Commençons par le commencement, ni la Bible ni le Coran, quoique la première femme de Mahomet, Khadidja, fût une cougar notoire, et entrons en littérature par le biais du fantasme de tout adolescent, la femme initiatrice.
Écoutons comment Rousseau raconte dans ses Confessions le passé aventureux de celle qu’il a tant aimée, Mme de Warens. Mal mariée, elle a pris des amants, dont M. de Tavel qui s’est chargé, en libertin philosophe, de son instruction et l’a initiée au sexe, sans qu’elle en éprouve, raconte Rousseau, aucun plaisir. Elle n’en ressentira pas plus avec les nombreux amants qui suivront, « comme elle était peu sensuelle et n’avait point recherché la volupté, elle n’en eut pas les délices et n’en a jamais eu les remords. […] Elle ne pouvait concevoir qu’on donnât tant d’importance à ce qui n’en avait point pour elle ». Après s’être enfuie de chez son mari, Louise-Éléonore de Warens s’est convertie au catholicisme et reçoit une pension de roi de Sardaigne pour aider à son tour au processus de conversion.
Voilà la femme de vingt-huit ans chez qui Rousseau, seize ans, trouve refuge après avoir fui Genève et la maison paternelle et devant qui il s’exclame :
« Que devins-je à cette vue ! Je m’étais figuré une vieille dévote bien rechignée. […] Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d’une gorge enchanteresse. Rien n’échappa au rapide coup d’œil du jeune prosélyte ; car je devins à l’instant le sien, sûr qu’une religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener en paradis. »
Très vite il l’appelle Maman et elle Petit :
« Si les sens entrèrent dans mon attachement pour elle, ce n’était pas pour en changer la nature, mais pour le rendre seulement plus exquis, pour m’enivrer du charme d’avoir une maman jeune et jolie qu’il m’était délicieux de caresser : je dis caresser au pied de la lettre, car jamais elle n’imagina de m’épargner les baisers ni les plus tendres caresses maternelles, et jamais il n’entra dans mon cœur d’en abuser. On dira que nous avons pourtant eu à la fin des relations d’une autre espèce ; j’en conviens, mais il faut attendre, je ne puis tout dire à la fois. »
Avant de songer à l’initier au sexe, Mme de Warens s’occupe de son âme et de son avenir : entre l’âge de seize et vingt ans, elle le fait voyager à Turin, Lyon, Lausanne, etc. pour l’amener à se convertir et trouver sa vocation. S’il se refuse à la prêtrise, Rousseau se révélera doué pour la musique. Ces pérégrinations ne se font pas sans heurts : harcelé par un catéchumène maure qui tente de le violer et dont il parvient tant bien que mal à se défendre, il est traumatisé ensuite par un ouvrier en soie qui lui propose de « s’amuser en compagnie », de partager un moment d’intimité masturbatoire ; il s’enfuit à toutes jambes. Plus tard, il doit s’échapper de chez un abbé qui ne l’a recueilli, affamé et dormant à la belle étoile sur une place de Lyon, que pour mieux assouvir ses pulsions de « grand vilain ». Rousseau, qui se livre sans fard, raconte même dans un récit désopilant sa courte période exhibitionniste.
De retour chez sa protectrice, il devient maître de musique. Ses mésaventures ne s’arrêtent pas pour autant : il reçoit des propositions de toutes les mères de ses élèves. Comme il les détaille chaque soir à maman, elle perçoit le danger de laisser son petit se débrouiller seul et décide qu’il suffit. Il est temps pour elle de programmer l’apprentissage sexuel de Jean-Jacques.
Si Rousseau est mal à l’aise – l’idée de l’inceste ne le quitte pas –, Mme de Warens, elle, ne se tourmente guère. Dès l’instant où elle décide de passer du statut de mère à celui d’initiatrice, elle change de comportement et traite Jean-Jacques en homme et non plus en fils.
