Claudia attendait depuis une vingtaine de minutes. Après avoir quitté les locaux clandestins de l’Agence, Bamboo l’avait abandonnée dans une suite de l’hôtel, le temps d’aller chercher des provisions.
Quand il revint, il avait changé de vêtements.
— Si l’honorable collaboratrice veut bien me pardonner l’inexcusable retard : une communication téléphonique s’est sournoisement saisie de ma misérable personne.
— Vous en avez profité pour vous changer ?
— Il aurait été regrettable que les traces de ma démonstration de tout à l’heure continuent de heurter le regard de l’inestimable collaboratrice.
— Pourquoi vous appelle-t-on Bamboo ?
— Parce que mon déplorable nom est affreusement imprononçable.
— Mais d’où est-ce que ça vient, « Bamboo » ?
— Si ma pauvre mémoire ne m’enduit pas d’erreur, Bamboo Joe a été formé à partir de G.I. Joe. Un G.I. jaune, comme s’amusaient à dire certains de mes collègues qui avaient appris le français en Indochine. Du G.I. jaune, ils sont passés au G.I. de bambou. Puis à Bamboo Joe.
— Et pourquoi « Bamboo » ?
— Mon karma, fit-il avec un geste qui semblait un vague consentement à l’ensemble de l’univers. Une incomparable leçon du destin.
— Je ne comprends pas.
— Le bambou est l’un des matériaux les plus résistants, les plus utiles, les plus tranchants et les plus légers qui soit. Pourtant, en son centre, il est vide. Voilà, inestimable et précieuse recrue, l’idéal que doit poursuivre celui qui désire la sagesse : se vider intérieurement de lui-même pour résister aux événements qui le heurtent. Se vider de ses illusions pour être utile aux autres. S’alléger, n’être tenu par rien, pour accueillir l’immensité de la vie et trancher avec aisance dans les difficultés… Mais je bavarde comme une vieille pie alcoolique et j’oublie la question importante que je dois poser à l’honorable recrue. Celle-ci aurait-elle en sa possession un micro-ordinateur ?
— Euh… oui.
— IBM nouvelle série ?
— Oui. Pourquoi ?
— Et vous avez toujours un modem ?
— Oui…
— Vous êtes la plus précieuse des acolytes ! conclut alors Bamboo. Mais d’abord, fit-il avec un geste vers les provisions qu’il avait apportées, la gracieuse collaboratrice voudrait peut-être honorer cette modeste nourriture de son attention… D’honorables assistants vont mettre à profit le temps du repas pour nettoyer votre trop accessible appartement…
Claudia regarda fixement Bamboo, cherchant à comprendre.
— Les micros, précisa ce dernier.
Deux heures plus tard, après de multiples précautions, ils se retrouvaient dans l’appartement de Claudia.
— L’aile bienveillante du destin favorise notre projet, fit Bamboo en apercevant le micro-ordinateur.
— Si vous traduisiez ?
— Que la gracieuse collaboratrice pardonne à ma misérable bouche sa maladresse. L’humble assistant débordait simplement de joie en constatant que l’indispensable quincaillerie avait survécu au saccage.
Puis, sans attendre la réponse, il s’assit devant le terminal.
— Et maintenant, si l’honorable prolongement électronique daigne accepter mes modestes instructions…
Claudia le regarda manipuler le clavier à toute vitesse. Des messages apparaissaient brièvement à l’écran pour signifier que ses mots de passe étaient acceptés ou pour lui en demander d’autres. Toutefois, rien de ce qu’il dactylographiait n’était visible.
— L’honorable appareil est maintenant en état de répondre à toutes les questions de l’inestimable collaboratrice, dit finalement Bamboo en se tournant vers la jeune femme. Si la proximité de mon insignifiante personne ne l’accable pas trop…
Claudia approcha une chaise et prit place.
Bamboo lui demanda par quoi elle désirait commencer. Elle choisit la mystérieuse organisation nommée SCRAP.
Les banques de données sur les articles de journaux et de revues ne contenaient aucune information sur le sujet. Le SCRAP semblait n’avoir aucune existence publique.
