Chapitre 8

Au numéro 25 de la rue Herman-Oberth se trouvait le plus bel hôtel, et le plus récent, de la ville natale du plus célèbre vampire de tous les temps. L’établissement n’existant pas encore lors des précédentes visites de Charles, ce dernier fut agréablement surpris lorsqu’il descendit de la voiture de l’ambassade des États-Unis qui l’y avait conduit directement de l’aéroport de Cluj-Napoca. Charles adorait les hôtels de luxe. Comme il était toujours entre deux départs, il s’écoulait souvent des mois sans qu’il rentre chez lui. Certes, il aimait explorer des endroits anciens, des sites médiévaux, mais il souhaitait surtout, au terme d’une fatigante journée, pouvoir se détendre dans un lieu luxueux et décoré avec goût.

Il admirait tout, dans un hôtel – les chambres joliment décorées aux immenses lits garnis de nombreux oreillers ; les tenues des caméristes et les uniformes des majordomes ; la politesse des réceptionnistes ; les salles de bains plaquées de marbre ; les bonbons et panières de fruits qu’il trouvait sur le lit à son arrivée. Il appréciait par-dessus tout la sonnette à la réception, dans les rares lieux où son usage subsistait encore.

Il lui arrivait de passer des heures dans le hall, avec son ordinateur portable, à observer l’affluence chamarrée des clients de l’hôtel. Quelques-uns de ses livres avaient ainsi vu le jour dans ces vastes espaces, sous toutes les latitudes. Le ballet des gens élégants qui traînaient des bagages, les destins qui se croisaient pour un bref instant avant de se séparer pour toujours, cela le fascinait. Parfois il tentait de deviner le métier de toutes ces personnes, il étudiait leur physionomie, leurs vêtements, leur comportement. Il engageait facilement la conversation avec tout le monde, dans les nombreuses langues qu’il maîtrisait. C’était un homme doté de beaucoup d’esprit, et sa culture encyclopédique, forgée dès son enfance passée dans la labyrinthique bibliothèque de la maison de son grand-père et de son père, ajoutait à son charme.

Il en savait presque toujours plus que quiconque sur presque tout, mais, bien entendu, avec l’air de ne pas y toucher. Il pouvait discuter aussi naturellement avec un médecin qu’avec un chauffeur de taxi. Il avait envoûté toutes les serveuses de restaurants où il avait dîné, et il pouvait naviguer de l’histoire du cinéma au sexe des anges avec autant de talent. C’est également dans les hôtels qu’il avait rencontré presque toutes ses amantes – autant de souvenirs extrêmement agréables. À un moment donné, il lui était même passé par la tête d’emménager à l’hôtel.

L’hôtel Central Park lui plut immédiatement, parce que l’entrée ressemblait à celle d’un théâtre parisien baigné d’une lumière chaude et de couleurs – affiches criardes et ampoules colorées en moins. Il appréciait le bois et le fer forgé sur fond de tapis rouges imprimés du lys impérial, de tableaux d’artistes locaux ou de peintres de passage. Pour sûr, l’ensemble était un peu kitsch, mais à quoi la vie aurait-elle ressemblé sans excès de décoration, sans une petite dose de mauvais goût ? Il adorait le bar-restaurant aux faux airs de cottage anglais, avec ses lambris foncés et ses étagères garnies de livres reliés de cuir et de bouteilles de vin qui lui rappelaient la maison où il avait grandi. Ce n’était ni le Ritz ni un Four Seasons, mais celui qui avait construit ça dans une ville où les meilleurs hôtels avaient tout au plus l’air rustique méritait d’être félicité.

Charles traversa le bosquet d’arbres agrémenté de quelques bancs, entra dans l’hôtel, se dirigea vers la réception et demanda si la conférence était terminée. Le réceptionniste confirma et lui tendit la clé. Comme à son habitude, en attendant, Charles avait parcouru le hall d’un regard circulaire. Une femme assise dans un fauteuil – bois doré et coussins de velours rouge – l’observait depuis son arrivée. Leurs regards s’étaient brièvement croisés, celui de Charles ayant tout de suite été happé par ses mollets impressionnants. Perchés sur des talons de quinze centimètres, ils étaient musclés comme ceux d’une championne du monde de culturisme. Sa jupe tendue à craquer laissait deviner des cuisses à la même musculature exagérée. Un autre géant doté de deltoïdes qui auraient fait honte à Arnold Schwarzenegger apparut sur le seuil du bar. Charles se demanda à quoi ressemblerait la progéniture de ce couple étrange. Il prit sa clé et monta au premier étage, chambre 104. On lui avait proposé un appartement calme, avec vue sur la cour intérieure, le meilleur de l’hôtel, mais il avait préféré une chambre avec balcon au-dessus de l’entrée et vue sur le petit jardin pour y prendre son café matinal, accompagné du Cohiba dont il se gratifiait une fois par jour, quand il était de bonne humeur.