Comme le sexe n’est pas tabou, puisqu’il n’est pas affaire de cœur mais de raison, Mme de Warens fait sa proposition au jeune Rousseau au cours d’une promenade au terme de laquelle elle lui laisse huit jours pour réfléchir à l’idée de coucher avec elle. Il rechigne mais accepte :
« Ce jour, plutôt redouté qu’attendu, vint enfin. […] Je me vis pour la première fois dans les bras d’une femme, et d’une femme que j’adorais. […] Je ne sais quelle invincible tristesse en empoisonnait le charme. Deux ou trois fois en la pressant avec transport dans mes bras, j’inondai son sein de mes larmes. Pour elle, elle n’était ni triste ni vive ; elle était caressante et tranquille. »
Ils s’installent aux Charmettes où ils vivront l’époque la plus heureuse de leur vie : « Je me levais avec le soleil, et j’étais heureux ; je me promenais, et j’étais heureux ; je voyais Maman, et j’étais heureux ; je la quittais, et j’étais heureux. »
Ces années d’harmonie céleste prendront fin quand il tombera malade. Il doit se rendre à Montpellier où exerce un médecin réputé pour soigner le polype au cœur dont il souffre. Lors de son séjour, il rencontre une autre femme – cougar collectionneuse dont nous reparlerons – sensuelle, exact opposé de Mme de Warens auprès de laquelle il reviendra malgré tout.
À son retour aux Charmettes, elle l’a remplacé : « Bref, je trouvai ma place prise. » Toujours pragmatique, elle lui offre de reprendre leur relation telle qu’ils l’avaient laissée, sans rien lui faire perdre de ce qu’il avait acquis ; le ménage à trois ne l’effraie pas puisqu’au moment de l’initiation de Rousseau, elle était officiellement l’amante de Claude Anet, son jardinier. Il refuse, préférant redevenir le fils de sa maman ; perplexe, elle prend ses distances et l’auteur de se rengorger : « Prenez la femme la plus sensée, la plus philosophe, la moins attachée à ses sens ; le crime le plus irrémissible que l’homme puisse commettre envers elle est d’en pouvoir jouir et de n’en rien faire. »
Le détachement de Mme de Warens face au sexe est énigmatique : pygmalionne par choix, raisonnable sans réflexion, sans pudeur ni remords, sa seule satisfaction viendrait du fait de rendre l’autre heureux.
D’ailleurs, lorsque des années plus tard, Rousseau la revoit vieillie et ruinée et qu’il lui propose de venir vivre chez lui avec sa femme Thérèse, elle repousse son soutien ; jusqu’à son dernier souffle, elle veut rester la femme indépendante, libre et sans maître qu’elle a toujours été.
Laissons le XVIIIe siècle, Rousseau et le récit de sa chanceuse adolescence et passons à une relation moins champêtre, celle qui unit une ancienne courtisane à un apprenti gigolo dans le Paris de la Belle Époque. Paradoxalement, ce n’est pas au sexe que la cougar initiera son toy boy, mais à l’amour. Explorons le personnage de Léa dans Chéri de Colette, qui, à quarante-neuf ans, se dit « dévouée depuis trente années à des jouvenceaux rayonnants ou à des adolescents fragiles ». Fred Peloux, alias Chéri, dix-neuf ans, est le fils de Charlotte, la plus proche amie de Léa, courtisane comme elle. Il a été élevé par les deux femmes.
Un soir qu’il rentre d’une soirée arrosée comme il en a toutes les nuits, il s’approche de Léa et la force à l’aimer.
« – Embrasse-moi !
Surprise, Léa ne bougea pas.
– Embrasse-moi, je te dis !
Il ordonnait, les sourcils joints, et l’éclat de ses yeux soudain rouverts gêna Léa comme une lumière brusquement allumée.
Elle secoua la tête, mais seulement jusqu’à l’instant où leurs bouches se touchèrent ; alors, elle demeura tout à fait immobile et retenant son souffle comme quelqu’un qui écoute. »
Un peu réticente d’abord face à l’inceste sous-tendu, elle cède en éternelle initiatrice :
« Quand il la lâcha, elle le détacha d’elle, se leva, respira profondément et arrangea sa coiffure qui n’était pas défaite. Puis elle se retourna un peu pâle et les yeux assombris, et sur un ton de plaisanterie :
– C’est intelligent ! dit-elle. […]
Ils se mesurèrent en ennemis. […] Elle vint à lui pour l’embrasser, avec […] des pensées de châtiment.