Dans la banque d’Interpol, on mentionnait que le nom était apparu une fois au cours d’un interrogatoire : le prévenu prétendait avoir des révélations à faire sur une mystérieuse organisation internationale, mais désirait obtenir des garanties avant de parler. Le lendemain matin, il avait été retrouvé mort dans sa cellule. Crise cardiaque.
Claudia regardait défiler les noms avec ébahissement. À l’exception de la CIA et du FBI, la plupart des agences lui étaient inconnues. Et aucune n’avait d’information sur le sujet demandé. Ni les diverses agences de renseignements américaines, ni celles des principaux pays occidentaux ne semblaient avoir jamais entendu parler du SCRAP.
À la CIA, cependant, il y avait trois mentions : deux étaient liées à des cas d’empoisonnement de produits alimentaires et pharmaceutiques à l’intérieur des États-Unis ; l’autre concernait l’empoisonnement de bonbons, au Japon, par le célèbre Gang aux vingt et un visages. Dans ces trois affaires, la présence du SCRAP avait été évoquée. Mais il n’y avait aucune preuve.
En voyant les recoupements avec ses propres recherches, Claudia ne put s’empêcher d’être intéressée. Intéressée et inquiète.
Dans la banque de données du Pentagone, on faisait état de quatre demandes d’information en provenance de pays étrangers, dont trois de pays de l’ancien bloc de l’Est, pour une mise en commun des renseignements sur une organisation mal connue qui était soupçonnée de chantage à l’attentat.
Le motif probable de ces demandes, selon ce qu’avaient estimé les experts du Pentagone, était la somme de quinze à vingt millions de dollars US que les Russes avaient dû débourser pour éviter l’explosion de leur base spatiale de Leninsk, près de Baïkonour. Leurs centres de recherche sur les armes bactériologiques avaient également été menacés. Lors d’une première tentative d’extorsion, la Russie avait refusé de payer : un de ces centres avait alors sauté, détruisant par contamination biologique la population entière d’une ville scientifique, en Sibérie.
Le rapport concluait que c’était probablement la même organisation qui rançonnait les multinationales et faisait chanter les gouvernements des pays de l’Est.
— Comment est-ce que vous faites ? finit par demander Claudia.
— Honorable machine très coopérative, répondit Bamboo, dont le visage s’illumina d’un sourire.
— Pour qui exactement travaillez-vous ?
— Pour l’honorable collaboratrice, bien sûr. Le devoir premier d’un contrôle est d’aider son agent dans toute la mesure de ses pitoyables facultés.
— Mais comment pouvez-vous avoir accès à toute cette… information ?
— Honorable petite machine réaliser de véritables prodiges, n’est-ce pas ? répondit Bamboo, en éludant la question.
Claudia le regarda longuement.
— Qui êtes-vous exactement ? finit-elle par lui demander.
— L’aveugle et indigne instrument des impénétrables volontés du destin… Pas très original, je sais… Dans mon cas, le destin habite surtout à New York.
Avant que Claudia, déconcertée, n’ait eu le temps de répondre, Bamboo reprit, comme s’il venait subitement de s’apercevoir d’une catastrophe.
— Si l’honorable collaboratrice veut bien excuser mon impardonnable négligence, je m’empresse de réparer.
Il pianota rapidement des instructions sur le clavier.
Quelques minutes plus tard, après une série particulièrement longue de mots de passe et de numéros de code, un message s’imprima sur l’écran.
BANQUE : Z
SECTEUR : renseignements stratégiques et sécurité
ACCES : niveau AAA
UTILISATEUR : BAMBOO
Bamboo tapa sur le clavier les mots SCRAP et ALL.
Un long texte se mit à défiler sur l’écran. Il y avait toute l’information extraite des banques précédentes en plus d’une foule d’autres renseignements.
— Honorable machine se laisser emporter par l’enthousiasme, fit Bamboo en interrompant l’hémorragie. Nous allons reprendre plus lentement.
*
Dans une salle d’un édifice à bureaux, au cœur de Manhattan, un voyant rouge s’alluma. C’était la septième fois depuis le début de l’après-midi. Le préposé à la surveillance, Lorne Cosby, consulta brièvement son terminal pour vérifier la provenance du signal.
