Un spectateur avisé aurait pu remarquer la présence d’un homme, sur un banc du parc, la soixantaine bien tassée, vêtu d’un pardessus démodé depuis plus d’un quart de siècle, qui les observait attentivement de sa place, pendant que Christa et Charles conjecturaient sur les événements du jour. L’homme avait un dossier marron sur les genoux, comme un écolier qui attend de passer au tableau. La patience ne faisait pas défaut à cet individu mystérieux qui avait déjà tenté d’aborder le professeur la veille au soir. Il devait à tout prix réussir à lui parler et, pour cela, le trouver seul et disposé à l’écouter. Jusqu’à présent, cela avait été impossible, et il savait que Charles devait repartir le lendemain après-midi, cela ne lui laissait plus qu’une seule chance. Pendant qu’il les suivait du regard, il s’efforçait de trouver une solution pour retourner dans l’hôtel sans se faire remarquer. S’il avait été attentif à autre chose, l’homme aurait pu observer que Julius Henry traînait un sac très inhabituel, plus long que large et plutôt étroit, dans l’immeuble en face de l’hôtel. Il aurait vu également que la lumière s’était allumée au premier étage au bout d’à peine deux minutes. Mais il aurait pu voir également qu’un autre individu se tenait juste derrière lui et ne le quittait pas des yeux. Bella avait placé ses hommes sur le terrain, y compris le flic obèse qui comptait parmi ses sbires, pour qu’ils rapportent précisément la présence de quiconque ne faisait pas partie des membres de la conférence et des autorités et qui tentait d’entrer en contact avec Charles. Après la tentative de la veille de l’homme au pardessus, elle l’avait fait filer par l’un de ses hommes. Qui devait pour l’instant se contenter d’observer et de rendre compte.
Le dernier coup de fil reçu par Bella était plus bienveillant que le précédent. Werner jugeait qu’elle s’était acquittée avec brio de son devoir. Mais pour ne pas perdre de son autorité il avait ajouté que l’opération n’était pas terminée et que tout pouvait encore capoter. Il lui avait répété que Baker ne devait surtout pas échapper à leur surveillance, qu’il ne fallait pas le lâcher et que si sa vie était mise en danger, ils devraient se jeter sur le trajet des balles si besoin. On ne devait pas toucher à un cheveu du professeur. Pour l’instant. De même, tout étranger suspect s’approchant de lui devait être minutieusement interrogé et, au besoin, éliminé. Il comptait sur Bella et son intelligence du terrain.
Bella ne comptait même plus le nombre de fois où ils avaient répété la mission. Elle connaissait le plan par cœur et elle avait pris toutes les précautions. Elle savait qu’en dépit des services rendus à l’Institut au fil des ans, un échec dans cette opération lui coûterait la vie, ainsi qu’à toute personne impliquée. Elle n’avait pas d’endroit où fuir. Ils l’auraient retrouvée au bout de la terre. Alors l’échec n’était pas une option. Elle le savait parfaitement. L’Institut ne rigolait pas quand les enjeux étaient gigantesques.
Bella n’était pas du genre à se laisser intimider et elle détestait Werner. Elle préférait infiniment son chef précédent et avait beaucoup regretté d’avoir à le couler vivant dans le béton des fondations d’une autoroute, dans le sud de l’Espagne.
Après avoir raccroché, Bella revêtit une tenue bien plus légère et se dirigea vers la maison en face de l’hôtel. Là-bas, Julius Henry était en pleine activité de montage de ce qu’il avait sorti du mystérieux bagage.