Chapitre 16

 

 

 

Délila est toujours aussi peu intéressée par la discussion entre ses deux protecteurs.

Lilith est incapable de donner des informations concrètes sur Narcisse qu’elle n’a vu que peu de fois et Wayne ne peut prédire ce qu’il mijote.

L’humaine constate que Sulli est son seul espoir. Sans son aide, la recherche de l'ennemi prendra un temps fou et elle devra mettre sa vie en suspens. Il faut qu’elle le convainque ou se plie à ses exigences, néanmoins elle a besoin de lui sur cette affaire.

C’est alors que la porte d’entrée s’ouvre, tous se tiennent aux aguets. La jeune femme sourit en voyant Sulli. Toutefois, il n’est pas seul, et quand elle comprend que c’est Bastian qui l’accompagne, elle ignore comment réagir.

Elle l’a sorti de sa vie, au même titre que Sulli, il y a bien des années. Le revoir la ramène dans le passé quand elle était entre les deux vampires, quand son cœur battait pour eux, mais qu'elle a préféré taire ses sentiments pour Sulli, qui lui avait pris la vie, au profit de Bastian.

Salut, lâche-t-il.

Elle le trouve toujours très séduisant, il n’a pas changé. C’est comme si les années n’étaient pas passées, ce qui est l'avantage quand on est un vampire. Le temps n'a aucun effet.

Salut.

Bastian est en ville, je pense qu’il peut nous être utile puisqu’il connait bien Narcisse, émet Sulli.

Quand lui était resté au château pour dépérir, se languissant de son humaine, son ami était parti avec les autres pour visiter le monde, vivre ailleurs… Il pense que son aide peut-être inestimable.

Délila hoche la tête, tentant de masquer le trouble que lui cause sa présence. En vain, Sulli l’a compris et la jalousie le dévore de l’intérieur.

Était-ce une si bonne idée de l’inviter ?

Délila n’est-elle pas toujours amoureuse de lui ?

Bastian dévisage le chasseur qui ravale la boule qui se forme dans sa gorge, terrifié par le vampire duquel émanent de mauvaises vibrations. Puis, Lilith.

La démone ne cille pas devant lui.

Explique à Wayne ce que tu penses de Narcisse, réclame Sulli à Bastian.

Ce dernier fixe à nouveau le chasseur – Wayne –, avant de lui exposer sa théorie.

Je crois qu’il cherche des renforts avant d’attaquer.

Délila est ahurie par la révélation, mais Bastian explique que Narcisse n’est pas un vampire courageux quand il est seul, au contraire, il se sent fort uniquement lorsqu'il est entouré.

Sulli l'admet volontiers, il se souvient qu’à chaque fois qu’il avait une altercation avec lui, l’autre ne bronchait pas.

Organisons-nous, suggère Lilith.

Que fais-tu ici, démone ? la questionne Bastian, hautain. J'ai cru comprendre que tu es à l'origine de tout cela.

Je n'ai pas envoyé Narcisse contre Délila.

Le vampire la jauge longuement comme pour trouver la vérité en elle, puis, sans un mot, il détourne son regard, le reportant sur son congénère. Ce dernier hausse les épaules de façon presque imperceptible, montrant à son ancien ami qu'il ne croit pas un seul mot sortant de la bouche de Lilith.

Comment fait-on ? s'enquiert-il ensuite. Il est préférable que nous nous divisions pour mener nos recherches.

Je veillerai sur Délila, propose Wayne, ainsi vous pourrez tous partir en quête de l'intrus.

Bastian le fixe en ricanant avant de lui dévoiler le fond de sa pensée.

Parce que tu te crois de taille contre un vampire ?

Je suis un chasseur, monsieur ! colère-t-il.

Il n'impressionne cependant pas son interlocuteur qui ricane de plus belle, faisant serrer les poings à l'humain qui le trouve exécrable.

Si tu le dis !

Je peux rester avec Délila si vous préférez, suggère Lilith.

Tu plaisantes ! crache Sulli. Je ne te fais pas confiance !

Il fut un temps où jamais tu n'aurais osé élever la voix sur moi, fait-elle remarquer, le regard sombre. Je te conseille de ne pas me manquer de respect, minable vampire.

