finalement les détails.
La coupole miroir était entièrement constituée de papillons de verre.
*
Arec s’approcha, main tendue. Lorsque cette dernière effleura une aile, il y eut comme une aspiration de temps. Tout se figea. L’espace environnant, la coupole, les âmes.
Puis il y eut une explosion silencieuse et les lépidoptères de cristal s’envolèrent en tous sens, reflétant en un collage surréaliste des fragments de ciel et de forêt.
Il ne restait plus que le cercueil d’origine. De bois et de verre. Réel, avait envie de penser Arec, mais il s’abstint de fixer ce concept dans ses réseaux de neurones. Il avait de nouveau peur. Une angoisse cellulaire qui lui donnait le vertige.
— Tu tiens le coup ? demanda Vesper.
— Non.
— Moi non plus.
Arec s’avança et toucha le montant du sarcophage du bout des doigts. Puis il fit encore deux pas. Et…
Bien sûr, cette Anjelina n’apparaîtrait pas en robe longue, avec chapeau à voilette, gants de dentelle et ombrelle aux teintes pastel. Bien sûr, elle ne correspondrait en rien aux clichés déjà archaïques qui dessinaient les riches oisives des stations balnéaires et qui, de façon saugrenue, suggéraient que les hologrammes eux-mêmes pouvaient jaunir…
— Arec…
Volants et guipures… De toute manière, quelle que fût sa tenue vestimentaire, il allait la…
— Arec !
… sauver.
Il cligna des yeux et reconstitua instantanément l’univers autour de lui : forêt de légende, armée de bois, lézards et papillons de cristal, belle endormie et… monstre tapi.
— Arec, tu es là ?
— Oui, oui… Ne t’inquiète pas. J’ai décroché un moment mais tout va bien. Mon Dieu qu’elle est belle !
— Tu es croyant ?
— Pas jusqu’à présent. Mais là…
— Bon, quelle est la marche à suivre ?
— C’est à Ismaël qu’il faudrait le demander.
— Exact. Il dit que tu dois la ressusciter.
— Elle est vraiment morte ?
— Non. Semi-morte seulement.
— C’est-à-dire ?
— Mort provoquée par refroidissement jusqu’à 0 degré Ra.
— C’est-à-dire ? Comme toi mais sans les ailes ?
— Ah c’est malin. Un degré Ra équivaut à un degré Kelvin selon l’échelle Rankine. Autour du zéro absolu, les lois de la physique sont totalement bousculées, c’est ce qui permet aux congelés de se connecter. Les autres leur donnent le coup de pouce nécessaire pour stabiliser la liaison…
— Bref, les degrés Ra, c’était pour frimer.
— Pas du tout. Lorsqu’on sait que Ra est le dieu soleil, grand démiurge d’Héliopolis, je trouve ça paradoxalement séduisant d’utiliser cette unité pour le zéro absolu.
— OK. Mais on n’a cryogénisé que des gens malades, très malades, quasiment morts en fait. Si on la sort de son coma, elle risque de mourir pour de bon, non ?
— Les autres se sont occupés d’elle et ont remis un peu d’ordre dans ses viscères.
— Comment sais-tu tout ça, toi ?
— Ismaël. Moi je ne sais rien. Mais je vois tout, j’entends tout et je dis tout.
— Tu parles…
— Enfin, presque tout. Bref, tu peux la réveiller sans crainte.
— Et je fais ça comment ? En l’embrassant comme dans un conte de fées, peut-être !
— Exactement. Tu as déjà vu quelqu’un faire autrement ?
— C’est Ismaël qui dit ça ?
— Non, ce coup-ci c’est moi.
— Je l’aurais parié.
— Ismaël dit que tu dois poser les mains à plat sur le verre et attendre.
— Le dégel ?
— Bien vu.
*
Le verre était devenu tiède. Il se mit à palpiter. Un liquide céruléen irrigua un réseau de veines transparentes. Le couvercle vitré se fendit en son centre, dans le sens de la longueur ; deux ailes gigantesques et translucides se déployèrent. Vesper se laissa glisser dans la poche DO-DO dont il agrippa le rebord en ne laissant dépasser que sa tête.
Le bois du sarcophage craquait, se gonflait, se boursouflait, se fendillait, se métamorphosait sous les yeux ébahis de la chauve-souris.
— Tu ne penses pas qu’on devrait s’éloigner un peu ?
Arec était subjugué.
— Qu’est-ce que…
— Il se métamorphose !
Six pattes venaient de pousser sur les flancs du cercueil.
— En scarabée, poursuivit Vesper médusé. Ce qui est plutôt bon signe car ce coléoptère est toujours associé à l’idée de transformation et de résurrection dans l’art funéraire égyptien.
L’insecte géant s’était immobilisé, élytres dressés et pattes fléchies. Anjelina était allongée au creux de l’abdomen. Elle portait une combinaison en latex très fine de la même couleur que sa peau. On ne distinguait qu’une discrète marque de séparation au niveau des poignets, des chevilles et du cou. Sa chevelure noire était comme un cri posé sur le revêtement blanc. Ses paupières étaient closes. Arec mit sa main sous ses narines. Aucun filet d’air ne vint caresser sa peau.
