Chapitre 6

 

 

 

Encore une nuit mouvementée, mais différemment. Pas de voix dans sa tête ou de cauchemars. Non.

Délila est épuisée et dort paisiblement quand elle sent une présence. Elle essaye d’ouvrir les paupières mais ne distingue rien dans le noir complet. Rien mis à part deux yeux luisants. Elle se redresse hâtivement dans son lit tout en cherchant l’interrupteur de la lumière.

La pièce est vide.

La jeune femme tremble de tous ses membres, son cœur battant la chamade. Elle n’a pas rêvé, elle en est certaine. Néanmoins c’est la seule explication possible, aucun vampire ne peut entrer chez elle.

Elle tente de se remettre de ses émotions quand elle entend une porte claquer.

Sa porte d’entrée ?

Impossible.

L’a-t-elle verrouillée ? Elle ne parvient pas à s'en souvenir.

Elle se lève, les jambes flageolantes, puis ouvre lentement la porte de sa chambre pour écouter ce qu’il se passe de l’autre côté.

Rien.

La jeune femme ravale la boule qui se forme dans sa gorge avant d’ouvrir plus grand pour se créer un passage et avoir une meilleure vue.

Rien.

Elle marche alors jusqu’à sa porte d’entrée qui est fermée. Elle actionne la clenche pour constater qu’elle est verrouillée.

Délila sent qu’elle perd la tête.

Aucune fenêtre n’est ouverte, ce ne peut donc pas être un courant d’air. Un coup d’œil sur l’horloge lui indique qu’il est trois heures. Une chose est sûre, il lui sera impossible de se rendormir.

C’est avec une tête de déterrée que, cinq heures plus tard, la journaliste arrive à son bureau après avoir déposé Sullivan à la crèche.

La première chose qu’elle fait, après avoir allumé son ordinateur, c’est avaler un café. Mais rien n’y fait, elle veut juste dormir.

Délila ?

L’interpelée pose son regard fatigué sur Anaïs qui rayonne avant de froncer les sourcils.

Qu’est-ce que tu as ?

J’ai mal dormi.

Je constate. Encore des cauchemars ?

Qu’est-ce que tu tiens ? l’interroge-t-elle pour dévier la conversation.

Annie Bagard.

La journaliste ferme les yeux. Encore une victime.

Maintenant que Navet et Bagard forment Nagar, doit-elle en conclure qu’elle sera la prochaine ?

Même mode opératoire, même description. On n’a toujours pas le droit de parler de vampires, mais de tueur en série, l’informe son amie.

Pff ! peste Délila.

Tu devrais aller dormir. T’as vraiment une sale tronche !

Elle balaye sa remarque d’un revers de la main.

Tu te charges d’écrire l’article ?

Oui.

Délila réclame tout de même à le lire, même si aucune information capitale n’y figurera, elle le sait déjà.

Anaïs accepte, lui conseillant une nouvelle fois de se reposer avant de sortir de son bureau.

La journaliste se laisse tomber contre le dos de son fauteuil, jouant avec son stylo en se demandant ce qu’il va advenir d’elle. Ce qu’elle doit faire. À nouveau, elle repense à l’ancienne propriété du Duc Lancaster. Peut-elle seulement envisager d’y retourner ?

C’est absurde et déraisonnable.

Deux coups sont frappés à sa porte avant que Drew n’entre dans le bureau.

Salut, ça… Qu’est-ce qu’il se passe ? demande-t-il en voyant sa mine épuisée.

Tout va bien.

Il la sonde du regard avant de l’accuser de lui cacher la vérité.

La jeune femme avoue alors qu’elle a du mal à dormir ces derniers temps, mais n’en explique pas la raison.

Drew se méprend sur celle-ci et la comprend, pensant que n’importe qui serait bouleversé à sa place.

Délila accepte enfin de faire tomber le masque et d’avouer être inquiète.

Le jeune homme s’approche d’elle et l’oblige à se lever avant de la serrer contre lui.

Je suis là, murmure-t-il contre ses cheveux. Tu vas venir chez moi ce soir et tu pourras dormir.

Ça ne changera rien. Je ne trouverai plus le sommeil tant que les vampires ne seront pas hors d’état de nuire.

