Le réveil a sonné au moins cinq fois, mais jamais Délila ne s’est levée. Elle est épuisée. Elle a eu beaucoup de mal à dormir la nuit dernière en sachant Sulli dans son salon. Sans compter les derniers mots qu’il lui a dits, il était en colère après elle, ce qui n’aidait pas.
Quand la jeune femme se lève, il est plus de dix heures du matin, elle n’a pas l’intention d’aller au Journal et prévient de son absence, se faisant porter malade. Elle ne répond pas aux sept messages de Anaïs, ni à ceux de Drew.
La première chose qu’elle fait c’est se doucher durant un long moment, tentant de se décontracter, de se sentir mieux, moins nouée.
C’est un échec cuisant.
Elle se vêt rapidement – jean et tee-shirt – et ouvre la porte pour sortir de sa chambre. Là, elle se rend compte que les volets sont ouverts, la lumière du jour éclaire le couloir. Elle pense au chasseur, en est d’ailleurs convaincue quand elle entend parler son fils dans le salon. Mais en arrivant dans ladite pièce, son cœur se révulse, elle n’arrive plus à respirer. Ce qu’elle voit est… Aucun mot ne peut le décrire.
Son fils est heureux, souriant, il tient une nouvelle voiture dans sa main – longue et noire, une réplique parfaite de celle du Comte des ténèbres, sans aucun doute –, et une sublime jeune femme est à côté de lui.
– Ah ! Maman est réveillée, lance la voix doucereuse.
– Maman ! s’exclame Sullivan. Regarde le joli cadeau que m’a apporté la dame.
Ses yeux la piquent, elle ne parvient plus à penser correctement en serrant son fils contre elle.
– Je t’ai dit de m’appeler Lilith.
C’est bien la démone mi vampire qui se tient devant elle, dans son salon. Celle avec qui elle ne devait plus jamais rien avoir à faire.
Elle déglutit.
– Ça ne va pas ? s’inquiète Lilith. Tu es pâle !
Non, mais pour qui se prend-elle à s’inviter chez elle et faire comme si elles étaient amies !
– Va dans ta chambre, mon ange, réclame Délila.
– C’est inutile, intervient Lilith.
– Sullivan, écoute maman !
L’enfant obéit.
– Il y a un chasseur de vampires dans…
– Je l’ai endormi profondément. Nous ne serons pas dérangées.
Délila déglutit. Wayne ne viendra pas à son secours. D’ailleurs, qu’aurait-il pu faire contre la fille de Dracula ? En pleine journée, elle ne verra pas non plus arriver Sulli. Elle est fichue.
– Respire, s’amuse Lilith. Je ne vais rien te faire. On s’était d’ailleurs quittées en bon terme si je me souviens bien.
– C’était avant que j’apprenne ce que tu as obligé Sulli à faire.
– C’est du passé, rétorque-t-elle en balayant la remarque d’un signe de la main.
– Que veux-tu ? Pourquoi tu es là ?
La jeune femme fait deux pas pour se retrouver derrière le canapé et ainsi pouvoir s’y appuyer avant que ses jambes ne cèdent.
– Pour te remercier.
Là, Délila ne comprend plus. Elle s’attendait à des représailles… Pire même, étant donné que Rosalie est morte et que ses émissaires n’ont pas fait la sale besogne, à ce qu’elle la fasse elle-même.
– C’est quoi ces conneries ! s’étonne l’humaine.
– Ma mère m’a raconté que j’étais vivante grâce à toi. Alors merci d’avoir dénoncé Sullivan pour…
– J’ai la parole de ta mère que… l’interrompt-elle en comprenant où elle veut en venir – s’en prendre à Sulli.
– Je ne ferai rien, promet-elle en la coupant à son tour. C’est terminé tout ça. Je… Ma mère m’a seulement donné la permission de venir te remercier, c’est une sorte de test, si j’échoue elle me jettera un sort d’immobilité et, crois-moi, je n’en veux pas.
– Donc tu viens dire merci ? Et pour Rosalie ? Tu… Tu as quand même envoyé tes sbires contre moi et l’un d’eux est mort.
– Rosalie est morte ? s’ahurit-elle.
