Chapitre 2

À sa descente de voiture, Charles fut accueilli par le commissaire de police Gunther Krauter.

Il ne se laisserait pas faire. On l’avait soustrait de façon bien peu délicate à son colloque, sans même lui expliquer pourquoi.

Il détestait les interventions en force des autorités. En fait, il avait renoncé à une carrière de consultant politique justement à cause du côté collet monté de ce milieu. Il ne supportait pas le costard-cravate. Ça lui donnait l’air d’un pingouin, disait-il, à cause de son cou épais et court, qui contrastait avec le reste de son corps – taille et poids moyens, le physique ordinaire de quelqu’un qui s’entretient. C’est pourquoi il faisait confectionner ses chemises sur mesure. Il pouvait se le permettre. Les conférences qu’il donnait, ses honoraires de spécialiste en communication politique, les droits d’auteur de ses livres à succès lui assuraient de confortables revenus, et à tout cela s’ajoutaient les gratifications que les gouvernements des États-Unis et de la Grande-Bretagne, plus quelques investisseurs privés, lui avaient accordées. Tout cela avait fait de lui un homme presque fortuné. Ses marques préférées étaient Charvet, Brioni et Kiton. Les mauvais jours et pour varier, il portait du Breuer, de l’Eton ou du Turnbull & Asser. Il fallait en convenir, sa garde-robe était si foisonnante et son dressing si vaste que l’une de ses amantes avait fondu en larmes, un beau matin, quand elle y était entrée par mégarde en cherchant la salle de bains. Ce qui comptait pour lui, c’étaient les marques, mais surtout les matières et la qualité des coutures. Il ne portait jamais ce qui de près ou de loin pouvait ressembler à un pull-over ou à toute autre matière rêche – les couvertures dans certains hôtels pouvaient le rendre fou. Sa chemise devait être une caresse, et lui procurer une sensation de bien-être tout au long de la journée. Il préférait le coton. Le coton Pima, d’Égypte ou Sea Island, pourvu qu’il entre dans la catégorie « coton à fibres très longues ». Il appréciait aussi le twill italien ou la batiste et la marceline. De temps à autre, il s’offrait des chemises en popeline. Ces marques avaient leur propre designer et certaines ne fournissaient qu’une poignée de clients. Charvet était sa préférée, la Rolls Royce de la chemise sur mesure. Rien que dans les blancs et les bleus, on comptait deux cents nuances. Alors, à chacun de ses passages à Paris, la maison Charvet, place Vendôme, était pour Charles une destination obligatoire.

— Où vous fournissez-vous en chemises ? demanda le commissaire avec curiosité.

Charles s’étonna du sens de l’observation du policier. Il n’était pas donné à tout le monde de reconnaître une Brioni, la chemise rose pâle qu’il portait ce jour-là. Ainsi, le flic avait du goût. Où se l’est-il formé ? se demanda Baker. Il était certain que personne à trois cents kilomètres à la ronde n’avait jamais vu une telle qualité. Mais par précaution, et parce qu’il détestait mettre les gens mal à l’aise à part quand c’était absolument nécessaire, il répondit :

— C’est ma femme qui me les achète. Je n’y connais rien.

Il n’était pas marié et, puisqu’il n’était pas bon menteur non plus, il venait de dire ce qui lui était passé par la tête.

— Pourquoi suis-je ici ? poursuivit-il.

Le policier le regarda, l’air hésitant. Devait-il le lui dire sur place, l’inviter à le suivre et lui montrer, ou l’envoyer au poste et l’interroger ? Christa Wolf avait insisté pour que Baker soit convoqué sur la scène de crime. Alors il se limita à obéir.

— Suivez-moi.

Ils prirent la côte en direction de l’escalier.