En quatre ans, c’était la première fois qu’il était confronté à une pareille série d’alertes. Sept banques de données majeures avaient été consultées sur un sujet stratégique. Ces sujets étaient désignés par des mots clés. Chaque fois qu’une demande d’information était faite pour l’un de ces mots, un avertissement était émis. Le préposé recueillait alors un certain nombre de renseignements sur la demande. À la fin de chaque journée, il faisait rapport au responsable régional de la sécurité.
Habituellement, il ne communiquait jamais avec son supérieur pendant le jour. Mais, après la cinquième alerte, il avait décroché le téléphone pour rendre compte des événements. Quelqu’un effectuait une recherche massive et systématique sur une organisation nommée SCRAP. Or, ce mot avait une priorité AAA : c’était l’un des sujets les plus importants à surveiller.
Le directeur régional ordonna à Cosby de vérifier l’origine de chacune des demandes d’information. Il lui donna ensuite les instructions nécessaires pour qu’il fasse rapport de toute nouvelle alerte, sans délai, directement au bureau national.
Cosby avait raccroché, excité à l’idée d’avoir enfin un travail qui semblait important. Depuis que l’organisation avait pris soin de lui, à son retour du Vietnam, c’était la première fois que cela lui arrivait.
Frais d’hôpitaux, jambes artificielles, période de réhabilitation : ils avaient tout payé. On lui avait même trouvé un emploi, emploi en apparence très simple et dont il n’arrivait pas à voir l’utilité : il devait examiner chacune des alertes pour vérifier s’il s’agissait d’une enquête systématique, puis déterminer l’origine de la demande de renseignements.
Le salaire était hors de proportion avec l’emploi, tout comme l’ensemble de ce que l’organisation avait fait pour lui d’ailleurs. Ils lui avaient expliqué que c’était un emploi de confiance, qu’ils voulaient quelqu’un dont ils puissent être absolument sûrs. Son passé de marine, ses habitudes de vie, ses convictions avaient été scrutés à la loupe : il répondait à leurs exigences. De plus, il était dans une situation où il ne pouvait pas trouver mieux que ce qu’ils lui offraient. Sa loyauté était assurée.
Lorne Cosby ne savait pas exactement ce qu’était l’organisation. On lui avait simplement dit que des gens avaient commencé à prendre leurs responsabilités. Qu’il était temps que le travail qui n’était pas fait par le gouvernement soit fait par quelqu’un d’autre. Par une organisation. Il ne fallait plus que ce qui s’était passé au Vietnam se reproduise. Il ne fallait plus que les anciens combattants aient honte de leurs mutilations. Qu’ils soient obligés de se cacher.
C’était pour cette raison que l’organisation engageait prioritairement des mutilés de guerre chaque fois que la nature du travail le permettait. Pour cette raison qu’elle assurait leur réhabilitation. Cela contribuait à compenser, au moins en partie, pour les sacrifices qu’ils avaient consentis pour leur pays. En retour, elle était assurée d’avoir des employés totalement dévoués, des employés qui étaient d’accord avec ses propres buts.
L’explication avait satisfait le préposé. La possibilité de redonner un sens à sa vie, même s’il doutait parfois de l’importance de son travail, l’avait lié à l’organisation plus solidement que n’importe quel contrat. Aussi, lorsque le voyant rouge s’alluma pour la huitième fois, c’est avec un mélange d’enthousiasme et de fierté qu’il se tourna vers son terminal pour exécuter ses instructions.
Enfin, quelque chose se passait.
*
Claudia avait noté les principaux éléments contenus dans la banque Z.
Il apparaissait que la présence de l’organisation nommée SCRAP était établie ou soupçonnée dans vingt-huit cas de chantage contre des multinationales de produits pharmaceutiques ou alimentaires. Par ailleurs, cinq écrasements d’avions et deux désastres maritimes, tous à la charge des deux mêmes compagnies d’assurance, étaient également attribués à cette mystérieuse organisation. De plus, dans les pays de l’Est, au moins quatre catastrophes majeures étaient reliées à l’intervention du SCRAP.
De tout cela, il se dégageait l’image d’une vaste entreprise d’extorsion à l’échelle internationale.
Dans la dernière partie du dossier, on mentionnait les liens de cette organisation avec certains groupes terroristes, avec des secteurs du crime organisé ainsi qu’avec divers services de renseignements.