Elle l’embrassa si bien qu’ils se délièrent ivres, assourdis, essoufflés, tremblants comme s’ils venaient de se battre… »
Leur liaison dure six ans, « elle disait quelquefois adoption, par penchant à la sincérité ». Mère de ce « nourrisson méchant » qu’elle n’a pu enfanter, et maîtresse de cet homme sublime dont elle admire chaque jour la beauté parfaite, Léa se prend au jeu de cette relation :
« Elle attendait en vain, pour la première fois de sa vie, ce qui ne lui avait jamais manqué : la confiance, la détente, les aveux, la sincérité, l’indiscrète expansion d’un jeune amant – ces heures de nuit totale où la gratitude quasi filiale d’un adolescent verse sans retenue des larmes, des confidences, des rancunes, au sein chaleureux d’une mûre et sûre amie. […]
Robuste à présent, fier de ses dix-neuf ans, gai à table, impatient au lit, il ne livrait rien de lui que lui-même et restait mystérieux comme une courtisane. »
D’ordinaire, en initiatrice, elle sait laisser partir ses amants lorsqu’ils doivent prendre femme, nullement jalouse et plutôt heureuse de passer au suivant. Dans cette histoire, plus le temps s’écoule et plus elle s’attache à ce toy boy autoritaire malgré la distance qui les sépare : elle est sa première relation alors qu’il est sa dernière. Et l’annonce du mariage de son amant avec la jeune Edmée la terrasse :
« C’est bien fait pour moi, on ne garde pas un amant six ans à mon âge. Six ans ! Il m’a gâché ce qui restait de moi. De ces six ans-là, je pouvais tirer deux ou trois petits bonheurs si commodes, au lieu d’un grand regret… »
Les mois passent, elle soigne sa douleur à Nice, et lorsqu’elle revient à Paris, Fred l’attend, il veut quitter Edmée. L’heure est aux aveux :
« Elle l’écarta pour mieux le voir :
– Tu m’aimais donc ?
Il baissa les yeux avec un trouble enfantin :
– Oui, Nounoune.
Un petit éclat de rire étranglé, qu’elle ne put retenir, avertit Léa qu’elle était bien près de s’abandonner à la plus terrible joie de sa vie. Une étreinte, la chute, le lit ouvert, deux corps qui se soudent comme les deux tronçons vivants d’une même bête coupée… »
Le retour aux sources est de courte durée et le lendemain matin, le désenchantement opère. Chéri ne voit plus devant lui qu’une vieille femme, « pas encore poudrée, une maigre torsade de cheveux sur la nuque, le menton double et le cou dévasté, elle s’offrait imprudemment au regard ». Il s’échappe et une fois sorti sur le perron « gonfle d’air sa poitrine, comme un évadé ».
Ça n’est que dans La Fin de Chéri, après la guerre de 1914, que Fred comprendra qu’il ne peut se passer de Léa et essaiera de la revoir. Ces romans sont avant tout ceux de la révélation du sentiment amoureux qui hélas ne touche pas les protagonistes en même temps. Devenue une vieille femme et l’ayant accepté, elle ne cherche plus à séduire et trouve dans la gourmandise le remède à tous ses maux :
« J’aime bien mon passé. J’aime bien mon présent. Je n’ai pas honte de ce que j’ai eu, je n’ai pas de chagrin de ce que je n’ai plus. »
Et même si Chéri, lorsqu’il se retrouve enfin face à elle, ne voit qu’une dame aux cheveux gris mal peignés, au « cou de vieille poule », il lui en veut d’avoir réussi à oublier leur passé et de ne tenir nullement à le faire revivre :
« Toi, de naître si longtemps avant moi, moi de t’aimer au-dessus des autres femmes, nous en avons été bien punis : te voilà finie et consolée que c’en est une honte, et moi… Moi, tandis que les gens disent : il y a eu la guerre, je peux dire : il y a eu Léa, la guerre… Je croyais que je ne songeais pas plus à l’une qu’à l’autre, c’est l’une et l’autre pourtant qui m’ont poussé hors de ce temps-ci. »
Chéri se suicidera, ne souhaitant survivre ni à la guerre ni à son chagrin d’amour, tandis que Colette laisse à Léa une force de vie intacte et un « appétit élastique ».
