Chapitre 9

 

 

 

Quand Délila ouvre les yeux, il fait déjà jour, la lumière filtre par les volets. Elle est allongée sur son lit, dans la même position que lorsqu’elle a perdu conscience. Elle se masse les tempes, tentant de se souvenir, repoussant ses albums photo.

Sa discussion avec Illeana lui revient en mémoire et elle aimerait comprendre cette histoire de destin.

Maman ! retentit la voix de Sullivan.

Elle bâille en se mettant sur ses jambes.

Oui !

La jeune femme sort de la chambre aussitôt et embrasse son fils qui l’attendait dans le couloir.

Tu as bien dormi ?

Oui. Papa n’est pas là ?

Délila soupire et ne répond pas. Elle commence par sortir Sparky, qui lui fait la fête, et ouvre les volets. Ensuite, elle dresse la table du petit-déjeuner quand son téléphone sonne.

Drew.

Salut.

Salut, Délila. Ça te tente un pique-nique au bord du lac ?

Pas vraiment. Mais si elle refuse, il voudra venir et l’interrogera sur ce qui ne va pas. Scénario dont elle n’a aucune envie.

C’est une excellente idée, Sullivan sera ravi.

Je suis chez toi dans une heure avec les sandwichs.

Une heure et demie plutôt, on vient de se lever.

D’accord. À tout à l’heure.

Oui.

Dès qu’elle raccroche, elle fait part de leurs projets à son fils qui approuve en s’installant à la table.

Papa reviendra ce soir ?

Délila s’assoit en face de Sullivan, bien décidée à éclaircir ce mystère.

De qui parles-tu ?

De papa. Il était là hier quand tu…

Oui, elle n’a pas oublié.

Mais enfin ! le coupe-t-elle. Qui te dit que c’est ton père ?

Il hausse les épaules.

Je le sais, c’est tout.

Que sais-tu d’autre ?

Mon père est un vampire.

Pardon ? s’ahurit-elle après une longue quinte de toux. Comment… Non ! Sullivan, dis-moi ce qu’est un vampire ?

Il hausse à nouveau les épaules.

Je ne sais pas.

Alors pourquoi dis-tu que ton père est…

Elle s’arrête. Elle n’arrive pas à croire qu’elle a cette conversation avec son fils de trois ans.

Je le sais.

Comment ? A-t-il un sixième sens capable de l’aider à détecter les vampires ? Tout cela est réellement étrange.

Si l’enfant peut certifier que Sulli est son père alors il en va sans doute de même pour le vampire. La jeune femme n’aime pas cette conclusion. Elle commence même à penser que ce n’est pas un soi-disant lien invisible l’unissant à elle qui a aidé Sulli à la retrouver, mais à son fils.

Tout cela la dépasse !

Papa sera là ce soir ?

Oui, cède-t-elle, mais tu dois me faire une promesse.

L’enfant regarde sa mère avec attention.

Tu ne dois jamais parler de lui ou il aurait de gros ennuis.

Elle brode un peu, insistant sur l’effet dramatique d’un tel aveu, pour que son fils comprenne bien que c’est capital de ne rien révéler.

Tu peux en discuter avec moi uniquement.

D’accord, promet Sullivan.

Délila lui ébouriffe les cheveux en souriant. Il rouspète et se dégage.

Elle espère qu’il gardera le silence, car elle ignore comment expliquer le retour de Sulli à ses amis. N’ayant pas le projet de laisser se passer quoi que ce soit avec lui et comptant bien à ce qu’il s’en aille dès l’arrivée du chasseur, elle ne voit pas l’intérêt d'en discuter.

Il veillera sur elle jusqu’à la venue de Wayne Williams et rien de plus.

Qui essaye-t-elle de convaincre ?

 

***

 

Après presque deux heures de route, la voiture s’immobilise à Trois-Rivières, commune du Canada. Délila et Drew ont l’intention de se promener au bord de l’eau.

Déjà Sparky et Sullivan se mettent à courir, suivis par le couple qui avance main dans la main.

