Chapitre 51

Il était déjà plus d’1 heure du matin, le train quittait Bratislava, la capitale slovaque, quand Bella sentit un énorme creux à l’estomac. Elle n’avait rien avalé depuis presque vingt-quatre heures, à part quelques biscuits salés et deux litres de Coca-Cola achetés à la gare. Elle avait alors envoyé Milton en éclaireur jusqu’au wagon-restaurant pour s’assurer que tout danger était écarté et qu’elle pourrait s’y rendre ou, mieux encore, qu’il pourrait rapporter de quoi grignoter. Quand elle entendit frapper à la porte, elle l’ouvrit donc en grand. Une seconde suffit pour qu’une main vienne l’égorger, d’un seul mouvement. Bella hocha un peu la tête, cligna des yeux puis tomba à la renverse. L’homme au blouson de motard l’observa quelques secondes puis, peut-être par pitié ou parce que le bruit le dérangeait, il se pencha, lui prit la tête entre les mains et la tourna violemment. Le râle cessa.

Milton se retrouva nez à nez avec Charles entre deux wagons. Il se réjouit que le duo ait quitté sa table, mais il vit par la porte vitrée du restaurant que les serveurs enlevaient les nappes et faisaient le ménage. Il entra et insista pour acheter quelque chose à manger. Après avoir essayé de lui faire comprendre que c’était fermé et que la cuisine l’était aussi, un serveur lui donna les deux portions qu’il avait mises de côté pour son collègue et lui. Avec ce qu’ils avaient gagné ce soir-là, ils pourraient bien s’offrir un petit déjeuner copieux dans le centre de Prague. Après quelques minutes d’attente, Milton rentrait donc victorieux. Il frappa à la porte de Bella, personne ne répondit ; il entra, mais le faible éclairage du couloir ne suffisait pas à y voir, et il chercha l’interrupteur à tâtons, tout en tenant les deux assiettes en équilibre. Au moment où il trouva l’interrupteur il sentit une cordelette d’acier lui serrer le cou. Il lâcha les assiettes, mais il était trop tard. Le filin lui avait sectionné la carotide. Dans un dernier sursaut il poussa sur ses pieds, mais le sang noyait déjà le col de sa chemise. L’assassin ne desserra son collet qu’à l’instant où Milton cessa de se débattre.

Le motard éclaira le compartiment, se fit de la place en poussant les cadavres avec le pied et entreprit de fouiller dans les affaires de Bella. Il ouvrit les deux ordinateurs et inséra dans l’un puis dans l’autre une clé USB démarrant un programme pour effacer toutes les données de leurs disques durs. Puis il les écrasa sous son talon avant de les balancer par la fenêtre. Il trouva le passeport de Charles et l’empocha. Puis il sortit sans bruit en prenant soin de bien refermer la porte. Il s’assura qu’il n’y avait personne dans le couloir et frappa à la porte voisine. Julius Henry était couché et n’avait aucune envie d’aller ouvrir. Alors il cria à celui qu’il croyait être Milton d’entrer. Mais on frappait encore à la porte, alors le géant se leva en râlant et actionna la poignée. Le couteau se planta directement dans son œil gauche et un violent coup de pied dans l’estomac le projeta contre la fenêtre. Le géant se précipita sur l’agresseur, mais celui-ci s’esquiva et Henri se retrouva propulsé contre la porte, le manche du couteau pénétrant encore plus profondément dans son crâne. Il hurla de douleur. Par-derrière, le filin inexorable se déploya et le fit s’écrouler. Alors que l’assassin fouillait le compartiment, son téléphone vibra et s’alluma. Sur l’écran apparut un chronomètre qui affichait un compte à rebours à 60 minutes. Aussitôt une carte signala Brno et un point rouge se mit à clignoter. Il s’assura que dans le sac rectangulaire utilisé par l’équipe de Bella à Sighișoara tout se trouvait en place et il y jeta le passeport de Charles, puis il s’assit sur la couchette en attendant d’arriver à Brno, la deuxième plus grande ville de République tchèque. Les pieds sur le dos du géant mort qui occupait toute la cabine, il sortit sa balle de tennis.

Une heure plus tard il descendit à Brno et suivit le signal du téléphone. Celui-ci le conduisit sur le parking de la gare et palpita de plus en plus rapidement jusqu’au moment où il se transforma en point vert. L’homme n’en revenait pas. Il avait sous les yeux la moto la plus rapide du monde. Une Asphaltfighters Stormbringer modifiée pour deux passagers. Une blonde fatale l’attendait, assise dessus. Beata Walewska était le plus talentueux agent secret que Werner ait connu. Une véritable machine à tuer qui avait, au fil du temps, assumé les missions les plus délicates. Chaque fois, elle s’en était acquittée sans commettre la moindre erreur. Beata était la seule personne au monde en laquelle Werner Fischer avait confiance. Elle était payée par l’Institut, mais travaillait pour Werner qui, chaque année et depuis cinq ans, versait pour elle deux millions de dollars sur un compte dans une banque suisse. Plus quelques bonus pour des missions spéciales.

Beata tendit un casque en Kevlar au motard sans dire un mot, releva sa chevelure et la dissimula sous son casque. Elle rabattit la visière et se plaça à l’avant. L’assassin aurait aimé essayer ce petit bijou dont il avait entendu parler. Mais le geste de la femme ne laissait place à aucune discussion. Alors il posa son sac entre son dos et le dossier grillagé, puis il enfourcha le monstre de 280 chevaux.