Victor Daran regardait la femme assise sur le bord du lit. Son habillement était à la fois simple et provocant : jupe moulante fendue sur le côté, veston ouvert qui laissait voir son ventre plat et une partie de ses seins, sandales faites de larges bandes de cuir croisées – le tout d’un rouge vif. Elle ne portait rien sous son veston. De longs et minces filaments de cuir noir attachés à une large ceinture pendaient tout autour de sa taille. Deux boucles d’oreilles asymétriques, toutes noires, encadraient un visage dont le maquillage dur accentuait les angles.
La femme le regardait d’une façon assurée, avec un sourire légèrement ironique.
— Cette semaine, il va y avoir une prime, fit Daran.
— Quelque chose à faire en surplus ?
— Quelque chose en moins.
— Connaissant tes goûts…
— Tu en sais beaucoup, je trouve. Pardiac devrait se la fermer.
— Il y a seulement un problème : s’il se ferme, je me ferme aussi. Pas nécessairement de la même façon, mais…
— Ça va, ça va !
— Le petit supplément en moins, c’est quoi ?
— Une surprise pour Alex.
— Cher Alex ! C’est un gentil toutou. Tu ne trouves pas ?
— Moi, en ce qui concerne les toutous, je serais plutôt du type employé de fourrière.
— C’est parce que tu ne sais pas les prendre.
Ce bavardage à double sens amusait visiblement la fille. Daran décida d’y couper court pour lui expliquer ce qu’il attendait d’elle.
— Je suppose que ce qui se passe ensuite ne me concerne pas ? fit-elle, lorsque Daran eut terminé.
— Tout juste.
— Je m’éclipse ?
— Ça vaut mieux.
— Bon…
— Ce serait une bonne idée de t’éclipser jusque de l’autre côté de l’Atlantique. Pardiac avait l’air particulièrement indisposé, la dernière fois que je lui ai parlé. Il doit être en manque.
— Je pense qu’il n’apprécierait pas beaucoup que tu te mêles de ses affaires !
Elle se leva, attacha un bouton de son veston et prit son sac sur le bureau.
— Je dois y aller, dit-elle. Il peut arriver d’un instant à l’autre.
— J’ai besoin d’une heure. Il faut que tu l’étires jusque-là.
— Pas de problème. Je te l’ai dit, tantôt : j’ai la main, avec les toutous.
Puis elle ajouta avec un air provocateur :
— Même quand ils jappent.
*
Une vingtaine de minutes plus tard, le sénateur Alexander B. Cornforth entrait dans l’appartement réservé à la partie la plus personnelle de sa vie. Même ses proches en ignoraient l’existence.
Le sénateur avait des motifs de se réjouir. Les deux nouvelles collectes de fonds étaient bien amorcées : cela ferait taire les insinuations à son sujet et clouerait le bec à ceux qui mettaient en doute ses capacités. Il n’était pas fini et il allait le leur montrer. En quelques jours seulement, il venait de mettre sur pied deux opérations dans de nouveaux secteurs : il méritait bien de se récompenser un peu.
Deux fois par semaine, il s’octroyait un no string afternoon. Personne ne pouvait alors le joindre. Absolument personne. Il avait creusé ces trous dans l’horaire de sa semaine pour pouvoir se terrer. Oublier tout le reste. Il allait parfois dans la maison de la quarante-deuxième rue, où la fille l’attendait, mais, le plus souvent, c’était elle qui venait à son appartement secret. Ce qu’elle inventait alors pour lui était régulièrement au-delà de ses espérances. Toujours le même canevas de base, mais de merveilleuses variations.
Avec un peu de chance, elle serait déjà arrivée.
*
Bamboo avisa d’abord le colonel Burnham qu’il avait perdu Claudia.
— Lorsque l’honorable appareil s’est arrêté, il n’y avait plus aucun bruit dans l’appartement. Le silence de l’âme du bouddha dans le silence du nirvana, ajouta-t-il, comme si cela devait apporter un complément d’information indispensable.
— Vous allez me la retrouver tout de suite, espèce de singe à cul jaune ! explosa le colonel. Sinon, vous allez goûter au silence des archives pour le reste de votre silencieuse carrière !
Bamboo poursuivit son rapport comme si de rien n’était.