– Tu voulais qu’elle me tue ! Manque de chance pour elle, on m’a aidée.
– Je n’ai rien demandé de tel ! s’offusque la démone.
Délila lui relate alors les paroles de Narcisse et Rosalie et lui fait part de ses déductions ensuite.
– Ils étaient après toi ? Mais cela ne vient pas de moi ! affirme-t-elle.
– Alors de qui ?
Étonnamment, la jeune femme croit Lilith sur parole. Elle contourne alors le canapé pour se laisser ensuite tomber dessus.
– Il se peut que personne ne les ait envoyés. Qui a tué Rosalie ?
– Sulli. Illeana est allée le voir pour le prévenir que j’étais en danger. Tu étais toute désignée comme coupable.
– La parole de ma mère compte à mes yeux ! lui fait remarquer Lilith.
Toutes les certitudes de Délila viennent de voler en éclats.
– Sulli est à Montréal ? s’enquiert la démone.
– Il me protège de Narcisse avec…
Elle ne finit pas sa phrase mais désigne le couloir. Le chasseur. Celui-là même qui est incapable de résister à la magie de la visiteuse. Le sera-t-il face à Narcisse ? Rien n’est moins sûr.
– Oui, il semble très… efficace, se moque Lilith.
Délila éclate de rire.
– Grâce à toi j’ai pu vivre, laisse-moi te protéger. Je suis la seule à en être capable. La seule qui puisse traquer et trouver Narcisse en un temps record.
Sulli et Wayne risquent de ne pas apprécier la nouvelle recrue dans l’équipe. Elle entend d’ici le vampire qui lui hurlera qu’on ne peut pas lui faire confiance. Et étant donné ce qu’il a vécu à cause d’elle, il aura raison.
Mais il est question de sa vie à elle.
– D’accord.
Lilith sourit.
– Il est adorable ton fils. C’est surprenant que tu aies pu… Comment ça s’est passé ?
– Tu ne sais pas comment on fait un enfant ? se moque Délila.
La démone adopte une mine plus sérieuse.
– Il ressemble à son père. Comment c’est possible ?
La journaliste ne rit plus en constatant que son interlocutrice est très perspicace. Sulli le sera aussi quand il verra distinctement le visage de son enfant.
– Je… j’avais couché avec lui juste avant qu’Illeana me rende de nouveau humaine.
Elle se contente de hocher la tête.
– Sulli ne sait rien, confie Délila.
– Pourquoi ?
– Parce que je ne veux pas de vampires dans ma vie.
– Ce qui est absurde quand on sait à quel point tu l’aimes.
– C’est fini, murmure Délila.
– C’est à cause de moi ?
– Non !
– Mais si, la malédiction qui pesait sur toi l’a fait commettre l’irréparable. Ma mère a réparé ça, tu ne peux pas lui en vouloir éternellement.
– Pourquoi pas ?
– Parce que ça te détruira.
La jeune femme en est consciente. Elle croyait avoir pardonné son acte à Sulli, mais en le revoyant elle a compris que non. Comment le pourrait-elle ?
– Je n’y arrive pas, souffle-t-elle.
La démone la rejoint sur le canapé et lui prend amicalement la main.
– Il va falloir faire un travail sur toi-même afin d’y parvenir.
– Qu’est-ce que ça peut faire de toute façon ? C’est un vampire et je suis humaine.
Lilith ne répond pas. Seulement parce qu’elle n’en a pas le droit, ayant fait une promesse à sa mère.
– Il est temps de laisser Wayne en paix, décide Délila en lâchant la main de Lilith et se remet debout.
– C’est toi qui vois. Puis-je rester ici ?
– Oui
Elle esquisse un sourire.
– Sullivan ? Tu peux venir ! l’autorise sa mère.
Le garçonnet ne se fait pas prier et revient dans le salon.
***
Dans le courant de la journée, Délila décide quand même d’appeler Anaïs pour la rassurer. Elle ne lui en veut pas d’avoir parlé à Wayne et le lui dit. Au contraire, tout est clair et il va même traquer Narcisse avec Sulli. En tout cas, elle imagine, car elle n’a pas encore eu de retour concernant leur discussion.
