Le camion tourna à droite puis à gauche. Sur le toit, Charles s’était couché en diagonale et se tenait aux barres à bagage. Christa avait procédé de la même manière. Quelques centaines de mètres plus loin, après s’être assuré que personne ne les suivait, Ion Pop s’était garé en prenant soin de ne pas freiner trop brusquement. Il descendit et les aida. Charles voulait dire quelque chose, mais l’agent reprit le volant et l’interrompit :
— Montez. On aura le temps de parler en route.
Charles et Christa montèrent à côté du chauffeur. Le véhicule disposait de deux places et demie à l’avant, la banquette de droite étant plus large qu’un siège ordinaire.
— C’est quoi, cette voiture ? demanda Christa.
— C’est tout ce que j’ai trouvé à cette heure. C’est un camion pour transporter la glace, ou quelque chose dans le genre. Depuis qu’elle l’a confisqué, la police l’utilise constamment. Et je n’avais pas le choix pour transporter les cadavres.
Charles reprenait ses esprits. Il ne savait plus tout à fait où il en était, mais cette aventure ne lui déplaisait pas. Chaque fois qu’il avait vécu des péripéties de ce genre, dignes de films d’action, il s’en était sorti indemne et en avait tiré de fabuleux enseignements. Il était convaincu qu’il en serait de même cette fois-ci. Il avait fourré le dossier marron sous son peignoir et l’avait protégé à chaque instant. Christa avait réussi à embarquer ses vêtements. Celle-ci demanda où se trouvait son sac à dos. L’agent lui répondit qu’il était à l’arrière, il lui faudrait patienter un peu pour le récupérer.
— On risque de se retrouver avec des barrages sur le chemin.
— Vous n’avez pas ces cartes d’agents secrets qui ouvrent toutes les portes ? demanda Charles.
Si, ils avaient ça. Christa se demanda si quelqu’un les avait vus sauter sur le camion. Il n’y avait personne dans la rue et, à l’intérieur de l’hôtel, tout le monde était trop occupé pour se soucier de ce qu’il se passait dehors. Au pire, ils auraient pu voir un camion s’arrêter et repartir en trombe moins d’une minute plus tard. Et rien d’autre. Il était fort probable que personne n’ait rien remarqué.
À l’hôtel, le commissaire suivit les gouttes de sang jusqu’à la chambre de Charles. Il frappa, mais, n’obtenant pas de réponse, il demanda le passe à la réception. Ils trouvèrent dans un fauteuil un homme plus mort que vif, qui avait perdu beaucoup de sang. Ils appelèrent les secours. Malheureusement il était trop tard. L’homme mourut dans l’ambulance avant de parvenir à l’hôpital.
Le policier ne savait pas quoi faire. Depuis qu’il était commissaire, il n’avait pas traité d’affaire plus spectaculaire que la poursuite de malfaiteurs après une tentative de braquage de banque. L’établissement n’avait pas beaucoup de liquidités et les braqueurs – armés de simples couteaux et masques de ski sur la figure – n’avaient pas pu s’approcher du coffre. Ils avaient perdu leur sang-froid et s’étaient enfuis par la fenêtre des toilettes dès qu’ils avaient aperçu la première voiture de police. Ils avaient été rattrapés rapidement et le commissaire, décoré, avait eu l’occasion de se pavaner. Mais là, la situation le dépassait complètement. Cinq morts le même jour, des rituels sataniques, des vampires, des diables verts, des professeurs américains. C’en était trop. Ion Pop était parti, Christa semblait s’être évaporée et le professeur restait introuvable.
Il téléphona à Bucarest, à son parrain, secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur. Qui ne répondit pas. Il décida que le professeur était probablement celui qui les avait tous tués. Et que son alibi était suspect. Comme la situation était trop compliquée pour être résolue en une nuit, il s’assura que les scènes de crime étaient sous scellés et rentra chez lui retrouver ses trois filles, sa femme et sa belle-mère.