— L’inestimable assistant dans le hall ne l’a pas vue sortir. Ni celui qui surveillait la sortie du garage.
— Êtes-vous certain qu’on ne l’a pas aidée à disparaître ? Si jamais il lui est arrivé quelque chose à cause de votre négligence…
— Que le valeureux gardien du bureau se rassure, la précieuse collaboratrice ne risque rien. J’ai senti son karma lorsqu’elle est entrée chez elle et je puis certifier que…
— Ça suffit ! Trouvez-la au plus vite si vous ne voulez pas que votre karma à vous passe au hache-viande !
— L’humble serviteur fera l’impossible et même davantage pour satisfaire à la délicate requête du méticuleux gardien !
— Bamboo !
Mais l’autre avait raccroché.
Le colonel prit une longue respiration pour calmer non seulement la colère, mais aussi l’inquiétude qu’il sentait monter en lui.
À sa connaissance, il n’y avait rien de prévu contre la jeune femme. Pour quelle raison aurait-elle décidé tout à coup de disparaître ?… Est-ce que la partie était en train de se jouer par-dessus sa tête ?
*
La femme l’avait attaché par jeu, presque à sa demande. Elle l’avait attaché par terre, les jambes et les bras écartés. Ses mains étaient ficelées aux pattes d’un lourd divan et ses pieds à ceux de la table en chêne massif.
Elle l’avait déshabillé comme on déchire l’enveloppe d’un chocolat. C’était ce qu’elle lui avait dit : un chocolat qu’elle allait grignoter à petits coups de dents. Car ce n’était peut-être pas un jeu.
Le sénateur Alexander B. Cornforth avait complètement oublié ses ennuis quotidiens. Évanouis, les tracas que lui donnait son travail clandestin. Disparues, les rumeurs qui circulaient à son sujet. Il flottait, sans mémoire, dans le monde tissé par les gestes et les paroles de la femme en rouge.
Avec les ciseaux, elle s’était d’abord attaqué aux jambes du pantalon et les avait ouvertes sur toute leur longueur. Puis elle avait découpé au hasard dans la chemise, jusqu’à ce qu’il ne reste que des lambeaux qu’elle avait déchirés avec ses mains. Ensuite elle avait achevé de mettre en pièces l’entrejambe.
Une fois le pantalon éliminé, elle avait glissé les ciseaux à l’intérieur du slip pour qu’il sente le contact froid du métal contre sa peau. Puis, avec des coups secs qui claquaient nerveusement, elle avait réduit le tissu en charpie pour dégager son sexe.
Sur un ton chargé de sous-entendus, elle lui avait dit qu’elle aimait ce sentiment de pouvoir que lui donnaient les ciseaux. Ce sentiment de contrôle total.
Son plus grand plaisir, ajouta-t-elle, était de savoir qu’elle pouvait aller aussi loin qu’elle le voulait. Qu’il ne pouvait rien y faire.
C’est à ce moment que la crainte avait commencé à apparaître dans les yeux du sénateur. Il ne reconnaissait plus tout à fait la voix qui jouait à le menacer. Avec des gestes brusques et maladroits, il avait essayé de libérer ses poignets. Il lui avait demandé de le détacher.
En guise de réponse, elle s’était mise debout au-dessus de lui pour lui caresser le corps avec ses pieds. D’abord délicatement, en s’attardant autour de son sexe dressé, puis de façon de plus en plus rude. Elle avait frotté sans ménagement son pied contre son visage en le traitant de chien de capitaliste, de sale exploiteur. Elle l’avait forcé à embrasser la semelle de ses bottes.
Aimait-il le jeu ? lui avait-elle demandé. Était-il certain que c’était vraiment un jeu ?… De toute manière, il n’avait plus rien à dire : elle seule déciderait jusqu’à quel point les choses iraient.
Le sénateur avait protesté : il voulait être détaché. Tout de suite. Elle pouvait continuer le scénario, mais il voulait être libre de ses mouvements.
Sans même répondre, elle avait continué de se déshabiller. Elle avait d’abord enlevé ses bottes. Puis son veston. Elle avait ensuite laissé tomber sa large ceinture, avec les insignes du marteau et de la faucille.
