À la nuit tombée, lorsque Sullivan dort à poings fermés, une réunion se tient dans la salle à manger de Délila, tous assis autour de la table.
La jeune femme révèle à Bastian ce qu'il ignore – son non-vieillissement et le songe où elle s'est entretenue avec Illeana sur sa destinée –, elle n'aborde pas sa conclusion : une vie possible avec un vampire.
Il ne semble pas porter un grand intérêt à ces révélations, ne voyant pas bien le lien avec l'histoire qui les préoccupe.
Elle lui parle de sa théorie première qui est rapidement tombée à l'eau, elle se croyait investie d'une mission importante et, par là même, elle aurait trouvé un ennemi.
– Concrètement, qui aurait des raisons de t'en vouloir ?
La journaliste l'ignore, sinon le problème serait déjà réglé.
A-t-elle des ennemis ?
On lui aurait posé cette question il y a des mois, elle aurait répondu : Lilith. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. Alors que doit-elle en conclure ? Que Narcisse agit seul ?
Bastian l'en croit pourtant incapable. Ce qu'elle a tendance à penser également puisque depuis la mort de Rosalie, il est seul et rien ne se passe. Doit-elle être rassurée ou trembler ?
– Personne, réplique-t-elle après réflexion.
Le vampire la scrute un instant, puis fixe la table comme s’il pensait y trouver une réponse.
– Il faut trouver Narcisse et le faire parler, décrète-t-il.
Tous approuvent, c’est le seul moyen. Néanmoins un vampire loyal ne trahit pas son maître. La question est de savoir si celui-ci est capable de mourir pour protéger son commanditaire.
Bastian semble penser qu’ils décideront de la marche à suivre si le problème se pose. Pour le moment, attraper le vampire est ce qu’il préconise.
À nouveau, ils décident de partir entre hommes, non pas que Lilith soit d’une quelconque utilité mais sa fragilité, étant donné sa vie liée à Dracula, l’oblige à rester prudente.
Délila aimerait retenir Bastian, ou même Sulli, histoire de s’expliquer avec au moins l’un d’eux, faire baisser la colère qu’ils ressentent à son égard, mais elle n’y parvient pas.
Le blond la foudroie du regard quand elle ose prononcer son nom et l’autre est déjà parti.
Une fois seule avec la démone, elle soupire en lui avouant qu’elle ne parviendra jamais à leur parler et calmer la fureur qui les anime.
– Tu y arriveras. Il faut juste que tu leur parles quand ils sont seuls.
Chose difficile, voire carrément impossible ! Les deux hommes sont présents uniquement la nuit et, encore, durant un laps de temps très court. Jamais elle ne parviendra à discuter avec eux. Il faut qu’elle arrive à obtenir leur numéro de téléphone, ainsi elle pourra les contacter séparément et s’entretenir avec chacun d'eux, espérant les apaiser. Se réconcilier avec eux. Avec Sulli.
– Je vais me coucher, décide-t-elle.
Lilith lui souhaite une bonne nuit et Délila regagne sa chambre. Elle espère y trouver l’un des vampires. Mais la pièce est totalement vide.
Pour obtenir leur numéro, elle a bien l’idée de demander à Wayne, imaginant qu’il doit les avoir dans son répertoire téléphonique. Les lui donnera-t-il ? Que dira-t-elle lorsqu’il voudra connaître la raison de cette demande ?
Elle soupire en se glissant sous une douche chaude, attristée par les derniers évènements.
Même si elle s’est réconciliée avec Anaïs, tout le monde la fuit. Bastian. Sulli. Et même Drew. Le journaliste n’est pas venu la voir hier quand elle était au bureau pour la première fois depuis leur dispute. Il lui en veut, elle en est certaine. Que peut-elle faire pour le rassurer lui aussi ?
Elle imagine que le choc a dû être rude. Au moins, il connaît la vérité.
Lui pardonnera-t-il ?
Bizarrement, cela ne lui fait ni chaud ni froid. Encore une fois, elle pense qu’il n’est pas fait pour elle. La jeune femme ne parvient pas à l’aimer. Pas autant qu’elle aimait Sulli.
Forcée de constater qu’elle en revient toujours à lui, elle s’interroge sur son avenir.
Peut-elle l’envisager avec lui ?
Théoriquement : oui.
En a-t-elle envie ?
Oui.