Délila tente de cacher son absence, elle ne cesse de méditer sur les derniers évènements – son étrange discussion avec Illeana, le retour de Sulli, la mort de Rosalie, le fait qu’elle ne vieillisse pas… mais surtout les étranges capacités de son fils. Il ne développe aucun super pouvoir de vampire, mais est capable d’identifier son géniteur et d’affirmer sa nature.

Dommage qu’elle n’ait personne avec qui en discuter !

Il lui est impossible de contacter Illeana, elle ne peut pas en parler avec Drew et encore moins avec Sulli. Si elle le disait à Anaïs, elle le répèterait sans doute à Claude et Drew finirait par savoir.

La jeune femme ferme les yeux une courte seconde, elle désire seulement avoir une vie normale, c’est pour cela qu’elle a chassé les vampires de son existence.

À quoi bon avoir renoncé à ses amours d’antan si son passé la rattrape ?

Et si elle n’y avait pas renoncé, qui aurait-elle choisi ?

Bastian ou Sulli ?

Ils sont tellement différents l’un de l’autre et en même temps si similaires.

Délila ?

La jeune femme sursaute quand elle entend la voix de Drew. Apparemment cela fait plusieurs fois qu’il l’appelle !

Oui ?

On s’installe ici ?

Oui, c’est parfait.

Tu semblais bien loin ! fait-il remarquer en étalant une couverture à carreaux sur l’herbe.

La jeune femme cherche des yeux son fils et son chien en lui répondant que tout va pour le mieux.

Bien sûr, il ne la croit pas, la connaissant assez bien pour savoir qu’elle est préoccupée. Il imagine aussi que c’est à cause des deux vampires qui la traquent. Comme il se trompe !

Le couple s’installe sur la couverture. Délila ne quitte pas son enfant du regard alors que son compagnon aimerait la sentir moins distante. Il pensait que cette promenade la reposerait, qu’elle les rapprocherait. Apparemment, il a eu tort.

Il ne peut pas le lui reprocher, il imagine bien que ce qu’elle traverse n’est pas simple, mais il aimerait qu’elle se confie à lui au lieu de le tenir à l’écart, soi-disant pour le protéger.

Ce n’est pas à elle de le faire, mais à lui. Chose qu’elle ne semble pas décidée à lui donner !

Peut-être devrait-il imposer sa vision des choses…

On est bien ici, commente-t-il en posant sa main sur la sienne.

Oui, réplique-t-elle sans la retirer.

Tu as passé une bonne nuit ?

Bonne question !

Théoriquement elle devrait être horrible. Elle a failli mourir des crocs de Rosalie, elle a compris qu’elle ne vieillissait pas et que son fils savait la vérité.

Néanmoins, elle était bonne.

Très, répond-elle en souriant au souvenir des bras de Sulli dans lesquels elle a aisément trouvé le sommeil.

Le jeune homme dépose un baiser sur son front avant de l’attirer contre lui.

Durant un long moment, ils restent ainsi à regarder Sullivan lancer la balle à Sparky qui la rapporte sans se lasser, faisant rire l’enfant aux éclats.

 

Après avoir partagé leur repas – sandwichs et salades –, le garçonnet s’étend auprès de sa mère qui lui caresse les cheveux, totalement absorbée par ses pensées, jusqu’à ce qu’il s’endorme.

Tu pourrais passer le week-end chez moi, propose à nouveau Drew.

La jeune femme ne le désire pas et évoque pour excuse que cela pourrait perturber son fils qui ignore tout de leur relation. La vérité est impossible à dire. Comment lui expliquer qu’elle désire s’entretenir avec Sulli pour obtenir des réponses à toutes ses interrogations ? D’accord, pas toutes, mais une bonne partie. Parce qu’après mûres réflexions, il est le seul à pouvoir lui apporter un semblant de réponse.

Tu pourrais dormir sans crainte.

Il a tout à fait raison, aucun vampire ne peut pénétrer chez lui, même si elle s’y trouve. Toutefois elle préfère demeurer chez elle, assurant à Drew qu’elle y est parfaitement en sécurité.

Le jeune homme y croit et esquisse un sourire, sans insister.

Il sait qu’elle a besoin de temps et accepte de lui en donner, persuadé que lorsque les deux vampires n’existeront plus alors tout ira pour le mieux entre eux. Ils ont débuté leur relation dans de drôles de circonstances et Délila doit la relayer au second plan pour s’occuper de ce qui est important : éliminer les Sangs Froids.