Puis elle avait brusquement mis un pied sur la gorge de Cornforth. Pas au point qu’il étouffe, mais en appuyant assez pour qu’il respire avec difficulté et qu’il sente le sang lui battre aux tempes.
— Tu es chanceux que je ne sois pas pressée, avait-elle dit. Je pourrais en finir tout de suite. Mais peut-être aimerais-tu mieux étouffer entre mes cuisses. Plusieurs de mes clients ont ce genre de fantasmes… Eh oui, tu n’es pas le seul ! se moqua-t-elle. Il paraît que c’est lié à la naissance. À la sensation d’étouffement lors des accouchements difficiles. De toute manière, les hommes ne sont jamais à court d’explications pour justifier leurs fantasmes. Surtout les stupides cochons capitalistes…
Elle ajouta finalement, après une assez longue pause et sur un ton plus sérieux :
— De toute façon, c’est moi qui vais décider. Depuis le temps que j’imagine des scénarios pour satisfaire tes fantasmes, il est temps que je pense aux miens !
En maintenant ses yeux fixés sur le visage du sénateur, elle avait alors glissé la main à l’intérieur de sa jupe et elle avait commencé à se caresser.
*
Un second appel de Bamboo rejoignit la directrice à New York, où elle était retournée la veille.
Une de ses amies donnait une réception à laquelle elle devait absolument faire acte de présence, sous l’identité de madame Ogilvy. Il était « impensable » qu’elle ne prenne pas le temps d’y grignoter quelques hors-d’œuvre en commentant les tout derniers potins.
— L’honorable collaboratrice est en route pour New York, fit Bamboo.
— New York !
— Faut-il que votre modeste serviteur lui emboîte le pas par le prochain avion… si je puis me permettre cette image ?
— Que s’est-il passé ? Je veux tous les détails.
Bamboo raconta à la directrice de l’Agence ce qu’il avait appris.
— Elle vous a dit tout ça elle-même ? s’étonna F.
— Bien sûr que non. Mais en écoutant le bruit du silence…
— Je vois.
— À mon modeste avis, il ne serait pas inutile de prévoir une escorte discrète pour la précieuse collaboratrice dès le moment de son arrivée. Une escorte abondamment prête à toutes les éventualités.
— Je m’en occupe. Vous, vous restez à Montréal. Je vous téléphone aussitôt qu’il y a du nouveau.
— À vos inestimables ordres…
Sitôt qu’elle eut raccroché, la directrice sortit un petit boîtier de son tiroir. À l’intérieur, il y avait un bouton. L’appareil pouvait être utilisé indéfiniment, mais l’agent qui répondrait au signal, lui, ne pourrait l’être qu’une fois ou deux. Cependant, si ce que Bamboo lui avait dit était juste, il était temps de jouer sa carte secrète.
Elle appuya sur le bouton.
Le signal fut relayé par le mécanisme encastré dans le mur jusqu’à un satellite situé en orbite stationnaire au-dessus de New York, lequel retransmit le signal en direction de la ville. À peine quelques secondes plus tard, un minuscule circuit électronique implanté dans le flanc gauche d’une personne décodait le signal et le transformait en un faible courant électrique de cinq secondes, répété à trois reprises, à deux secondes d’intervalle.
Moins de deux minutes plus tard, sur la ligne réservée pour cette occasion, le téléphone sonnait.
La directrice mit rapidement son agent spécial au courant de la situation. Elle lui recommanda une intervention aussi limitée que possible et uniquement si les circonstances la rendaient nécessaire. Elle lui fournit ensuite un nouveau numéro qu’il pourrait utiliser pour lui faire rapport. Un numéro qui n’avait encore jamais été utilisé et qui ne le serait plus par la suite.
Après avoir raccroché, elle enclencha la chaîne stéréo. Les voix entremêlées du Spem in alium envahirent la pièce, dissolvant la tension des dernières minutes. C’est sans effort, presque avec sérénité, qu’elle entreprit d’assimiler l’information qu’elle venait de recevoir et d’en tirer les conséquences.
« Ceux d’en face » avaient fait un nouveau mouvement. Ils avaient attiré Claudia à New York… Il était peu probable que ce soit pour l’éliminer. Cela, ils auraient pu le faire tout aussi facilement à Montréal.