Le pourra-t-elle ?
Non.
Il y a un trop grand fossé entre eux maintenant, jamais elle ne parviendra à franchir cette distance, pas même en le désirant plus que tout. Il y a toujours ce problème qui les sépare. Lui la tuant, la privant de son humanité, la transformant en vampire.
Le pardon est impossible.
Longtemps elle a pensé y être parvenue. Maintenant qu’elle est face à lui, elle sait que ça n’arrivera jamais.
***
Narcisse pénètre dans une pièce sombre, là où il a rendez-vous avec son maître, la boule au ventre. Il sait déjà que celui-ci ne va pas aimer les nouvelles.
– Parle, ordonne l’homme assis sur une chaise à bascule, lui tournant le dos.
Le vampire déglutit avant de lui avouer n’avoir trouvé personne pour gonfler ses rangs. Ses seuls amis sont morts – Rosalie et Josephte.
Aucun ne veut se joindre à lui pour attaquer la protégée de Sulli qui est le second de Dracula, mission périlleuse de s’en prendre aux mauvaises personnes.
– Tu viens de griller ta dernière chance !
– Laisse-moi encore un peu de temps, je suis sûr que je peux…
– Du temps ! Tu en as déjà eu assez ! crache l’homme en se levant.
Vêtu d’un long manteau noir, il donne l’impression d’être un Dieu des ténèbres. Quand il se retourne, Narcisse déglutit. Le vampire en face de lui n’a vraiment rien d’un humain. Ses yeux d’un noir profond ne reflètent rien de bon. Il lui fait peur comme jamais auparavant. Cette aura de destruction qui émane de lui depuis ces derniers mois le mènera à sa perte, sans le moindre doute.
L’homme, planqué sous son chapeau noir, fixe son serviteur qui le déçoit. Il n’a pas été capable de mener sa mission à bien, causant la mort de Rosalie. Sa seconde chance a été un échec cuisant.
Comme il le pensait, il doit se charger de cette affaire lui-même.
– Je vais me passer de tes services, décide-t-il.
Le vampire, qui se tient devant lui, déglutit. Encore davantage quand il le voit s’approcher.
Cela n’augure rien de bon.
Il est lent et se déplace tel un félin, fixant sa proie pour qu’elle ne lui échappe pas.
Ensuite, d’une rapidité surhumaine, il s’élance sur Narcisse, qui n’a pas eu le temps de le voir venir, et enfonce sa main droite dans sa poitrine, la ressortant la seconde suivante avec son cœur noir en main.
Il le laisse tomber, regardant son fidèle incapable se décomposer.
***
Délila est réveillée au milieu de la nuit par son fils qui pleure en appelant son père. Sans perdre un instant, elle se lève et sort de sa chambre, se figeant en voyant Sulli dans le couloir.
– J’allais voir ce qu’il avait, explique-t-il.
– Je m’en charge, décide-t-elle sans le laisser ajouter quoi que ce soit.
Elle se rue dans la chambre de son fils, sachant pertinemment qu’il réclame son père puisqu’il a senti sa présence.
Il a de plus en plus besoin de lui, c’est un fait. Mais est-elle prête à dire la vérité au vampire ?
– Calme-toi, mon ange. Maman est là, souffle-t-elle en le prenant dans ses bras.
Le garçonnet pleure en continuant d’appeler son père.
Le cœur de mère de Délila se fend et elle décide de faire quelque chose, ne pouvant pas le laisser dans cet état.
– Écoute-moi, mon ange. Ton papa ignore tout de toi, je ne lui ai pas parlé. Tu me laisses un peu de temps pour le faire ?
– Maintenant, décide-t-il.
– C’est compliqué en ce moment. On a des problèmes de grandes personnes, il faut les régler d’abord.
L’enfant se calme, même s’il ne parvient pas à comprendre ce que lui raconte sa mère.
– Papa, renifle-t-il.
La jeune femme ferme les yeux en embrassant son fils sur le front.
– Rendors-toi, mon ange.
Elle le borde quand il est couché et lui promet de dire la vérité à son père. Que peut-elle faire d’autre ?
En sortant de la chambre de Sullivan, elle sent son cœur se nouer. Davantage quand elle croise les yeux de Sulli au milieu du salon.
Il est en compagnie de Lilith bien qu’il ne lui accorde aucun regard.