S'il vous plaît ! intervient l'humaine avant que cela ne dégénère.

Sulli n'insiste pas, mais brûle d'envie de faire ravaler ses mots à la démone. C'est vrai qu'elle lui faisait peur, c'est d'ailleurs toujours le cas, mais la sécurité de la femme qu'il aime passe avant tout et pour la protéger il ne reculera devant rien.

Papa ?

Tous les regards se braquent sur l'enfant debout au milieu du couloir, son ourson en peluche dans les mains et son pouce dans la bouche.

Délila se rue sur son fils qu'elle prend dans ses bras et reconduit à sa chambre. Derrière le mur, elle lui murmure de ne pas les déranger, mais Sullivan réclame son père, se mettant même à pleurer.

Ne pleure pas, souffle-t-elle.

Je veux mon papa.

Il n'est pas seul. Je...

Elle inspire longuement pour se donner du courage, celui de mentir à son enfant.

Tu pourras le voir quand il le sera, d'accord ?

Sullivan retrouve le sourire et sèche ses pleurs. Il accepte enfin de se recoucher et de ne pas revenir dans le salon.

Quelque peu soulagée, la jeune femme dépose un baiser sur sa joue.

 

Dans l'autre pièce, c'est la stupeur qui se lie sur le visage de Bastian.

Elle a un môme ?

Comment aurait-il pu en être autrement ? C'était son rêve ! Il ne l'a pas oublié. C'est à cause de cela qu'elle n'a pas poursuivi sa relation avec Sulli, ou avec lui. Où cela l'aurait-elle conduit ? Pas à avoir une famille, en tout cas. Pas là où elle le désirait.

Oui, se contente de répondre Sulli.

Où est son père ?

En déplacement.

Bastian réalise alors que l'humaine a refait sa vie depuis son départ, elle n'a pas perdu de temps étant donné l'âge de son enfant. Il lui en veut davantage. Qu'était-il pour elle ? Une distraction ? Un moyen d'oublier Sulli et les soucis que leur relation lui causait ?

Une discussion avec la jolie blonde s'impose !

Dès qu'elle revient dans le salon, elle s'excuse pour l'interruption et annonce qu'elle souhaite que Lilith protège la maison.

Sulli secoue la tête, se demandant pourquoi il est revenu l'aider. Il n'aurait pas dû mentionner cette histoire à Bastian et encore moins le ramener. Il se serait trouvé un bon dîner au club et aurait passé une meilleure nuit que celle qui se profile.

Alors allons-y ! décide Bastian. On se sépare et on fait le point ici vers cinq heures.

La seconde suivante, telle une bourrasque, il quitte la maison. Son acolyte le suit sans octroyer le moindre regard à l'humaine qui comprend qu'il n'approuve pas sa décision. Elle aurait voulu lui expliquer et le remercier d'être revenu, avec des renforts qui plus est, mais doute d'en avoir la possibilité.

Wayne s'en va à son tour après s'être assuré que tout ira bien pour les deux femmes.

Je vais me coucher, informe Délila à la démone, je me lève tôt demain, je dois aller au Journal.

Elle acquiesce d'un hochement de tête.

La jeune femme regagne alors sa chambre, sentant la fatigue l'envahir, elle n'a qu'une envie, se laisser tomber sur son lit. Néanmoins, le destin en a décidé autrement. Dès qu'elle ferme la porte, elle se fait plaquer contre celle-ci par deux mains sur ses épaules. Lorsque son agresseur allume la lumière elle reconnaît Bastian.

Il ne faut pas laisser ta fenêtre ouverte ! Un simple interstice permet à un vampire de se glisser dans ta chambre, dit-il en faisant glisser son doigt sur sa jugulaire.

Tu me fais mal !

Toutes mes excuses, réplique-t-il en la libérant. Il fallait que je te parle.

Elle l'imagine bien puisqu'ils ne se sont pas vus depuis plusieurs années, son retour dans sa vie doit le préoccuper, sans compter l'intervention de son enfant.

Bastian, qui ignore tout de sa vie, veut sans doute des explications.