Pour le moment, elle trouve judicieux de ne pas parler de la présence de Lilith chez elle. Elle préfère attendre de voir ce qu’en penseront Wayne et Sulli. Oui, les deux femmes ont décidé d’en discuter avec les poursuivants de Narcisse.
– Est-ce que Drew m'en veut encore ? questionne Délila.
Elle n'obtient pas de réponse, mais perçoit Anaïs se mordillant la lèvre à l'autre bout du fil.
– Anaïs !
– Il était là quand j'ai tout dit à Wayne.
Tout ?!
La jeune femme tente de relativiser. Drew savait presque tout. Il a seulement appris sa semaine de terreur à fuir Narcisse et Rosalie qui s'en donnaient à cœur joie et que Sulli est à Montréal depuis plusieurs jours.
Elle devrait pouvoir gérer.
– Donc il m'en veut.
– Oui, confirme Anaïs. Je suis désolée, je crois que c'est mieux qu'il sache.
Certes. Néanmoins, elle aurait aimé pouvoir le décider elle-même.
– J'ai jugé bon d'aborder tes... délires.
– Pardon ?
– Tu sais bien. Tu racontes avoir vu Illeana dans un rêve, lui avoir parlé...
– Et pour toi c'est aberrant ? Après tout ce que j'ai vécu ! colère-t-elle, blessée que sa meilleure amie la pense folle.
– Il n'y a pas que ça. Prétendre ne pas vieillir, ne pas être réellement humaine.... Délila, tu es en train de disjoncter, je me fais du souci pour toi.
La jeune femme n'arrive pas à croire ce qu'elle entend.
– Achève-moi, Anaïs. Dis-moi que Claude et Drew pensent comme toi.
– Ne le prends pas comme ça, on veut...
– Laisse tomber, peste la jeune femme avant de couper la communication.
– Des ennuis ? s'enquiert Lilith.
– Rien à part que mes amis me croient folle !
– Je suis désolée, je n'ai pas voulu être indiscrète, réplique la démone en jouant avec une mèche de ses longs cheveux blonds, mais j'ai entendu, ça fait partie de mes pouvoirs de...
– Oui ! Et donc ? l'interrompt la jeune femme, exaspérée, en colère, plus contre Anaïs que son interlocutrice, néanmoins c'est cette dernière qui est en face d'elle.
– Tu prétends ne pas vieillir ?
Délila soupire, ne voulant surtout pas qu'une personne de plus la traite de dingue. Mais ce n'est pas ce que fait Lilith.
– C'est dû à la magie, rassure-toi, c'est normal, tu n’es pas folle même si tes amies pensent le contraire.
– Dis-m'en plus.
– Je n'ai pas le droit.
Une chose est sûre, Lilith en sait plus qu'elle n'en dit. Mais comment la faire parler ?
– Pourquoi ?
– J'ai fait une promesse à ma mère.
Délila n'insiste pas, sachant d'avance qu'elle ne tirera rien de la démone.
***
Quand Wayne entre dans le salon, il est surpris de voir une jeune femme blonde qu'il ne connait pas.
– Une amie à vous ? demande-t-il à la propriétaire des lieux.
– Je suis Lilith, se présente la démone.
Le chasseur, sachant qui elle est, est étonné de la voir ici.
– Je venais remercier une vieille connaissance quand j'ai appris qu'elle avait des ennuis avec Narcisse. Quoi de mieux comme remerciement que la débarrasser de la menace ?
– Je suis sur le coup, réplique-t-il.
– Est-ce concluant ?
– Le vampire n'a pas encore été localisé.
– Et je ne pense pas qu'il le soit dans les prochains jours voire mois, affirme la jeune femme.
– Comment pouvez-vous affirmer une telle chose ?
– C'est très simple, sa seule alliée est morte, il a besoin d'en recruter d'autres.
– Tu crois qu'il cherche un autre vampire ? s'ahurit Délila.
– Tout est possible, réplique Lilith.
La journaliste n'a aucune envie de voir débarquer une horde de ces créatures chez elle. Il faut absolument qu'il soit mis hors d'état de nuire au plus tôt.
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