Après, ils pourront vivre pleinement leur liaison. Mettre Sullivan au courant. Et pourquoi ne pas emménager ensemble et lui donner un frère ou une sœur.

Le rêve de Drew !

Tu veux qu’on discute des vampires ou du chasseur ? propose-t-il.

La jeune femme, qui avait le regard perdu sur son fils, se demande ce qu’elle pourrait bien lui dire. Elle lui ment, comme à tout le monde, pour qu’il ne s’inquiète pas trop pour elle.

Ils seront de l’histoire ancienne quand Wayne Williams sera présent.

Je… je ne suis pas ravi à l’idée qu’il s’installe chez toi, avoue-t-il.

Délila pose son regard sur lui.

Moi non plus, soupire-t-elle. Et j’espère vraiment que c’est l’histoire de deux ou trois jours.

Je n’aime pas ce qui se trame, tu sais. Je ne comprends pas pourquoi ils tuent des femmes portant un nom ou prénom similaire au tien.

Délila pense que c’est un message, comme son équipe au Journal, un moyen de lui faire peur…

Peut-être sont-ils frustrés de ne pas pouvoir t’atteindre, alors ils se vengent sur d’autres femmes.

C’est aussi ce qu’elle aurait conclu s’ils ne pouvaient réellement pas pénétrer chez elle. Cependant, comme ils en ont la possibilité, elle penche plus pour des actions visant à la terroriser davantage. D’ailleurs, maintenant que Rosalie n’est plus, Narcisse poursuivra-t-il les assassinats ?

Rien n’est moins sûr !

Il aura sans doute envie de se venger… de la venger.

En s’en prenant à Sulli.

Toutefois, rien n’est logique dans le comportement des vampires, alors c’est à elle qu’il en voudra. C’est elle qu’il souhaitera voir morte.

Beaucoup de monde le désire ces derniers temps ! Elle n’est pourtant responsable d’aucun crime.

Qu’y peut-elle si Sulli l’a préférée à Lilith ?

De plus, elle n’a tué ni Josephte ni Rosalie.

Qu’on la laisse tranquille à la fin !

Délila ?

Oui ?

Encore une fois, elle s’était laissé emporter par ses pensées.

À quoi tu penses ? Je n’aurais peut-être pas dû…

Il soupire.

Je suis désolé. Je ne voulais pas te rappeler de mauvaises choses, en fait j'espérais que tu te détendes et oublies toute cette histoire.

La jeune femme esquisse un sourire en lui promettant que tout va bien.

Drew sourit à son tour puis approche lentement son visage du sien avant de poser ses lèvres sur les siennes. Ils échangent un court baiser, Délila y mettant fin aussitôt qu’elle sent son fils se raidir.

Elle pose de suite ses yeux sur lui ; il dort.

Elle ne comprend pas, persuadée qu’il était sur le point de se réveiller. À moins qu’il ait perçu ce qu’il se passait et qu’il ne le souhaite pas.

Est-ce seulement possible ?

Après les évènements des derniers jours, plus rien ne l’étonne !

 

***

 

Une promenade au bord du lac dès que Sullivan a ouvert les yeux, puis le retour à la maison avant que la nuit tombe.

Drew embrasse furtivement sa compagne sur le pas de l'habitation, puis s’en va sans lui proposer de le suivre, sachant que ce serait vain.

Dès qu’elle a fermé la porte, Délila ferme tous les volets, sauf celui de la porte-fenêtre, laissant Sparky courir dans l’herbe.

J’ai faim ! rouspète l’enfant.

N’ayant aucune envie de cuisiner, la jeune femme passe une pizza au four.

Sullivan réclame son père, mais Délila tente de ne pas y faire attention. Elle le douche et le couche.

Épuisé de sa journée, le garçonnet s’endort rapidement.

La jeune femme retourne dans le salon et fixe la porte-fenêtre. Elle est fermée mais les stores ne sont pas tirés. Elle se demande si Sulli veille sur elle en ce moment, s’il viendra ou s’il restera à distance respectable.

Une heure plus tard, le vampire n’est toujours pas visible.

 

 

 

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