J'ai appris que ton mec est en déplacement.

Oui.

Tu as eu ce que tu voulais finalement.

Oui.

Délila croise les bras sur sa poitrine. Elle ignore comment se comporter. Tout comme avec Sulli. Elle ne leur pardonnera jamais le passé... et encore moins le fait d'être des vampires. Cette race qu'elle hait et fuit. Cette race qui fait de sa vie un véritable enfer, et ce, depuis les traques de Sulli.

Qu'est-ce que j'étais pour toi ? peste-t-il à voix basse pour ne pas voir Lilith débarquer et interrompre cette conversation importante pour lui.

Écoute, commence-t-elle.

Non ! Je n'écouterai pas tes conneries ! Je ne t'ai servi qu'à oublier ta vie de merde ! Tu t'es tournée vers moi parce que tu en voulais à Sulli !

Tu n'as pas le droit de dire ça ! C'est absolument faux ! rétorque-t-elle sur le même ton que lui, pour ne pas réveiller son fils.

Si c'était vrai, Délila, tu ne te serais pas précipitée dans les bras d'un autre juste après notre rupture.

Quoi ? s'ahurit-elle.

Elle ne s'est précipitée dans les bras de personne. Même si elle tentait de le cacher à ses amis et ses collègues, elle a eu beaucoup de mal à se remettre du départ des deux hommes de son cœur.

Je n'ai pas...

Je t'en prie, ne va pas me mentir pour soulager ta conscience.

Soulager ma conscience ! répète-t-elle, ahurie. Je n'ai jamais...

Quel âge à ton fils, espèce de menteuse ? Quand a-t-il été conçu ? Quelques heures après mon départ ?

Blessée par ces paroles, elle le gifle.

Bastian la fixe de ses pupilles ébène ; à cet instant, il lui fait peur comme jamais auparavant. Lui, qui a toujours été doux et tendre avec elle, la terrorise.

La vérité fait mal, crache-t-il.

Elle voudrait lui répondre qu'il ignore tout de la réalité. Il ne sait pas à quel point elle a souffert quand il a quitté Montréal. Lui et Sulli. Toutefois, aucun son ne franchit la barrière de ses lèvres.

La seconde suivante, il n'est plus dans la pièce.

La jeune femme s’effondre et laisse couler ses larmes.

Elle n'aurait pas dû lui laisser croire qu'il n'était rien qu'une consolation, mais elle n'a pas pu lui avouer la vérité. Quelque chose la bloque quand elle est en présence de vampires, et si elle ne passe pas outre, elle n'arrivera jamais à leur pardonner. À se pardonner.

Elle les a fait souffrir tous les deux, et ce, par simple égoïsme.

Tout ce en quoi elle croyait à l'époque, ce qu'elle désirait, ne compte plus. Si elle pouvait revenir en arrière, agirait-elle de la même manière ?

Elle n'a pas la réponse à cette question.

La jeune femme ravale ses larmes et essuie ses yeux avant de retourner au salon pour s'adresser à Lilith.

As-tu le numéro de téléphone de Sulli ?

Non.

Délila est déçue. À quoi pensait-elle ? Le vampire a changé de numéro après son départ de Montréal, il est logique qu'il ne l'ait pas donné à la démone qu'il hait par-dessus tout.

Je vous ai entendus, je n'ai pas voulu intervenir. J'espère que j'ai bien fait.

Oui, répond Délila.

Il est très en colère contre toi.

Elle l'avait compris.

Tu aurais dû l'apaiser.

Je n'ai pas pu. Mais je le ferai.

Si tu désires calmer Bastian, pourquoi veux-tu le numéro de Sulli ?

Parce qu'elle aurait aimé discuter avec lui qui est également en colère après elle. Décidément, elle se met tous les vampires à dos !

Tu as celui de Bastian ? questionne-t-elle à tout hasard.

Non plus.

Délila hoche la tête avant de retourner dans sa chambre. Cette fois, elle ferme sa fenêtre.

Après une douche rapide, elle se glisse entre ses draps. Ses retrouvailles avec Bastian ne se sont pas déroulées de façon agréable, elle doit rattraper le coup. Mais comment aurait-elle pu deviner qu'il allait débarquer chez elle ? Avait-il au moins quitté Montréal ?

