PRÉFACE

Salima Ikram
Professeur d’Égyptologie
à l’Université américaine du Caire

La naissance et la mort sont les deux événements-clés qui mettent des parenthèses à l’existence de toute vie humaine. Bien que plusieurs livres dans le domaine de l’égyptologie se soient focalisés sur la mort, à peine une poignée d’ouvrages a traité de la naissance. En effet, parmi tous ceux publiés sur la vie quotidienne des anciens Égyptiens, très peu ont été écrits au sujet de la naissance, la maternité, les enfants et l’enfance, le point de départ de la vie des Égyptiens. De ce point de vue, le travail réalisé par Amandine Marshall est une adjonction extrêmement bienvenue dans la littérature égyptologique puisqu’il comble une lacune significative dans notre compréhension de ce moment crucial qu’est la venue au monde d’un ancien Égyptien.

Dans son ouvrage, Amandine Marshall aborde les questions se rapportant au fait d’avoir des enfants, ce que cela représentait pour les parents en termes sociaux, émotionnels et économiques, et ce que cela signifiait d’être activement un parent. Elle procède ensuite à l’exploration de tout ce qui touche à la naissance, de la gestation à la parturition, en incluant les périls ainsi que les protections médicales et religieuses pour la mère, le fœtus et l’enfant. Elle poursuit en considérant les aspects pratiques de l’enfance en termes d’alimentation (y compris le recours aux nourrices) des nourrissons et enfants en bas âge, les maladies auxquelles ils étaient confrontés, et les soins en général. Avec les paramètres de documentation disponible, elle examine la perception sociale et publique de ce que cela impliquait d’être un enfant, en utilisant en particulier l’iconographie. Bien que le sujet de la fertilité ou de la stérilité soit abordé dans un contexte de textes médicaux, Amandine Marshall va bien au-delà, en utilisant des preuves représentatives, telles que les figurines de fertilité ainsi que les textes non médicaux, dont les « Lettres au défunt », pour aborder les rôles de la médecine, de la religion et de la société, en nuançant ou, à tout le moins, en traitant ces questions. Le livre s’achève par une réflexion sur les enfants nés avec des handicaps physiques et mentaux, ainsi que sur la façon dont ils ont pu être perçus par la société, un focus rare mais important dans notre compréhension des vies et identités et dans notre perception de l’être humain du passé, et auxquelles on ne prête que depuis récemment l’attention qui leur est due.

En dépit du fait que l’on ne dispose que de quelques sources fiables sur lesquelles s’appuyer, Amandine Marshall utilise de façon magistrale chaque preuve disponible, prenant tout à la fois en compte les textes, l’iconographie, les artefacts, les corps des enfants, la médecine, l’anthropologie et l’ethnographie pour tisser une tapisserie illustrant la naissance et l’enfance d’un Égyptien de l’antiquité.

Tenant compte des dangers de l’extrapolation entre périodes, elle utilise des informations émanant de toutes les ères de l’histoire égyptienne, de la période prédynastique jusqu’à la période romaine. La riche variété de sources et la façon dont elle les intègre étoffent, de façon saisissante, le sujet ; et les conceptions des anciens Égyptiens transparaissent clairement, à travers leur littérature sapientale, leurs prières, ou encore leurs textes médicaux.

Le traitement des risques à l’accouchement pour la mère et le nouveau-né présente un intérêt particulier dans ce livre. En effet, jusqu’à très récemment, c’était la principale cause de décès chez les femmes et les enfants partout dans le monde et, dans une certaine mesure, encore aujourd’hui dans de nombreux pays en développement, ce qui confère une poignante actualité à certains passages de son étude. Ce livre est rare dans ses réflexions sur les enfants mort-nés et les rituels qui ont entouré des événements aussi tragiques. Au fil de l’ouvrage, des textes religieux et médicaux fournissent une quantité remarquable d’informations, à l’instar des restes humains eux-mêmes. Ce volume est unique en matière de rassemblement d’exemples de tombes de fœtus, de nourrissons et d’enfants de strates sociales différentes, lequel, utilisé en combinaison avec des preuves textuelles, archéologiques et iconographiques, offre une vue nuancée de la façon dont les différents niveaux de la société ont considéré et traité la grossesse, les mères, la naissance, les enfants et l’enfance.

Le rôle de l’enfant dans la famille et le statut que sa naissance lui conférait constituent également une partie de la réflexion, de même que les questionnements sur le sexe de l’enfant. Les anciens Égyptiens portaient, avec engagement, un regard beaucoup plus équitable à l’égard du sexe de l’enfant que d’autres sociétés, ce que les représentations aussi bien que les textes mettent en évidence. Cette attitude était l’une de celles qui distinguaient les Égyptiens de nombreuses civilisations contemporaines ; elle était particulièrement notable à la période gréco-romaine où les Égyptiens adoptaient éventuellement les fillettes qui avaient été abandonnées sur des tas d’ordures en raison de leur sexe.

La lecture de ce volume est fascinante et offre un aperçu des aspects physiques, pratiques, sociaux, culturels et religieux du premier événement le plus important dans la vie d’un Égyptien de l’Antiquité.