Il lui caresse les cheveux pour l’apaiser alors qu’elle lutte contre elle-même pour retenir ses larmes. Elle a besoin de se laisser aller, mais pas ici, pas comme ça, pas avec lui. Il la connaît bien et se doute qu’elle ne dit pas toute la vérité. Elle a vécu bien pire que ce qui est en train de se passer – selon Drew. Il ne comprendrait pas qu’elle craque pour si peu.

Mais elle en est au point où rentrer chez elle devient dur. Le pourra-t-elle seulement jusqu’à lundi, jour de l’arrivée du chasseur ?

 

***

 

Drew a souhaité raccompagner sa petite amie chez elle après le travail, il sait qu’il ne peut pas rester longtemps car Délila veut qu’il soit rentré quand la nuit sera tombée. Il ne souhaite pas qu’elle se fasse du souci pour lui alors il ne discute pas ce point.

La jeune femme se sent plus rassurée de franchir le seuil de sa porte en compagnie de Drew. Sparky leur fait la fête quand il les voit arriver. Sullivan accompagne le chien dans le jardin pour faire ses besoins, surveillé par Drew alors que Délila fait un rapide tour de la maison pour vérifier que personne ne s’y cache.

Comme si c’était possible pour un vampire en pleine journée !

Elle tente d’afficher un visage serein en allant rejoindre les hommes à l’extérieur. Elle sourit en regardant Drew et Sullivan jouer au ballon.

Sa vie calme lui manque !

Elle réalise qu’elle ne pourra plus passer de soirées barbecue avec ses amis tant que les vampires rôderont. Elle espère alors que cela ira vite, doutant de supporter longtemps les terribles évènements qui la torturent nuit après nuit.

Avant de s’en aller, Drew ferme les volets et embrasse Délila.

Une fois seule avec son fils, la jeune femme angoisse terriblement. Peut-être aurait-elle dû proposer à son petit ami de passer la nuit ici ? Mais c’était prendre le risque qu’il découvre la vérité.

Comme à chaque fois, le dîner est calme, la douche aussi, ainsi que le coucher de Sullivan.

Délila ne souhaite même pas regarder un film, épuisée, elle se glisse dans son lit, mais non sans appréhension. Elle ne parvient pas à lutter contre le sommeil qui l’emporte instantanément quand elle ferme les yeux...

Un petit vent glisse sur sa peau, elle ressent le froid. Délila cherche à tâtons sa couverture, mais ne parvient qu’à toucher sa peau. Elle s’étire, son pied heurtant un caillou.

Un caillou ?

Elle ouvre aussitôt les yeux et s’assoit pour prendre conscience qu’elle n’est plus dans son lit, mais bien sur le sol terreux dans la propriété qu’elle fréquentait autrefois. Celle de Sulli.

D’un côté le manoir, de l’autre la forêt.

Elle se met sur ses jambes, constatant qu’elle porte la chemise de nuit avec laquelle elle s’est endormie.

Délila est persuadée de ne pas rêver. Elle regarde autour d’elle, ne voyant aucune lumière si ce n’est celle de la pleine lune.

Mais alors, si elle ne rêve pas, c’est qu’elle est dehors en pleine nuit ! À la merci des vampires.

Elle déglutit.

Que fait-elle ici ? Et comment y est-elle arrivée ?

Terrorisée, elle ne parvient pas à réguler sa respiration et hurle de désespoir.

Quand elle reprend finalement son calme, elle erre dans la propriété tentant de calmer sa respiration saccadée et les battements de son cœur.

Sans succès.

Elle sursaute en entendant des branches craquer, des bruits de pas dans l’herbe. Lorsqu’elle fait volteface, elle ne voit personne.

Soudain, elle entend son prénom.

Délila !

À nouveau prononcée dans sa tête, cette voix féminine la rend folle. Elle se bouche les oreilles, tournoyant sur elle-même, mais rien n’y fait.

Délila se laisse tomber, genoux à terre, en criant :

Non !

Désespérée, la jeune femme fond en larmes.

 

Narcisse et Rosalie se délectent du spectacle.

Prête à bondir sur l’humaine pour la terroriser davantage, Rosalie s’avance quand, soudain, un être de la nuit se matérialise devant elle.