– Tu es déjà de retour, dit-elle pour engager la conversation.
– Il est cinq heures, les autres vont arriver. On a rendez-vous pour faire le point.
– Je peux te parler un instant.
– Je t’ai dit que j’attendais les autres.
– S’il te plaît, Sulli. C’est important.
La jeune femme le supplie du regard si bien qu’il cède et la suit jusque dans la chambre.
– Je n’ai rien sur Narcisse, commence-t-il défaitiste.
– Il n’est pas question de ça.
– De quoi ? Ta vie ne me regarde pas, il me semble !
La jeune femme constate qu’il n’a pas digéré ces mots.
– Excuse-moi pour ça, je ne le pensais pas.
– Ben voyons ! C’est tellement facile ! rouspète-t-il.
Sulli la fixe de ses yeux sombres, lui faisant froid dans le dos. Il est bien plus qu’en colère, il lui en veut profondément. La hait-il ?
En même temps, il faut dire qu’elle ne l’a pas ménagé depuis qu’il est de retour. Il est revenu à Montréal pour la sauver et elle ne lui en est même pas reconnaissante.
À cet instant, elle a envie qu’il la prenne dans ses bras, qu’il la serre contre lui… Mais il croise les bras sur sa poitrine, affichant un air impassible.
Comment pourrait-elle lui annoncer la vérité dans ces conditions ?
Il ne l’encourage pas à parler. Au contraire.
– Mon fils a besoin de son père.
– En quoi ça me concerne ?
Tu es son père.
Les mots refusent de franchir ses lèvres. Elle est certaine qu’il ne la croira pas et la détestera pour lui avoir caché la vérité. Il partira en la méprisant et Sullivan ne pourra jamais avoir de père.
À cet instant, elle est persuadée qu’il faut d’abord qu’elle se réconcilie avec lui.
– Pardonne-moi, souffle-t-elle.
Le vampire soupire, ce qui ne lui donne aucune envie de poursuivre.
– Qu’est-ce que je peux faire pour que tu arrêtes de…
La jeune femme ne finit pas sa phrase.
– Tu as été claire avec moi, Délila, il est inutile de préciser davantage ta pensée. Je te demande quand même de m’excuser si c’est dur à gérer pour moi. Tu veux que je sourie à chaque fois que je te vois ? Que je fasse semblant d’aller bien ? Parfait !
Il esquisse un sourire, mais elle sait que ce n’est pas de bon cœur. Il ne lui en veut pas seulement pour les mots crus mais pour tout. Elle s’est évertuée à le repousser depuis qu’il est ici pour la préserver.
Rien ne l’empêche de faire un pas vers lui, alors elle s’avance jusqu’à poser ses mains sur son torse. Elle le sent tressaillir bien qu’il tente de le lui cacher.
– Mes mots ont dépassé ma pensée, susurre-t-elle en laissant promener ses mains sur son pull bleu marine. Je te demande pardon.
– Cela ne change rien aux faits, rétorque-t-il en emprisonnant ses mains dans les siennes.
À cet instant, elle a très envie qu’il l’embrasse, mais il n’en fait rien. Il relâche ses mains et lui tourne le dos, prêt à sortir de la pièce.
Refusant de le voir s’en aller, elle le retient avec ces mots :
– Ne m’en veux plus.
Il s’immobilise et serre les poings.
– Tu m’as fait croire que tu avais un homme dans ta vie seulement pour que ça te soit plus facile de me repousser. Je n’aime pas les mensonges, Délila, et tu en uses beaucoup trop.
– Sulli, non, supplie-t-elle en empoignant la manche de son pull pour le retenir.
Il plonge son regard dans le sien, durant un instant, avant de quitter la pièce, sans qu’elle parvienne à le garder auprès d’elle.
Les larmes roulent le long de ses joues sans qu’elle ne puisse rien y faire. Le fossé est bien plus profond qu’elle ne le pensait. Peut-elle espérer combler ce trou immense qui les sépare ?
Elle en a envie. Pour la première fois, elle ne sent plus d'obstacle entre eux. Elle ne fait que percevoir la tristesse du vampire, le mal qu’elle lui a infligé sans penser une seconde à ce qu’il ressentait. C’est comme si tout ceci avait réussi à faire plier l'entrave invisible jusqu’à la faire complètement disparaître.
Elle sait ce qu’elle veut maintenant. Sulli.
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