— Comment est-ce qu’ils ont fait pour avoir plus d’information que tous les autres ensemble ? demanda Claudia.
— Les honorables compagnies sont très insistantes dans leur soif de connaissance, répondit Bamboo, comme s’il récitait une phrase pleine de sagesse.
— Quelles compagnies ?
— Les honorables compagnies sont également très insistantes dans leur désir d’éviter la curiosité.
— Le colonel disait que vous n’aviez presque pas d’information !
— L’honorable répartiteur de nos soucis ne connaît pas l’existence de la précieuse banque Z.
— Mais…
— Comme le disait il y a quelques instants ma misérable bouche, les honorables compagnies sont très insistantes dans leur désir d’éviter la curiosité.
Claudia ne réussit pas à en apprendre davantage sur la mystérieuse banque Z. Ni sur les raisons pour lesquelles Bamboo semblait en connaître plus que son supérieur sur l’affaire qu’il dirigeait.
Elle sentait néanmoins qu’elle pouvait lui faire confiance. Pour l’instant.
L’Eurasien finit d’ailleurs par consentir à quelques explications supplémentaires. Ainsi, il lui apprit que la banque avait été constituée lorsque plusieurs multinationales s’étaient regroupées pour assurer elles-mêmes leur sécurité. Elles avaient créé leur propre agence de renseignements et cette agence avait mis sur pied la banque Z. Pirater la plupart des banques existantes avait été relativement facile : les multinationales comptaient dans leurs rangs plusieurs compagnies d’informatique de premier plan qui avaient justement eu pour contrat de superviser l’informatisation de ces banques de renseignements.
Bamboo avait déjà travaillé pour cette agence et il continuait de leur fournir occasionnellement de l’information. En échange, on lui avait permis de conserver un accès à certains secteurs de la banque de données.
Lorsque Claudia avait insisté pour en savoir davantage, Bamboo avait détourné la question en lui demandant sur quel autre sujet elle désirait des renseignements.
— Limbo, dit-elle.
Même dans l’étonnante banque Z, le dossier concernant le présumé tueur à gages était particulièrement mince. Le tout tenait en deux pages, que Bamboo s’empressa de faire imprimer.
Re : LimboNom : Inconnu
Âge : Fin de la quarantaine (présumé)
Race : Caucasienne
Habitudes : Aucune connue
Spécialité : Élimination individuelle
Arme préférée : Aucune connue
Cote : Réputé le meilleur
Fiche anthropométrique : Aucune caractéristique connue
Biographie :
Premier contrat répertorié en 1969. Le sujet a toujours préservé son anonymat. Communique avec ses clients au moyen d’un système d’annonces dans les journaux. Les paiements sont effectués sur différents comptes suisses et disparaissent par le biais d’une série de transferts. Très sélectif dans le choix de ses contrats. Aucun échec connu. Semble choisir ses armes et concevoir ses plans en fonction de la vulnérabilité particulière de chaque cible. Plusieurs attentats déguisés en accidents.
Suivait une description rapide de chacune des « interventions » qui lui étaient attribuées : cible, mode de terminaison utilisé, description des lieux et des circonstances, plan d’approche employé, client probable ou possible…
*
Le directeur général des opérations, Alexander B. Cornforth, était responsable de la sécurité pour l’ensemble du secteur nord-américain. Il révisa une dernière fois les dossiers empilés sur son bureau.
Aucun doute n’était permis : quelqu’un avait fouillé de façon systématique dans les principales banques de données sur les sujets SCRAP et LIMBO. Quelque part, une nouvelle enquête était ouverte. S’il ne réglait pas immédiatement ce problème, l’organisation risquait de ne plus apprécier son travail… ce qui était un euphémisme.
Heureusement, la source de toutes les demandes avait été identifiée : il s’agissait d’une jeune recherchiste nommée Claudia Maher. Son dossier était devant lui, sur la table. Description physique, compétences, situation financière, opinions politiques, bilan médical et psychologique, orientation sexuelle, emplois occupés : tout y était.
Le document lui était parvenu par télex. On y avait même ajouté le message que Klaus lui avait expédié : « LIMBO DANGER SCRAP ».
Le dossier ne répondait cependant pas aux questions que se posait Cornforth.
