En préparant le petit-déjeuner, Délila se demande ce que prend son invité plutôt indésirable. Vu son apparence et son caractère, elle parie sur un café noir.
Rapidement Sullivan entre dans la cuisine, habillé, bien qu’encore endormi.
– Viens voir maman, mon ange.
Sans se faire prier, l’enfant court jusque dans les bras de sa mère qui le serre contre son sein.
En embrassant son fils, elle réalise que si Wayne Williams a mis le doigt sur la nature de Sulli, il pourrait avoir des doutes sur celle de son enfant. D’autant qu’elle lui a donné une information en or.
Son fils est aussi celui d’un vampire.
Il pourrait donc la questionner plus en avant et découvrir… Rien du tout. Les vampires ne peuvent pas concevoir, il ne prendra jamais ses paroles au sérieux.
La voilà rassurée.
– Bonjour ! lance Wayne en entrant dans la cuisine.
Délila lui répond en le dévisageant. Il est vêtu d’un jean et d’un pull, une tenue assez banale. Toutefois il paraît toujours aussi froid… glacial même.
Il n’a aucun charme.
Sa dernière constatation faite, elle lui présente son enfant qu’elle assoit sur une chaise.
Wayne se contente d’un :
– Bonjour, jeune garçon.
Sullivan n’y répond même pas.
– Dis bonjour, mon ange, intime Délila.
– Bonjour.
– Comment tu t’appelles ?
– Sullivan Nagar.
– Comment prenez-vous votre café ? le coupe Délila.
– Noir, merci.
Elle l’avait parié !
Sans tarder, elle lui en verse une tasse.
Le chasseur ne décroche pas un mot durant tout le repas, laissant son regard se perdre dans le décor de la pièce, bien que Délila soit certaine que ce ne soit pas la couleur de la tapisserie qu’il regarde. Non, il réfléchit.
Va-t-il accuser son fils de ne pas être complètement humain ?
C’est sa plus grande hantise.
Mais le départ se passe sans contrariété.
***
Le rassemblement débute dans la salle de réunion. Claude, Anaïs et Drew font la connaissance de Wayne Williams.
De prime abord, eux aussi le trouvent austère.
Le chasseur annonce qu’il veut d’abord établir le profil psychologique des tueurs.
Des ! Délila se demande à nouveau si elle ne devrait pas dire la vérité : qu’il n’en reste qu’un.
Pourquoi a-t-elle commencé à mentir ? Maintenant, elle n’a plus la possibilité de s’en sortir correctement.
Claude fait un rapide résumé des derniers meurtres à Wayne qui prend des notes.
– Les victimes n’ont pas été choisies au hasard, mais en fonction de leur nom.
Oui, eh bien, ça, ils n’ont pas attendu qu’il arrive pour en faire la déduction.
– C’est un message visant Délila, affirme Anaïs.
– J’avais compris, rétorque froidement Wayne.
Délila regarde son amie en lui faisant signe de laisser tomber.
– Si j’ai tout saisi, c’est de la vengeance ? demande-t-il en levant les yeux sur la cible.
– Oui.
– Un vampire n’agit pas ainsi par vengeance, madame. Il trouve sa victime et la tue. Dans votre cas, c’est une traque. On vous fait peur en tuant des femmes portant presque le même nom que vous, puis…
Wayne se tait, fronce les sourcils tout en la fixant, et l’interroge :
– Les avez-vous vus, ces vampires ?
Elle ne répond pas, feignant de ne pas vraiment saisir le sens de sa question.
– S’est-il passé des choses étranges ces derniers jours ?
– Étrange comme ?
– Comme anormale, madame, insiste-t-il, exaspéré qu’elle tourne autour du pot.
– Non, je ne vois pas, répond Délila qui commence à transpirer.
Le chasseur la considère longuement avant de lâcher une bombe :
– Et le vampire chez vous hier soir, vous considérez cela comme normal ?
La jeune femme ferme les yeux durant quelques secondes, se sachant incapable d’affronter Drew et les deux autres.
– Un vampire ! s’ahurit Drew. Qui était chez toi ?