Et Sulli ? Il ne comprend pas ses décisions, pourtant elle a besoin de lui, de sa présence dans l'équipe. Sans son aide, Narcisse ne sera pas retrouvé et elle vivra dans la crainte toute sa vie.

Alors qu'elle ferme les yeux, elle entend la porte d'entrée s'ouvrir dans un fracas. Elle se redresse dans son lit et allume la lumière, apeurée, persuadée que c'est l'heure de sa mort. Narcisse est là avec une armée de Sangs Froids.

Laisse-la en paix ! entend-elle crier Lilith.

Mais la porte de sa chambre s'ouvre et elle aperçoit Sulli enragé.

Sulli ?

Délila ne comprend pas.

Ne t'interpose pas ! prévient-il Lilith avant de se tourner vers l'humaine. Tu m'as menti !

Sur bien des choses, il est vrai, mais sans importance. Alors qu'est-ce qui peut bien le mettre dans un tel état ?

Sullivan.

Elle pâlit en comprenant qu'il sait peut-être la vérité.

Tu n'as personne ! Si tu avais un compagnon, aucun vampire ne pourrait entrer ici ! tonne-t-il. Pourquoi ? Pourquoi tu racontes des salades ?

La jeune femme ravale la boule qui se forme dans sa gorge avant de demander à Lilith de les laisser seuls et de fermer la porte derrière elle, ce qu'elle fait.

Voir Sulli dans un tel état de rage fait énormément de mal à Délila, qui n'ose même pas imaginer ce qu'il se passerait s'il découvrait la vérité sur l'enfant.

Elle doit le calmer.

Approche, réclame-t-elle en lui faisant signe de s'assoir près d'elle.

Mais c'est au-dessus de ses forces. Il est dans un tel état qu'il lui est impossible de s'assoir calmement.

Délila le perçoit et se lève, se dévoilant à nouveau en nuisette devant lui, sans aucune pudeur.

Je ne voulais pas te mentir, promet-elle. Je voulais seulement que tu croies que... que je n'étais pas seule.

Le regard et l'expression du vampire changent totalement. La fureur fait place à l'étonnement et ses tremblements cessent comme par magie.

Pourquoi ?

Parce que c'était plus facile pour moi.

Je ne comprends pas.

Et je ne t'en dirai pas davantage.

Il hoche la tête avec une lenteur démesurée, semblant réfléchir aux mots de la jeune femme.

Plus facile pour quoi ?

Le repousser ? Ou ne pas lui céder ?

Il lui faut absolument cette réponse. Bien qu'il penche pour la première possibilité, ce qu'elle ne cesse de lui laisser entendre depuis son retour.

Une autre chose le fait s'interroger :

Où est donc le père de ton fils ?

L'espace d'une seconde, la jeune femme se demande si elle doit être honnête. Elle a toujours dit qu'il ne le saurait jamais, mais n'est-il pas temps de modifier cette décision ?

Après un court instant de réflexion, elle pense que non, qu'elle ne peut pas prendre une décision si lourde de conséquences en quelques secondes. Alors elle se braque, encore.

C'est ma vie, et elle ne te concerne pas.

Voilà qui confirme au vampire que l'invention d'un homme dans son existence n'était destinée qu'à le repousser plus facilement.

Il fait volteface et quitte la pièce avec la sensation d’avoir un poignard dans le cœur.

Délila garde les yeux rivés sur la porte durant plusieurs minutes après son départ.

Peut-elle lui en vouloir pour sa réaction ?

Bien sûr que non, elle connaît les sentiments qu'il éprouve à son égard, mais ne les partage pas... ou ne veut pas s'en souvenir. Elle les a enfouis au fond d'elle et, bien que ses barrières flanchent de temps à autre, elle ne compte pas les laisser céder.

Elle a sorti les vampires de sa vie... Sulli n'en fait plus partie. Elle doit se tenir à sa décision. C'est l'histoire de quelques jours, ensuite son existence retrouvera son calme et les vampires partiront. Pour toujours.

 

 

 

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