— Elle est morte.
— Impossible. Embrasse-la.
— Tu y tiens…
— Et toi ? Tu n’y tiens pas, peut-être ?
— OK, mais tu restes dans la poche DO-DO. Interdit de jouer au voyeur.
— Tu plaisantes ?
— Absolument pas.
*
Lorsque Arec se pencha vers l’intérieur du cercueil, Vesper grimpa le plus discrètement possible le long de son flanc. Les lézards de cristal étaient disposés en cercles concentriques autour du sarcophage de Sélène, comme les anneaux de lumière d’une lune imaginaire.
Arec approcha ses lèvres de celles d’Anjelina. Il tremblait de tous ses membres, y compris ceux qui se tortillaient dans qui sait quelles crépusculaires dimensions, mais tout ceci n’était qu’un rêve, et il ne risquait absolument rien…
Ses lèvres touchèrent celles de la semi-morte. Il n’avait jamais éprouvé une tension érotique aussi intense. Mais il n’eut pas le temps de s’ébattre plus longuement dans son champ fantasmatique. Il sentit plus qu’il ne vit le bras d’Anjelina se lever puis sa main le gifler.
Elle redressa le buste.
— Excusez-moi, dit-elle. Un vieux réflexe. Mais après vingt ans d’abstinence, ça fait du bien.
Elle le prit par les épaules, l’attira vers elle et l’embrassa…
*
Et la forêt rugit.
Le scarabée se dressa instantanément sur ses pattes.
Vesper, éjecté de son perchoir, grimpa péniblement dans la poche DO-DO.
— La Bête se réveille, dit Anjelina.
— J’ai encore envie de vous embrasser, répondit Arec, totalement défoncé.
— L’idée pourrait également me séduire, mais si on n’élabore pas immédiatement un plan d’attaque, on va se faire déchiqueter.
Arec se vit aussitôt broyé par de gigantesques crocs et fut instantanément dégrisé.
— Vous avez bien une petite idée, non ? Vous n’avez pas élaboré toute cette stratégie sans prévoir la fin.
— Je n’ai rien préparé du tout. C’est Isis qui a contacté Ismaël. Et c’est lui qui vous a recruté, ainsi que votre ami Kô. Depuis que les autres m’ont emmenée dans ce volvox, je suis déconnectée.
— Et moi, qui m’a recruté ? fit Vesper en sortant la tête de la poche DO-DO.
— Personne, vous êtes là par hasard…
— Que dit Ismaël ? s’inquiéta Arec.
— Rien. Son plan s’arrête là. Pour la suite, il te fait entièrement confiance.
— Il me fait confiance ? ! Mais je rêve !
— C’est pas impossible, fit Vesper.
Le rugissement était maintenant si fort qu’ils s’entendaient à peine parler. Le promontoire surplombait le paysage environnant et Arec distingua une masse énorme pulvérisant une forêt à l’opposé de celle qu’ils venaient de traverser. Les troncs voltigeaient tels des fétus de paille et on apercevait de temps en temps ce qui pouvait s’apparenter à une patte, une queue ou un tentacule émerger de la masse végétale en fouettant le ciel opalin qui s’obscurcissait à vue d’œil.
— Ça sent le roussi, dit Vesper.
— Appréciation timide. Je dirais plutôt le cramé.
Lorsque le monstre émergea de la forêt en une explosion d’arbres et de guerriers de bois, l’appréciation d’Arec s’avéra elle aussi plutôt faible.
Les contours de la Bête étaient légèrement flous, comme si elle naviguait entre deux mondes et qu’une partie de son corps était invisible. Elle avait un thorax, un abdomen, des pattes et une tête, mais il était nécessaire de faire appel à une nouvelle terminologie pour qualifier le reste. Elle était couleur de rocaille. Dragon au cœur de pierre. Couleur d’ivoire et en avait le tranchant. Ses contours étaient d’Apocalypse et son rugissement nucléaire.
— C’est par où, la sortie ? couina Vesper.
Arec voulut aider Anjelina à s’extirper du sarcophage, mais cette dernière le repoussa.
— Je vous conseille plutôt de grimper.
Les fantassins et les cavaliers de bois se ruaient sur le monstre par milliers. Et ce dernier les pulvérisait les uns après les autres.
— Il est bien plus puissant que la dernière fois. Il a trouvé le moyen d’accumuler de l’énergie. On l’a peut-être rechargé à distance… Ou bien il a trouvé ici un combustible à sa convenance.
— Il y a tout de même une chose qui me chiffonne, fit Arec.
— Ça ne doit pas être si grave que ça. Grimpez !
— Comment se fait-il que ce monstre ait attendu aussi longtemps pour attaquer ? Il aurait pu le faire avant notre arrivée. Ça n’aurait pas changé grand-chose…
— Comment pouvez-vous penser à ce genre de détail à un moment pareil ? Vous êtes scénariste ou quoi ? ! La Bête sera là dans moins d’une minute et si on ne bouge pas, elle va nous bouffer tout crus !
