Devant son ordinateur, Délila se demande s’il n’est pas temps d’aller voir Drew. Une discussion s’impose de toute façon. Ça fait plus d’une semaine que le journaliste l’évite, il faut que cela cesse.
La jeune femme pose son stylo sur le bureau et quitte la pièce aussitôt pour gagner l’antre de son collègue et petit ami.
Elle frappe deux coups contre la porte avant d’entrer pour voir Drew plongé dans le travail. En levant les yeux sur elle, il semble étonné.
– Il est temps qu’on discute, dit-elle en fermant la porte.
– Je sais ce qu’il y a à savoir, monsieur Williams a appelé Claude ce matin. Narcisse est mort. C’est une bonne nouvelle, non ?
– Non. Ce n’était pas son idée de me tuer, le chef est toujours en liberté.
– Wayne veille sur toi. Et il n'est pas le seul, si je me rappelle bien ! peste-t-il.
– Bastian aussi est là.
– Je sais. Quand comptais-tu me le dire ?
– Tu l’aurais su si tu avais pris la peine de venir me parler au lieu de m’éviter.
– J’avais besoin de réfléchir.
– Et alors ?
Le fait qu’elle ne soit pas angoissée quant à la réponse qu’il s'apprête à lui donner lui prouve bien que son intuition est bonne. Ils n’ont rien à faire ensemble.
– Je ne parviens plus à te faire confiance.
– Dans ce cas, on n’a plus rien à faire ensemble.
– Délila ! la retient-il alors qu’elle fait volteface pour s’en aller.
Elle lui reproche de ne pas être venu la voir pour discuter, de la fuir, mais c’est exactement ce qu’elle allait faire après cette pseudo rupture.
– Que veux-tu dire ? Je n’ai pas le droit d’être en colère contre toi à cause de tes mensonges ? Tu veux tout balancer parce que je ne dis pas amen à tes conneries ?
La jeune femme ne répond pas.
– Non, bien sûr. Tu veux le champ libre pour te vautrer contre ton vampire. C’est peut-être déjà fait…
– Je t’interdis… le coupe-t-elle en haussant le ton, se faisant interrompre à son tour.
– Rien du tout ! vocifère-t-il. Tu n’es rien qu’une salope !
À quoi s’attendait-elle ?
Pas à se faire insulter en tout cas, mais à des cris néanmoins.
– Je n’ai pas couché avec lui !
– Maintenant tu peux, on n’est plus ensemble. C’est bien ce que tu voulais, non ?!
Qu’espérait-elle ? Que cela se passerait dans la courtoisie ? Qu’il comprendrait ?
Il ne la laisse même pas s’expliquer. Pour lui la raison est claire, c’est Sulli. Cependant, il a tort. Le vampire n’y est pour rien. C’est elle qui ne souhaite pas poursuivre avec lui. Elle a compris qu’il n’était pas fait pour elle. D’ailleurs, ils n’ont toujours pas couché ensemble, cela prouve qu’inconsciemment elle le savait déjà.
– J’aurais préféré que tu me laisses t’expliquer.
– J’ai tout compris, assure-t-il.
– J’en doute fort. Tu rejettes la faute sur Sulli alors qu’il n’y est pour rien. Il me déteste et refuse de me parler.
– Tu veux que je te plaigne ? peste-t-il.
– Juste que tu comprennes que c’est moi et pas lui. On est amis, Drew, le reste ne fonctionne pas.
– Parce que t’en as après un vampire ! Et on n’est plus amis. Sors d’ici ! hurle-t-il.
– Je suis désolée, souffle-t-elle en obéissant.
Cette rupture la rend triste. Elle vient de perdre un ami.
Jamais elle n’aurait dû laisser évoluer leur relation de cette façon, elle s’en veut. Elle croyait pourtant qu’il lui apporterait bonheur et sérénité.
Quelle belle erreur !
***
Alors que la journaliste tape son article, concentrée, Anaïs fait irruption dans son bureau.
– Délila ? Tu as une minute ?
– Oui, répond cette dernière en terminant sa phrase. Que puis-je pour toi ? demande-t-elle en levant les yeux sur son amie.
– Je viens de voir Drew.
Inutile d'en dire plus, la journaliste sait déjà ce que son ex-petit ami a pu lui raconter. Il ne lui reste qu'à savoir de quel côté se placera Anaïs.
– J'ai rompu, confirme-t-elle, sûre que c'est ce dont il s'agit.
– À cause de Sulli ?
Question légitime.
– Plutôt de moi, réplique Délila.
– Tu n'étais pas heureuse avec lui, dit-elle, je le sais. Je t'ai vue avec Sulli, et tu ne te comportais pas de la même manière avec Drew.
– Je ne suis pas amoureuse de Drew, je pensais que ça viendrait avec le temps car je l'aimais beaucoup... mais j'ai juste réussi à gâcher notre amitié. J'ai perdu un ami, s'attriste-t-elle.
Anaïs ne le confirme pas, mais c'est bien ce que son collègue lui a dit. Il ne veut plus rien avoir à faire avec elle. Pire même...
– Claude m'a confié que Drew a demandé sa mutation.
Les yeux exorbités par l'étonnement, Délila fixe son amie.
– C'est mieux comme ça, crois-moi, souffle Anaïs. Il pourra recommencer sa vie ailleurs avec une femme qui l'aimera. Ce sera plus facile pour lui que de te voir tous les jours.
Elle le sait, néanmoins elle aurait voulu... Qu'aurait-elle voulu ? Ne pas le faire fuir. Garder son ami.