Allaient-ils, comme Bamboo le croyait, lui faire de véritables révélations ? Si tel était le cas, cela signifiait qu’ils se sentaient coincés. Qu’ils étaient peut-être même prêts à certains sacrifices pour se protéger.
Pourvu que son agent réussisse à ne pas se brûler trop vite…
*
La femme en rouge n’avait plus que son masque et son slip. Comme à l’habitude, le masque lui couvrait tout le visage, dégageant seulement les yeux qui étaient d’un noir intense et liquide. Le sénateur n’avait jamais vu le visage de la femme qu’il rencontrait depuis plus d’un an. Jusqu’à maintenant, cela ne l’avait pas dérangé. Au contraire. Mais, pour la première fois, il ne se sentait pas complètement à l’aise.
Le déroulement de la séance s’était progressivement accéléré, comme le scénario d’un film tout à coup projeté à trop grande vitesse. Cela le déconcertait. Jusqu’à ce jour, la femme en rouge, qu’il connaissait sous le nom de Kommie, avait toujours su trouver le rythme qui épousait celui de son désir.
— Et maintenant, tu veux savoir ce que je vais faire ? demanda-t-elle.
— Oui, oui ! se dépêcha de répondre le sénateur.
Elle lui raconta alors les divers châtiments auxquels elle avait pensé. Elle lui en fit imaginer d’autres, lui demandant de les décrire à haute voix. C’était nouveau. Jamais auparavant, elle n’avait autant parlé. Et jamais elle ne lui avait demandé de parler. Au contraire, elle avait l’habitude de le faire taire à la moindre remarque.
— Ça va, fit tout à coup une voix qui claqua dans la pièce. J’ai toute la pellicule qu’il me faut.
Une autre femme entra, habillée d’une combinaison de cuir noir. Elle était plus grande et portait un masque identique, sauf qu’il était noir.
— Tu peux nous laisser, dit-elle à la première. Le reste concerne uniquement le sénateur et moi.
Malgré les protestations de son client, Kommie se dépêcha de quitter les lieux.
— Et maintenant, qu’est-ce que nous allons bien pouvoir faire de toi ? dit la femme en noir en s’adressant au sénateur d’une voix étrangement basse.
Elle avança une chaise et s’installa juste à côté de lui.
— Tu sais que tu deviens tout à fait encombrant ? reprit-elle.
— Qui êtes-vous ?… Je vous préviens, je n’ai pas du tout envie de ce scénario !
— Qui je suis ?… Un instrument. Un simple instrument.
— Pourquoi êtes-vous ici ? Comment avez-vous fait pour entrer chez moi ?
— Si vos électeurs savaient à quoi vous occupez vos loisirs !
— Qui êtes-vous ? insista le sénateur, nettement inquiet cette fois.
— Je viens de vous le dire, cela n’a aucune importance. La seule chose qui en ait, c’est ce qui va se passer… Vous n’êtes pas curieux de savoir ce qui va se passer ?
— Si c’est de l’argent que vous voulez…
— Vous me comprenez mal, coupa la femme. Mon seul but est de régler un problème. Car vous représentez un problème, Alexander B. Cornforth.
Un éclair de compréhension passa dans les yeux du sénateur.
— Pas le recyclage ?
— Eh oui.
— Ce n’est pas possible. Il y a un malentendu. Tout est remis sur pied. Avec la dernière opération…
— Je ne suis pas ici pour discuter des raisons. La chose a déjà été faite ailleurs.
— On ne m’a même pas donné le choix !
— C’est vrai. On ne vous traite pas avec une délicatesse excessive. Mais les circonstances exigent une intervention rapide. Une mise en scène particulière. Vous voulez que je vous explique ?… À titre de compensation, je suis autorisée à vous expliquer à quoi votre recyclage va servir. Mais d’abord, une formalité.
Elle enfila une paire de gants et sortit un vibrateur de son sac à main.
— Ce sera sans doute moins agréable que le traitement habituel, mais j’ai pour principe de ne pas avoir de rapports de ce genre avec mes clients. Tâchez d’en profiter !
Ignorant les questions et protestations du sénateur, elle enclencha le bouton de l’appareil et se pencha vers lui…
— Voilà une bonne chose de faite, dit-elle en se relevant. Sans cela, la mise en scène aurait été moins convaincante.