— Vous voulez qu’on se la joue façon Roméo et Juliette ?
— Mais bordel de merde, vous allez grimper dans ce cercueil ou vous préférez que je vous y balance par la peau des fesses ! ! ? !
Stupéfait, Arec grimpa en un clin d’œil dans le sarcophage scarabée.
— Désolé pour ce léger emportement, s’excusa Anjelina. J’ai passé plusieurs années en semi-mort et j’ai fini par m’ennuyer. Alors la mort, je préfère éviter ! Mon petit prince me ferait donc particulièrement plaisir en bougeant son cul, OK ?
Les rugissements avaient redoublé d’intensité. Ce qui signifiait tout simplement que le monstre était deux fois plus proche. Toute l’armée de bois paraissait s’être regroupée entre la Bête et le promontoire végétal. L’armée chargea et, l’espace d’un instant, le monstre fut étouffé sous un amoncellement de guerriers. Deux gigantesques ailes de cuir couleur cendre s’extirpèrent alors de la pyramide et se déployèrent contre la toile lactée du ciel.
En une chorégraphie semblable à l’irruption d’un cratère, la Bête s’envola.
— Bordel de merde ! hurla Anjelina. Il a vraiment rechargé ses batteries !
Dans la poche DO-DO, Vesper regrettait presque l’ambiance concentrationnaire de la ferme aux chimères.
La Bête prit de l’altitude puis se laissa chuter en piqué sur le promontoire, gueule béante, prête à gober le sarcophage qui n’était pour elle qu’une simple mouche.
Arec déglutit et esquissa un sourire débile.
— Je n’ai aucune idée, et vous ?
— Accrochez-vous !
Le cercueil-scarabée trotta alors sur ses six pattes de bois et d’un grand coup d’élytres s’envola dans l’ombre projetée par la gueule du monstre.
Les mâchoires de la Bête claquèrent à quelques centimètres des fesses en bois du coléoptère.
— Waouh ! On l’a échappé belle !
Arec était sidéré.
— J’ai l’impression de participer au remake de David et Goliath…
— Impeccable ! Dans l’histoire originale, c’est David qui gagne, non ?
Arec était amoureux. Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Cette femme était extraordinaire. Il ne pouvait pas crever là, les bras ballants, et la laisser mourir avec lui.
— Il doit y avoir une solution, murmura-t-il.
Le scarabée échappa par deux fois à la gueule du monstre en faisant d’incroyables embardées. Arec se demanda qui le pilotait. Les autres ? Anjelina ? Probablement les deux…
— Même si nous atteignons la faille, il ne fera de nous qu’une bouchée, dit Anjelina.
Arec repensa alors aux chevaux de bois qui l’avaient conduit jusqu’au promontoire. Ils s’étaient disloqués très vite. À cause de son immunité qui agissait comme un virus létal au contact des autres.
— La Bête a été conçue à la ferme aux chimères, n’est-ce pas ? Répondez-moi sans chercher à savoir pourquoi je vous pose cette question.…
Un peu déstabilisée, Anjelina obtempéra.
— Oui, c’est une de leurs expériences limites. Elle est bourrée de puces et son corps est presque autant virtuel que matériel. C’est ce qui fait sa force et la rend quasiment indestructible.
— Parfait.
Ce fut l’instant que choisit le scarabée pour perdre une de ses pattes.
— Merde… grommela Arec. Ça confirme mon idée mais ce n’est pas très bon pour la suite. Nous sommes encore loin de la faille ?
— Non. Nous y serons dans quelques secondes.
— Alors foncez, si tant est que vous pilotiez ce putain d’engin, sans chercher à comprendre.
— Mais…
Arec n’en dit pas plus. Il se plaça à l’arrière du scarabée, face au monstre qui était de nouveau prêt à faire claquer sa mâchoire.
La tête de Vesper émergea de la poche DO-DO.
— Tu vas faire quoi, là ?
— S’il existe un Dieu pour les chicheries, je te conseille de prier…
La gueule du monstre s’ouvrit. Arec grimpa sur le bord arrière du sarcophage et bondit dans l’orifice puant qui béait devant lui. La Bête referma instinctivement sa gueule. Et le scarabée franchit la faille.
*
Ce fut certainement l’expérience la plus traumatisante qu’Arec ait jamais vécue. Passée et à venir. Si un avenir existait encore. Rien ne pouvait être pire. Ou peut-être si. Affronter le train fantôme le plus terrifiant du monde à l’âge de trois ans, seul à l’intérieur d’un wagonnet.
En dehors de l’odeur à faire vomir un mort et du contact visqueux, spongieux, gluant, glaireux des viscères de la Bête qui évoquaient le baiser d’un poulpe, les sucs gastriques commencèrent à faire leur effet. Arec sentit sa peau brûler, puis il commença à étouffer.
Et le monde explosa.