Les trois policiers discutaient de la façon d’informer leur chef au sujet des prisonniers. Ils décidèrent que l’un d’eux irait jusqu’au train pour le lui dire de vive voix. Au moment où celui qui avait été désigné sortit, un courant d’air glacé traversa le poste de police. Comme si une masse d’air polaire s’était abattue sur le village. Les policiers sentirent le froid jusque dans leurs os. Christa frissonna et Charles fut pris de tremblements. Le policier à l’accueil cria à celui qui venait de partir de fermer la porte derrière lui parce que le froid rentrait à l’intérieur. La lumière se mit à palpiter, d’abord légèrement puis davantage, et toutes les ampoules faiblirent. Les variations de tension n’étaient pas rares dans le coin. Le village se trouvait près d’une centrale électrique et, à chaque changement de générateur, il y avait des coupures de courant. Soudain, toutes les lumières s’éteignirent et le poste se retrouva dans le noir complet. Le policier contourna son comptoir pour aller fermer la porte d’entrée et prendre une torche électrique et une lampe à pétrole qu’il gardait sous la main pour ce genre de situation. On n’y voyait rien, ce qui signifiait que la porte d’entrée devait être fermée. Puis on entendit un gémissement, un grincement et un affaissement. Christa et Charles sursautèrent. Ils se rapprochèrent l’un de l’autre.
Le policier avait dû de se prendre les pieds dans quelque chose et tomber. Son collègue se mit à l’appeler, d’abord normalement puis d’un air paniqué. Sa peur était palpable dans l’obscurité. Christa et Charles se rapprochèrent encore. Ils ne savaient pas très bien qui protégeait qui. Le bruit d’un autre affaissement puis le sol grinça encore plus. Le grincement se rapprochait. Comme un bruit de pas. On aurait dit un flottement éthéré suivi d’un pied qui traîne. Une étrange claudication. Cela se dirigeait vers eux. Malgré le noir complet, Charles tenta de discerner quelque chose. Il lui sembla distinguer une silhouette, mais il n’en était pas sûr. Le bruit de pas cessa. Ils entendirent la grille bouger. La porte en fer grinça. Christa porta instinctivement sa main à la poche où elle conservait son arme, mais elle était vide. Le silence se fit et le grincement du parquet sembla s’éloigner. Puis les murs se mirent à trembler et un infernal bruit de canalisations rouillées transperça le silence. On entendit de l’eau couler dans une autre pièce. De nouveau le silence. Tous deux étaient pétrifiés, prêts à se défendre.
Au bout d’un moment la lumière palpita de nouveau. Et revint tout à fait. Le froid semblait avoir quitté la pièce avec l’obscurité. Christa et Charles se regardèrent et s’éloignèrent un peu l’un de l’autre. La porte de la cellule improvisée était ouverte et les clés se trouvaient sur la serrure, à l’extérieur. Un craquement s’éleva alors de la radio et une voix dit quelque chose en tchèque. Christa sortit en premier. Le dos plaqué au mur, elle se déplaçait lentement, poing fermé sur la clé pour s’en servir d’arme. Arrivée dans le hall, elle vit les trois policiers à terre. Charles sortit à son tour et apparut derrière Christa. Elle était penchée sur les corps sans vie. L’un d’eux fut agité de mouvements spasmodiques puis plus rien. De leur cou, par deux trous rapprochés, du sang s’écoulait. Ils ne semblaient pas être blessés ailleurs. Christa se tourna vers Charles et fit un signe de tête signifiant « on ne peut plus rien pour eux ».
— Il faut partir, très vite ! lança-t-elle.
Charles n’était pas convaincu.
— Vous voulez expliquer ça à des flics enragés ? poursuivit Christa. Avec un peu de chance personne ne nous aura vus !
— Vous avez l’intention de partir à pied ? On a déjà eu cette idée et ça ne nous a pas réussi ! fit Charles, soucieux et terrifié par ce qu’il voyait.
Il semblait hypnotisé.
Christa récupéra son arme et son portefeuille, elle prit aussi la valise de Charles. Ils sortirent de là. Le véhicule de police était garé dehors, avec la clé sur le contact. Elle fit signe à Charles de monter. Il obéit.
La voiture avait quitté le village depuis un bon moment quand la nuit, oiseau de mauvais augure, de noirceur et de suie, commença à se dissiper.