Moins glam et plus glauque, traversons le siècle et parcourons Le Liseur, de Bernhard Schlink, qui réunit un collégien et une ancienne SS, gardienne de Konzentrationslager devenue contrôleuse dans une compagnie de tramway. Il a quinze ans, elle en a trente-six. C’est en marchant dans la rue que l’héroïne, Hanna Schmitz, porte secours à Michaël titubant sous l’effet d’une violente jaunisse – elle l’aide à vomir proprement. Depuis ce jour, il cherche à la revoir : la première fois pour lui apporter des fleurs et la remercier ; elle le fait entrer chez elle, ils se parlent à peine et au moment de quitter l’appartement, alors qu’elle est en train de s’habiller pour sortir, il la surprend accrochant ses bas à ses porte-jarretelles. Troublé, il s’enfuit. Huit jours plus tard, il retourne la voir : toujours laconique, elle lui demande d’aller à la cave pour chercher du charbon. Rendu maladroit par le désir de bien faire, il renverse un seau et remonte noir de poussière, aussi lui fait-elle couler un bain. La scène est excitante pour le garçon et le devient encore plus :
« Par-derrière, elle m’enveloppa de la tête aux pieds dans la serviette et me frotta pour me sécher. Puis elle laissa tomber la serviette par terre. Je n’osais pas bouger. Elle s’approcha si près de moi que je sentis ses seins contre mon dos et son ventre contre mes fesses. Elle était nue aussi. Elle mit ses bras autour de moi, une main sur ma poitrine et l’autre sur mon sexe dressé.
– C’est bien pour ça que tu es venu ! »
Pas de questions sur l’âge, une pure initiation, nature, brutale, à l’allemande :
« Nous prenions une douche et nous faisions l’amour. […] je me laissais volontiers savonner par elle, et j’aimais la savonner, et elle m’apprit à ne pas le faire avec pruderie, mais avec une application toute naturelle et possessive. Dans l’amour aussi, elle prenait tout naturellement possession de moi. Sa bouche prenait la mienne, sa langue jouait avec la mienne, elle me disait où et comment la toucher, et quand elle me chevauchait jusqu’à ce qu’elle jouisse, je n’étais là, pour elle, que parce qu’elle prenait son plaisir avec moi. »
Ils ne connaissent pas encore leurs prénoms et c’est là le principe du livre : l’absence de tout simulacre de tendresse faisant naître paradoxalement un amour tenace. Bientôt la lecture d’un roman à voix haute par le toy boy s’ajoute au rituel de leurs rencontres. Lorsqu’ils partent en vacances, Michaël les fait passer pour une mère et un fils, sans s’interroger sur ce statut. Il trouve ça plutôt drôle, il en est fier. Elle disparaîtra de sa vie à la suite d’un quiproquo.
Devenu étudiant en droit, c’est en assistant à un procès d’assises qu’il revoit Hanna. Il découvre avec horreur son passé de surveillante dans un camp de concentration. Elle est accusée d’avoir écrit un rapport prouvant qu’avec d’autres gardiennes elles ont laissé des femmes brûler vives dans une ferme au moment de la Libération sans leur porter secours. Il vient tous les jours au procès. Elle est condamnée à perpétuité ; Michaël seul a compris qu’illettrée, elle ne pouvait avoir rédigé le rapport. Partagé entre la compassion et l’indignation, il ne parvient pas à l’oublier et trouve le moyen de renouer le fil de leur relation grâce à la lecture à voix haute : il enregistre des cassettes qu’il lui fait parvenir en prison.
Après dix-huit années de détention pendant lesquelles elle a appris à lire et à écrire, Hanna va être libérée et, lorsque le narrateur peut enfin la revoir quelques jours avant sa sortie au parloir de la prison, il la reconnaît à peine :
« Hanna ? Cette femme sur le banc était Hanna ? Cheveux gris, des rides verticales sur le front, les joues et autour de la bouche, et un corps lourd. »
« J’avais tant aimé son odeur, jadis. Une odeur toujours fraîche. […] J’étais assis à côté d’Hanna et je sentais une vieille femme. »
Il organise quand même son retour à la vie, mais le jour de sa libération, elle se pend.
La brutalité du geste est en accord avec la dureté du personnage. C’est une initiatrice, certes, mais surtout un corps blessé, une âme souffrante en manque d’une reconnaissance qu’elle sait ne pouvoir obtenir à cause de son passé. Et lui reste seul avec une somme de questions sans réponse : « L’avais-je reniée et trahie ? Avais-je été coupable en l’aimant ? Parfois, je me suis demandé si je n’étais pas responsable de sa mort. Et quelquefois, j’ai été en colère contre elle, et à propos de ce qu’elle m’avait fait. »
Ces initiatrices refusent tout secours quand l’âge les rattrape, distinguant leur vieillesse de leur vie amoureuse et oubliant même qu’elles ont un jour aimé séduire. Alexandre Jardin dans Bille en tête raconte l’histoire de Clara, une femme de trente-cinq ans qui initie à l’amour Virgile, un jeune homme de seize ans.