Tout d’abord, Claudia travaillait-elle de concert avec la CIA ? Son contrat avec eux était connu, mais il était inconcevable que l’agence utilise une simple recherchiste sans aucun entraînement pour un travail de cette importance.
Et si la jeune femme ne travaillait pas pour la CIA, pour quelle raison agissait-elle de la sorte ? Que cherchait-elle ? Car il venait de le vérifier : aucun service connu n’avait fait de demande d’information sur Limbo ou sur une organisation nommée SCRAP au cours des dernières semaines. Se pouvait-il qu’elle agisse de sa propre initiative ? Que ce soit le message de Klaus qui ait tout déclenché ?
Il était inquiétant de penser que les rapports de Klaus avec cette femme aient pu échapper aussi longtemps à leur surveillance.
Cornforth prit le temps de relire tous les documents une autre fois. Puis il arrêta sa décision. Au diable les subtilités de Daran et des autres du comité directeur : eux, ils avaient le loisir de discuter autant qu’ils le voulaient. Mais c’était à lui que revenait la charge d’assurer la sécurité du secteur. Il fallait des résultats. Il téléphona à un numéro qui n’apparaissait dans aucun répertoire public et il donna ses instructions.
Quelques minutes plus tard, l’ordre tombait sur le bureau du répartiteur de Montréal : « Enquire and terminate ».
Le message était accompagné du dossier de Claudia Maher. Suivaient les instructions sur la procédure à employer.
Au même instant, le responsable de la sécurité pour le secteur nord-américain quittait ses locaux et redevenait le puissant sénateur Alexander B. Cornforth. Il avait tout juste le temps de regagner son bureau officiel, à quelques rues de là. Les élections approchaient et une importante délégation juive venait lui présenter ses doléances sur la position de la Maison-Blanche dans les négociations avec la Palestine. Ensuite, il y aurait le cinq à sept avec la délégation russe. Lors de la réception, il s’arrangerait pour toucher un mot à Drozhkin au sujet de ce qui le préoccupait.
Tout en marchant, son esprit revenait sans cesse à Klaus. Jusqu’où avait-il pénétré les secrets de l’organisation ? Comment diable avait-il pu faire ? Et surtout : à qui avait-il révélé ce qu’il savait ?… Heureusement, il n’y avait plus à s’inquiéter de lui. Limbo avait une fois de plus effectué du bon travail. Mais la pensée que des renseignements vitaux pour l’organisation continuaient de traîner, quelque part, lui nouait l’estomac. Si jamais ils refaisaient surface, il serait le premier à qui on demanderait des comptes.
*
À Montréal, sitôt le message reçu, le répartiteur local décrocha le téléphone et fit part de la communication au surveillant général de l’organisation. Ce dernier, arrivé secrètement de Paris quelques jours plus tôt, avait ordonné qu’on lui transmette sans délai tout message en provenance de l’étranger, particulièrement de New York.
Le surveillant écouta avec attention le compte rendu des événements, puis il donna au répartiteur une adresse où lui expédier sans retard les dossiers. Il s’occuperait personnellement de l’affaire.
« Sachez que votre efficacité et votre discrétion sont appréciées », crut-il bon d’ajouter. Mais le rappel n’était pas nécessaire : il était notoire que les dirigeants de l’organisation n’oubliaient jamais un service rendu.
Quelques minutes plus tard, le surveillant prenait à son tour le téléphone et donnait quelques ordres brefs à deux contractuels. Deux spécialistes de l’extraction. Il insista sur le fait qu’il fallait obtenir des résultats rapides. Il spécifia ensuite à quelles questions il désirait obtenir des réponses. La procédure recommandée était celle des trois « i ».
Après avoir noté les coordonnées de la personne soumise à leur attention, les deux extracteurs dirent qu’ils ne prévoyaient aucun problème particulier. Ils rappelleraient lorsque l’extraction serait achevée.
Le surveillant raccrocha à son tour avec un sourire inquiétant : d’une manière ou de l’autre, les choses ne pouvaient que bien tourner pour lui. Si les extracteurs réussissaient, il serait en position d’en prendre le crédit ; s’il y avait des bavures, ce serait Cornforth qui écoperait, puisque toute l’opération résultait de son initiative.