– Elle a essayé de me faire croire que je faisais erreur, qu’il était humain…
– S’il vous plaît ! réclame Délila en interrompant Wayne qu’elle trouve bien trop bavard.
Elle est certaine qu’il allait parler du fait qu’elle l’a fait passer pour le père de son fils. Claude et Anaïs le savent, mais Drew aurait voulu une explication parce qu’il est au courant de tout ce qui lui est arrivé et aurait sans doute cru les mots du chasseur.
– C’était Su…
Elle ne finit pas sa phrase, comprenant que Wayne fera le rapprochement avec le prénom de son fils.
– Viens avec moi, réclame-t-elle en entraînant Drew hors de la salle de réunion.
Le jeune homme la suit jusqu’à son bureau et la questionne dès qu’elle referme la porte.
– C’était Sulli. Il… il a entendu que Narcisse et Rosalie en avaient après moi et il est venu m’aider.
Il la regarde, abasourdi.
– Quand comptais-tu me le dire ?
– Plus tard. Je ne voulais pas le faire à la réunion.
Il hoche la tête pour lui montrer qu’il comprend, mais ne décolère pas pour autant. La présence de l’ancien amour de sa petite amie lui fait peur.
– Il a tué Rosalie.
– Quoi ?
– Hier, invente-t-elle, avant que Wayne revienne. Je ne lui ai rien dit, je ne voulais pas qu’il sache pour Sulli. Tu comprends, c’est un chasseur et…
– Oui, la coupe-t-il.
Il est content que la jeune femme soit débarrassée d’une menace, mais il aurait voulu que le vampire ne s’en mêle pas.
– Tu dois le dire au chasseur.
– J’en sais rien. Je… j’ai menti et il va creuser pour trouver la vérité, avoue-t-elle.
– Sur quoi ?
Elle ne peut pas reculer, elle doit lui dire. Parce que si elle ne le fait pas, Wayne s'en chargera. Elle pourrait le surnommer « la plaie » !
– Sulli croit que je vis avec un homme, le père de mon fils…
Drew ne lui demande pas pourquoi il le pense, mais si tel est le cas, c’est qu’ils ont abordé la question. Le voit-elle seulement depuis hier soir ?
– … et hier, quand Wayne est rentré comme s’il était chez lui, je lui ai sauté au cou pour donner le change. Je sais, c’était nul, mais ça m’a paru être une bonne idée sur le moment.
– Une bonne idée pour quoi ? rouspète-t-il. Repousser ses avances ?
Oui. Mais elle ne compte pas le lui avouer, préférant faire comme s’il n’avait rien dit.
– Sulli est parti aussitôt et Wayne a dit : c’est un vampire. J’ai démenti, je ne voulais pas qu’il le chasse.
Drew n’apprécie pas, cela signifierait qu’elle a encore des sentiments pour le vampire. Chose qu’il détesterait ! Mais en voyant que sa petite amie le fixe intensément, il comprend que l’aveu n’est pas terminé.
– Quoi d’autre ?
Délila prend son courage à deux mains pour prononcer les mêmes mots qu’à Wayne.
– J’ai dit qu’il ne pouvait pas être un vampire car il… il est le père de mon fils.
Elle s’apprête à recevoir la foudre, mais il ne se passe rien.
Drew est abasourdi par la nouvelle. Il n’arrive même pas à réfléchir correctement. Il sait pourtant que les Sangs Froids ne se reproduisent pas. Alors… où est la vérité ?
– Est-ce… vrai ? questionne-t-il en se laissant tomber sur l’un des fauteuils devant le bureau.
La jeune femme a deux options. Soit elle lui avoue la vérité, soit elle continue à lui mentir en prétendant que c’est un inconnu.
À cet instant, elle est complètement perdue et ignore quoi répondre.
Ce silence en dit long pour le journaliste.
Délila aimerait plus que tout mettre l’instant en pause et pouvoir réfléchir. Mais elle n’en a pas le temps.
– Oui.
Totalement achevé, le jeune homme pose sa tête entre ses mains. Jamais il ne se serait douté d’une telle chose.
Délila entreprend alors de lui raconter pour qu’il comprenne comment c’est possible.
