Conclusion

En Égypte ancienne, le désir d’un enfant est avant tout perçu comme le moyen d’assurer un double statut social : celui de la femme, épouse devenue mère, évitant ainsi une possible répudiation, et celui de l’homme qui acquiert le respect de ses pairs tout en ayant une descendance pouvant l’aider, lui succéder et s’occuper de lui durant ses vieux jours. Ces préoccupations sont alors bien plus stigmatisées dans les sociétés passées qu’elles ne le sont aujourd’hui dans notre société occidentale où la science médicale offre de nombreux recours aux couples ne pouvant avoir d’enfant et aux enfants ne pouvant s’occuper de leurs parents. Si ces considérations n’occultent pas pour autant le désir de maternité que peuvent ressentir les Égyptiennes de l’Antiquité, elles l’accompagnent inévitablement. Lorsqu’une naissance se fait attendre ou que la femme éprouve des difficultés à mener sa grossesse à terme, les dieux et déesses sont les premiers sollicités. Les Égyptiennes recourent également à la magie et à la médecine en se soumettant à toutes sortes de tests, traitements et autres rituels destinés à favoriser la procréation. L’infertilité de la femme est d’origine naturelle ou surnaturelle (esprits ou revenants malintentionnés), mais elle ne semble pas être considérée comme un châtiment ou une punition émanant des dieux.

Le suivi obstétrique de l’Égyptienne tel qu’il est livré dans les rares papyrus médicaux à ce jour connus ne fait pas mention d’un état d’observation du fœtus lui-même. Toutefois la documentation est trop mince pour que l’on puisse en conclure que la femme enceinte est l’unique objet de l’attention des médecins. En revanche, toutes sortes d’incantations magiques sont destinées à protéger le fœtus, généralement dans une période proche du terme. Le temps de la grossesse paraît être résolument celui de la femme et non de son enfant à naître.

Le moment de la naissance est vécu comme un événement de la plus haute importance par les Égyptiens. À une époque où l’extraction instrumentale n’existe pas, chaque accouchement est susceptible de causer la mort de la parturiente et/ou celle de son enfant. La profusion d’incantations apotropaïques, de prières adressées officiellement ou officieusement aux dieux, de rituels magiques à accomplir, de recommandations médicales et le recours à des objets empreints de magie prophylactique tels que les briques de naissance ou les ivoires magiques, attestent, s’il est encore besoin de le prouver, de la préoccupation des Égyptiens quant à la survie de la femme et de l’enfant, depuis le moment de la grossesse à l’ultime étape de l’enfantement.

La manière dont les accouchements se déroulent n’est pas bien connue, en dehors de la position accroupie adoptée par l’Égyptienne, l’une des postures les plus naturelles qui soient pour mettre au monde et qui facilite la sortie du bébé tout en étant moins douloureuse pour la mère. Très rares sont les sources faisant état de l’enfantement et les données que l’on peut en retirer demeurent trop succinctes pour que l’on puisse en avoir une idée correcte.

Le temps de la naissance est un moment non seulement particulièrement crucial – la mère et son enfant livrant souvent à la mort un combat inégal –, mais il marque également un changement de statut de la nouvelle mère, plus particulièrement s’il s’agit de son premier enfant, et plus encore si celui-ci est de sexe masculin. Divers actes sanctionnent ce rite de passage et recourent à des objets magiques (ivoires, briques) pour pérenniser les protections déployées par les dieux et les hommes.

Rituels, formules incantatoires, recours à des objets spécifiques tels que les ivoires magiques, les amulettes ou encore les talismans d’heureuse maternité, participent également de la mise en place d’une aura apotropaïque du nouveau-né au quotidien. Sa vie est considérée comme un don des dieux et, de ce fait, le nourrisson est généralement bien accueilli dans son foyer. S’il est impossible d’affirmer que tous les enfants sont élevés quel que soit leur état physique ou mental, leur sexe ou encore les moyens financiers de la famille, les sources tendent à montrer qu’aucun rejet par la famille ou par la société ni même la mort ne menacent l’enfant handicapé ou de constitution fragile.

La protection du nourrisson passe également par son alimentation. Des examens sont proposés pour déterminer si le lait de la mère ou de la nourrice est de bonne qualité et l’allaitement est généralement pratiqué jusqu’à la fin de la petite enfance. Là aussi, il ne peut être établi une norme aussi stricte que l’âge de 3 ans indiqué dans la Sagesse d’Ani. Divers motifs peuvent conduire à un sevrage plus précoce ou, au contraire, plus tardif de l’enfant. En sus du lait maternel, ou éventuellement animal dans quelques cas demeurés plus exceptionnels, le nourrisson reçoit une nourriture complémentaire de base. Les sources sont trop parcimonieuses pour que nous puissions actuellement établir avec précision la nature des bouillies données aux bébés en plus du lait maternel, ou encore déterminer à partir de quel âge on commence à leur donner une alimentation complémentaire. Quelques rares témoignages montrent qu’un soin particulier peut être apporté à cette nourriture complémentaire.

Lorsque les Égyptiens dépassent le stade de la petite enfance, ils entrent alors dans une période plus stable et sûre de leur vie ; leurs parents peuvent s’autoriser à penser que leur progéniture a désormais beaucoup plus de chances d’atteindre l’âge adulte. Cette étape s’accompagne peut-être de rituels qui sanctionnent un rite de passage mais, à ce jour, nulle source ne s’en fait l’écho.

L’univers des enfants, et plus encore des tout-petits, ne se révèle dans aucun document égyptien car il n’intéresse pas les hommes, de l’Antiquité jusqu’à une époque très récente. Or ce sont les hommes qui ont laissé derrière eux des témoignages écrits et visuels, non les femmes. Ce n’est, de ce fait, pas un hasard si l’on ne peut appréhender la relation qui existe entre la mère égyptienne et son enfant. Le monde des nourrissons est encore mal connu et il ne le sera jamais d’un point de vue intime et personnel. Néanmoins, de nouvelles découvertes permettront peut-être de lever un jour le voile sur certains aspects de l’univers de la petite enfance.