À ta place je ne ferais pas ça ! articule-t-il lentement, appuyant sur chaque syllabe.

Rosalie se fige en reconnaissant Sulli, tout comme Narcisse qui n’esquisse plus le moindre mouvement.

Le vampire est bien campé sur ses pieds, le regard noir qu’il lance à ses congénères ne leur dit rien qui vaille.

Narcisse a déjà eu affaire à lui, et bien qu’il se moquait ouvertement de son ancien ami quand il était en sale posture, cette fois il ne compte pas répliquer. Son air glacial lui tord les boyaux.

Rosalie n’en mène pas large non plus, terrorisée par le prédateur qui leur fait face.

Sulli se tient devant les deux vampires qui étaient jadis ses amis, avec lesquels il a voyagé durant des décennies, sans rien éprouver d’autre que du dégoût… peut-être également une furieuse envie de leur arracher le cœur en prime.

Il pensait ne plus jamais les revoir au travers de sa route, néanmoins il est bien placé pour savoir qu’un vampire a la rancune tenace.

En un claquement de doigts, Rosalie disparaît. Narcisse l’imite.

Sulli constate que les deux créatures sont toujours aussi peu courageuses ! Elles l’étaient bien plus lorsque Josephte vivait.

Il se déplace rapidement jusqu’à se trouver proche de Délila qui ne peut pas le voir puisqu’il est caché au milieu des arbres.

La pauvre est en larmes. Dieu qu’il aimerait la consoler et lui assurer que jamais ils ne parviendront à toucher à l’un de ses cheveux. Pas tant qu’il sera là en tout cas. Cependant, il n’en fera rien. Il compte veiller sur elle de loin, jusqu’à passer à l’attaque et éradiquer la menace. Ensuite, il repartira et la laissera à son existence bien ranger. Comme elle le désire.

Il n’a pas oublié qu’elle ne souhaite pas de vampires dans sa vie. Pourrait-il l’en blâmer ? Il ne lui a apporté que malheur et souffrance.

Il se métamorphose en brume et se place derrière la jeune femme, s’insinuant dans son esprit pour lui intimer l’ordre de dormir. Lorsqu’elle tombe comme une masse inerte, il la rattrape. Sulli la prend dans ses bras pour la porter et la contemple un instant. Il voit sur son visage qu’elle est éreintée, sans doute à cause des deux autres.

Il est arrivé en ville il y a quelques heures à peine, il ignore ce qu’elle a subi ces derniers jours. Naturellement, il s’est dirigé vers la maisonnette blanche qu’elle habite alors qu’il avait dans l’idée de se rendre à l’appartement qu’elle occupait il y a plusieurs années. C’est comme si un lien invisible le reliant à elle – son ancienne compagne – l’avait guidé. Il ne se l’explique pas.

La belle blonde dort dans ses bras alors qu’il s’élance dans la nuit, se précipitant de sa vitesse vampirique jusqu’à la propriété de la jeune femme. Il pénètre chez elle sans encombre, ce qui l’inquiète, et la conduit dans sa chambre où il l’allonge sur le lit, la recouvrant des draps. Il caresse un instant son visage quand son attention est attirée par un cœur qui bat.

Un autre humain est dans la maison.

Il dépose alors un baiser délicat sur le front de sa protégée et sort de sa chambre en fermant la porte. Il suit les battements paisibles du cœur qui bat jusqu’à se retrouver derrière une autre porte. Lentement, il l’ouvre et la pousse sans faire de bruit.

Une chambre d’enfant.

Un poignard transperce le cœur du vampire qui ne peut lutter contre l’envie de s’approcher du chérubin. C’est comme si une force invisible le poussait à entrer dans la pièce, la même que celle qui l’a conduit jusqu’ici. Cependant, il ne l’écoute pas et referme la porte.

Délila a refait sa vie et, même si c’est douloureux, il doit le respecter.

Il se demande toutefois où est le père de l’enfant, l’homme qui partage la vie de celle qu’il aimera à jamais.

Sans doute en voyage d’affaires.

Sullivan quitte la maison, mais ne s’en éloigne pas, veillant sur la jeune femme comme sur ce qu’il a de plus précieux au monde.

 

 

 

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