Drew ne dit rien quand elle a terminé. Néanmoins il saisit pourquoi l’enfant porte son prénom.
– Est-ce…
– Non ! l’interrompt-il. J’ai besoin de digérer la nouvelle.
Délila hoche la tête.
– Retourne à la réunion, intime-t-il.
Elle obéit.
Deux minutes plus tard, elle excuse Drew auprès de ses collègues et du chasseur.
Maintenant que son petit ami connait la vérité, elle peut parler plus librement. Dans son histoire remaniée, Sulli n’est apparu que la veille, il lui a annoncé être là pour la protéger et avoir déjà tué Rosalie.
– Donc, il n’en resterait plus qu’un ? demande Wayne avec scepticisme.
– Oui, il reste l’homme, affirme Délila.
Wayne se gratte le menton, semblant réfléchir.
– Dans ce cas, on va gagner du temps et se focaliser sur celui-là.
Le chasseur s’installe à la table, sortant un crayon et un bloc de feuilles de sa besace.
– Tu as revu Sulli ? s’ahurit Anaïs à mi-voix. Et alors ?
– Rien. Tu sais bien que je… Plus tard, décide-t-elle en réalisant que Wayne les écoute.
Elle ne voudrait pas dévoiler un élément important.
– Décrivez-le-moi que je puisse commencer, réclame le chasseur.
Délila entreprend alors de dépeindre Narcisse version masculine. Néanmoins elle lui précise que le vampire aime se travestir en femme, alors le chasseur dessine un second portrait : Narcisse version féminine.
***
Dès que Délila se retrouve seule dans son bureau, Anaïs la rejoint, bien décidée à tout savoir sur le retour du vampire.
– Alors raconte ! la presse-t-elle.
La journaliste est attristée de devoir lui mentir, mais que peut-elle faire d’autre ? Lui avouer qu’il est revenu depuis plusieurs jours ? Elle le dira à Claude, et Drew finira par le savoir. Jamais il ne lui pardonnera un mensonge de plus, surtout qu’elle avait la possibilité d’être honnête cet après-midi. Mais mentir sciemment à Anaïs… Encore ? Elle est sa meilleure amie et pourrait la conseiller au mieux si elle savait toute la vérité.
– J’ai menti, Anaïs, lâche-t-elle en soupirant.
– À quel propos ?
Délila se confie, relatant l’horrible semaine qu’elle a passée, traquée par Rosalie et Narcisse, puis l’arrivée salvatrice de Sulli qui l’a sauvée d’une mort imminente en tuant Rosalie.
Anaïs a la bouche grande ouverte durant tout le récit, n’en revenant pas que sa meilleure amie ait pu vivre un tel cauchemar sans en parler. Elle comprend mieux ses yeux cernés et la fatigue omniprésente.
– Tu aurais dû le dire ! lui reproche-t-elle.
– J’avais bien trop peur de vous mettre en danger également. Ils peuvent entrer chez moi, personne n’y aurait été en sécurité.
– Tu serais venue chez moi avec Sullivan.
Que répondre à cela ? Drew aussi l’avait invitée à venir dans son appartement. Elle avait refusé, pensant d’abord être en sûreté chez elle, puis parce qu’elle avait peur pour lui.
– Je n’arrivais plus à réfléchir correctement, et Sulli était là pour me protéger…
– Comment est-il ?
– Très beau, avoue Délila en souriant. Mais ça ne change rien à la décision que j’ai prise il y a des années.
– Et ton fils ?
– Sulli me croit en couple avec un humain, Wayne, en fait, puisque…
Elle poursuit en lui racontant l’épisode où elle a sauté dans les bras du chasseur en l’embrassant – mauvaise expérience. Le plus important dans l’histoire c’est que ce geste a fait fuir Sulli et réaliser une chose importante à Wayne.
– Il a compris que c’était un vampire.
Anaïs fait alors le rapprochement avec leur discussion dans la salle de réunion, le vampire présent chez elle était Sulli, elle l’avait cependant deviné.
– Tu crains qu’il le chasse ?
– Oui. C’est pour ça que j’ai dit au chasseur que c’était impossible car il était le père de mon fils.