– Tu crois qu'il acceptera de me pardonner avant de partir ? demande-t-elle à tout hasard.
– Je ne sais pas. Il te reproche tellement de choses, mais aussi de t'être servie de lui.
Cela ne surprend pas la jeune femme, néanmoins, elle aurait voulu qu'il comprenne que ce n'est pas le cas. Qu'elle tient beaucoup à lui et qu'elle pensait sincèrement pouvoir former un couple avec lui.
– Quand part-il ?
– Eh bien, étant donné qu'il accepte n'importe quel journal, c'est plus facile. Il partira dans une semaine.
– Où ?
– En France.
La journaliste, qui ne s'attendait pas à une telle nouvelle, a besoin de quelques secondes pour s'en remettre.
Elle décide une chose également, elle doit s'entretenir avec lui avant son départ et lui expliquer ce qu'il refuse d'entendre. Elle ne peut pas le laisser s'en aller en la détestant. Néanmoins, elle compte lui donner un peu de temps avant de l'obliger à l'entendre à nouveau.
– J'irai lui parler dans quelques jours.
– Comme tu veux, réplique Anaïs en marchant vers la sortie. Ah oui, lance-t-elle en se retournant. Wayne a demandé une réunion, elle se tiendra à dix-sept heures.
– Tu sais pour quoi ?
– Ton cas, ma chère, s'amuse-t-elle.
Délila se demande si Anaïs est au courant que Narcisse est mort et que ses protecteurs sont totalement perdus en ce qui concerne la marche à suivre. Si tel n'est pas le cas, elle le comprendra en fin d'après-midi.
Après son départ, elle se remet au travail.
***
À l'heure indiquée par Anaïs, la journaliste pénètre dans la salle de réunion pour y trouver Claude, Wayne et son amie. Quand leur chef annonce qu'ils débutent, Délila comprend que Drew n'est plus sur l'affaire.
Peu surprenant, même si cela la blesse.
– Nous vous écoutons, commence Claude en donnant la parole au chasseur.
Wayne Williams annonce la mort de Narcisse à Anaïs qui l'ignorait, ensuite il explique comment il a eu cette information ; Claude apprend, ce que sa femme savait déjà, que Lilith loge chez Délila depuis plusieurs jours.
– Donc... c'est fini ? en déduit Claude bien qu'il soit sceptique face à la facilité de la chose.
– Non, le contredit le chasseur. La menace pèse toujours sur Délila. Le commanditaire de son assassinat n'a pas été démasqué ni neutralisé.
– Comment comptez-vous vous y prendre ?
Le chasseur se gratte le menton en semblant y réfléchir, mais c'est ce qu'il fait depuis une nuit sans succès.
– Pour le moment, on l'ignore. On y cogite.
– On ? l'interroge Claude.
– Je travaille avec Sulli et Bastian.
– Parce qu'il est revenu aussi, celui-là ? s'étonne Claude.
– Oui, lui confirme Délila.
– C'est encore du genre : entre les deux mon cœur balance ! murmure Anaïs.
La journaliste est abasourdie par son attitude. Elle sait bien qu'elle affectionne Drew qui est un très bon ami, mais de là à s'en prendre à elle parce qu'elle a rompu, à penser qu'elle ait pu le faire pour les deux vampires... c'est n'importe quoi !
Il est vrai qu'elle les a aimés profondément et que pour Sulli rien n'a changé, mais cela ne fait pas d'elle une mauvaise femme. Au contraire, maintenant elle sait ce qu'elle veut, elle a vu clair en elle, en ses sentiments. Ce qui est, à son sens, une très bonne chose.
Toutefois, elle ignore encore si elle décidera de partager sa vie avec un vampire ou de les faire sortir de son existence pour la mener parmi les humains uniquement.
– Tout cela ne te concerne en rien ! réplique Délila en gardant son calme. Wayne ? Avez-vous des choses à ajouter ? Je dois récupérer mon fils.
Le chasseur se tourne vers Claude pour lui expliquer que pour le moment, ils protègent Délila tout en réfléchissant à comment agir.
– Combien de temps cela va-t-il durer ? s'enquiert le chef.
Personne n'a la réponse à cette question, et Wayne vient le confirmer.
Claude secoue la tête, peu enchanté par cette réponse. Néanmoins, il n'y a plus de meurtres et la journaliste ne semble plus être visée, ce qui s'explique par la mort du vampire responsable de toutes les ignominies.
– Je vous tiens au courant, informe Wayne à Claude avant de quitter la pièce avec Délila.
– Je vais en informer le directeur, décide Claude en regardant son épouse.
– La mort de Narcisse explique que les meurtres aient cessé, mais Délila est toujours en danger. Si tu parles à Bigord, il décidera de lever la protection.
– Pourtant il doit savoir. Il paye le chasseur, c'est à lui de décider si sa présence est encore utile ou non.
Anaïs ne réplique rien, mais elle sait que le directeur du Journal – monsieur Bigord – renverra Wayne Williams, jugeant qu'il ne sert plus à rien. Pourtant, si elle suit son raisonnement, quelqu'un en a après son amie et la tuera avec facilité si elle n'est plus protégée. Toutefois, il est vrai que rien n'implique une autre personne. Un autre vampire.
Alors... Narcisse n'était-il pas seul à décider ?
Il aurait très bien pu tomber sur un ennemi et se faire tuer, cela n'aurait rien à voir avec leur histoire, mais créditerait, malencontreusement, la thèse du commanditaire.
customer73262 Jimenez <customer73262@librairiedialogues.fr>