Elle jeta l’instrument sur le tapis, à côté du corps toujours attaché du sénateur.
— Lorsqu’ils vont vous découvrir, ils vont croire que vous avez été victime d’un rituel sado-maso qui est allé trop loin. Les bandes vidéo « oubliées » sur l’appareil vont confirmer cette hypothèse.
— Je ne veux pas mourir ! se mit à crier Cornforth. Je ferai ce que vous voulez. N’importe quoi… Je ne veux pas mourir !
Il se mit à pleurer et à marmonner confusément des supplications.
Sans s’occuper de lui, la femme se leva, prit le porte-documents qu’elle avait amené avec elle et se rendit dans le bureau du sénateur.
Elle démasqua un coffre-fort derrière une reproduction de Rubens, l’ouvrit et y jeta pêle-mêle le contenu de sa serviette. Laissant la porte entrouverte, elle revint ensuite vers le sénateur.
Ce dernier avait partiellement retrouvé la maîtrise de lui-même.
— Tout est en place, dit-elle. Les listes, les numéros de coffres, les codes… Ils vont en avoir assez à se mettre sous la dent pour les occuper pendant des semaines.
— Mais pourquoi ?
— Vous le savez bien : pour couper les pistes. Il faut savoir sacrifier le membre atteint de gangrène. Autrement, tout l’organisme y passerait.
— Mais moi ?
— Je sais que vous n’avez pas droit à un traitement très équitable. Normalement, on aurait dû vous offrir un sursis. Mais les circonstances…
Quelques minutes plus tard, le sénateur n’émettait plus aucune protestation. Le gaz que la femme lui avait vaporisé au visage avait rapidement atteint son système nerveux, le privant de tout mouvement volontaire. Seul son esprit demeurait lucide.
— Encore pour la mise en scène, avait expliqué la femme. Il est nécessaire que vous n’ayez pas l’air de vous être débattu.
Elle sortit ensuite un bas de nylon de son porte-documents, le passa autour du cou du sénateur et elle commença à serrer.
— Je m’excuse de devoir y aller très progressivement, mais il faut que je respecte le scénario.
Un peu avant la fin, elle enleva son masque : c’était sa vengeance personnelle. Le sénateur saurait qui l’avait tué. Cela ajouterait encore à son humiliation, à sa frustration. Et il ne pourrait rien dire. Muet, paralysé, il réaliserait à quel point il avait été trompé, manipulé ; à quel point il était impuissant à y changer quoi que ce soit. À quel point l’autre avait eu du plaisir à le tuer. À prolonger son agonie le plus longtemps possible.
Puis il mourrait.
Il mourrait, sa fureur étouffée au fond de la gorge, des mains de la personne qu’il haïssait le plus.
*
Installée en première classe, Claudia relisait une fois encore la dernière lettre de Klaus. Elle l’avait gardée avec elle pour exacerber son besoin de vengeance, pour se donner la force et le courage d’aller jusqu’au bout.
Dans une demi-heure, elle débarquait à New York.
*
Après avoir vérifié que seuls les indices prévus demeuraient dans la pièce, l’assassin eut un dernier regard pour le sénateur. Puis il sortit.
C’était vrai que le pauvre Cornforth n’avait pas eu de chance. Normalement, l’organisation traitait mieux ses membres dont le recyclage devenait nécessaire.
La méthode habituelle était simple : on soumettait le candidat à une implantation hebdomadaire de cellules souches cancéreuses. L’organisation ajoutait une compensation financière à chacune des interventions. Ainsi, la victime se voyait accorder un délai suffisant à la fois pour profiter des derniers mois de sa vie et pour mettre de l’ordre dans ses affaires : par exemple, en entassant sur la tête de ses héritiers diverses primes d’assurance.
Mais le sénateur s’était vu dénier ce privilège. Le plan exigeait que sa mort éclate dans les journaux le plus rapidement possible. Sa mort et les révélations qu’elle entraînerait.
L’assassin réintégra la chambre qu’il avait louée, se changea, refit son maquillage et réclama que l’on prépare sa voiture. Tout n’était pas terminé. Il avait encore beaucoup à faire avant la fin de la journée.