– Délila ! s’ahurit-elle.
– Je sais ! Je n’aurais pas dû, mais je pensais que ça le ferait changer d’avis sur lui, qu’il penserait qu’il s’est trompé. D’ailleurs, il n’en a pas reparlé depuis.
– Ça ne veut pas dire qu’il ne creusera pas de ce côté.
– Je sais, soupire-t-elle tristement. J’ai… j’ai aussi révélé cette partie à Drew. Lui a voulu savoir si c’était la vérité.
– Donc il sait que ton enfant est celui de Sulli.
– Oui. C’est mieux comme ça, même si pour le moment il est fâché.
Anaïs le pense également. Elle n’a aucun intérêt à avoir trop de secrets, elle finirait par s’y perdre et perdre tous ceux qu’elle aime.
– Sulli sait pour ton fils ?
– Non ! réplique Délila. Et il ne saura jamais. En revanche, Sullivan sait.
– Sait quoi ? s’étonne la journaliste.
– Qu’il est le fils d’un vampire, de celui qui vient toutes les nuits.
– Euh… Comment ?
Difficile pour la jeune mère de répondre à cette question, elle n’en a pas la moindre idée. D’après son fils, il le sait sans pouvoir l'expliquer. Ce qu’elle répète à Anaïs.
– Tu n’as pu en parler à personne, rétorque cette dernière.
– Non. Je ne peux pas aborder le sujet avec Sulli.
– Tu comptes faire des recherches ?
Recherche !
Ce mot lui rappelle autre chose : elle ne vieillit pas, la visite d’Illeana, sa destinée.
Elle a abordé cela avec Sulli mais il ne semblait pas y croire. Pourtant, elle n’est pas normale, sinon les vampires ne pourraient pas pénétrer chez elle.
– Non. Autre chose me préoccupe davantage.
– Quoi ?
Délila fixe son amie qui ne va pas aimer apprendre la vérité aussi tardivement, encore une cachoterie ! Décidément, Délila constate que sa vie n’est que mensonge ces derniers temps.
– Est-ce que tu trouves que je vieillis ?
Anaïs la dévisage longuement avant de hausser les épaules.
– Tu es jeune, pourquoi tu me demandes ça ?
– Je n’ai pas changé en quatre ans ! colère la jeune femme. Je ne suis pas humaine. Illeana ne m’a pas complètement rendu mon humanité sans quoi mon destin n’aurait pas pu s’accomplir !
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Je l’ai vue dans une sorte de rêve, c’est ce qu’elle disait. C’est pour ça que les vampires peuvent entrer chez moi !
La journaliste passe sa main sur son visage, ça fait du bien de dire ce que l’on pense mais quand elle perçoit le regard abasourdi de son amie, elle s’interroge.
– Je crois que tu as besoin de vacances.
– Quoi ?
– T’es épuisée autant physiquement que nerveusement, Délila, tu dois te reprendre en main avant de complètement disjoncter.
– Tu me penses folle ? s’ahurit-elle.
Elle n’arrive pas à y croire, Anaïs est pourtant bien placée pour savoir qu’elle a la tête sur les épaules et qu’il se passe des choses étranges dans leur monde. Alors pourquoi ne la croit-elle pas ? Qu’y a-t-il d’anormal à voir Illeana en rêve ? À moins que ce ne soit cette histoire de non-humaine et de destinée qui l’inquiète ?
– Je dis juste que tu devrais te reposer.
La journaliste secoue la tête, blessée par le manque de soutien de son amie. Elle prend son sac à main et, sans éteindre son ordinateur, quitte le bureau en faisant claquer la porte.
Anaïs comprend sa peine, néanmoins elle voulait juste l’aider. Délila a besoin de dormir pour pouvoir réfléchir et voir plus clairement les choses. Ces évènements des derniers jours ont été difficiles pour elle, elle le reconnaît et elle doit l’aider à aller mieux, à dépasser la folie qui la guette.
Sans perdre un instant, elle retrouve Claude dans son bureau, lui demandant de faire venir Drew et Wayne, elle a des choses à révéler.
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