Virgile rencontre Clara à une réception à laquelle son père l’a convié et dont elle est l’organisatrice. Il la suit partout, lui parle sans arrêt. Amusée, elle accepte de le placer à sa droite au dîner. Il s’offusque du fait qu’un homme la regarde fixement depuis le début de la soirée, elle rit, c’est son mari, celui qui lui permet de vivre si bien.
En la quittant, il lui donne rendez-vous le vendredi suivant à la sortie du collège ; elle accepte et l’emmène en Rolls Royce à Deauville. Ils y rencontrent le père de Virgile, étonné de les trouver là tous les deux ; le jeune homme veut faire un coming out, mais elle rit à ses déclarations. Les apparences sont sauves. Les amants peuvent retourner dans leur chambre du Normandy où, enfin, elle l’initie au sexe.
Comme il est surpris de la lenteur des préliminaires, elle finit par le prendre brutalement :
« Ah tu veux aller vite ! s’écria-t-elle. Piquée au vif par mes demandes répétées et insistantes, Clara avait fini par s’exaspérer ; et, comme pour se venger, elle s’était soudain déchaînée avec, apparemment, la ferme intention de me violer. Sa culotte voltigea. […] Jamais, depuis, je n’ai été pris de façon si cavalière, dans tous les sens du terme. Elle me chevauchait littéralement, en activant son bassin avec vigueur, tel un hussard sonnant la charge, lorsque tout à coup, son halètement s’accompagna de couinements de chiot. »
Leur histoire dure et, petit à petit, Virgile s’installe dans la maison, en amant officiel, le mari voyageant beaucoup. Cependant, pour Virgile, cette idylle n’est qu’une transition, un rite initiatique qui matérialise le passage de l’enfance à l’âge adulte. Alexandre Jardin insiste sur la mort récente de la mère du personnage, or il pourrait fort bien être le fils de Clara… Si on ajoute à cela sa fierté d’être entretenu, de se faire offrir deux montres et un train électrique, le transfert est encore plus évident.
De son côté à elle – qui nous intéresse plus –, elle vit un rêve, une échappée. Jean, son mari, n’est plus capable « de la faire rêver », Virgile prend sa place : il a une chambre chez eux, préside aux dîners qu’elle organise. Si l’auteur affirme qu’elle n’est pas « l’une de ces femmes friandes de chair fraîche », de fait, il dresse le portrait d’une cougar de magazine, tout en prétendant éviter les clichés du genre. Clara refuse bien de le considérer comme un jouet ou un gigolo, mais elle aime se sentir rajeunie par la présence à ses côtés d’un amant plus jeune, elle est émue lorsqu’il lui dit qu’elle ne sera jamais vieille pour lui « comme si le père Noël venait de lui faire cadeau d’un surplus de jeunesse ». Elle aime l’initier, s’afficher en public avec cet « amant enfant » pour le plaisir de choquer les bourgeois :
« Vieux fantasme français qui touche toutes les couches de la population, y compris les bourgeois. Autour de nous l’affolement était général. Les murmures allaient bon train. Les plus snobs affectaient même de trouver normal qu’une femme mûre s’envoyât un petit jeune. »
Mais, horreur, elle ne supporterait pas qu’on la voie comme ce qu’elle est : l’exact équivalent d’un homme d’âge mûr qui s’accorde le plaisir d’avoir à son bras une lolita. On a le sentiment que l’auteur la déshonorerait en lui prêtant un tel dessein.
Quand Virgile propose à Clara de s’enfuir aux îles Marquises pour y vivre seuls et sans entraves, elle refuse ce romantisme d’adolescent et le retour de bâton est sans appel : exit la cougar. Elle n’a pas cédé à l’ultime caprice, il la congédie cruellement :
« Elle avait certes encore du charme, mais celui d’une époque dépassée. Sa peau n’était pas flasque ; bien que, par endroits… Mais elle avait une ride, c’est historique, une, sur le front, signe avant-coureur de la débâcle. Seules ses dents avaient l’air de bien tenir le coup ; mais on n’aime pas une femme pour sa denture. »
Il la quitte comme il quitte son enfance ; elle rentre dans le rang après cette échappée avortée. Voilà le sort des cougars obstinées.
Quittons ces initiatrices et leur toy boy désenchanté et allons faire un tour du côté de cougars plus maternelles, prêtes à tous les sacrifices.