Lorsqu’il se rendit compte que son fils ne donnait pas signe de vie, le chef de la police monta en voiture et en quelques minutes seulement il fut au poste. Les lieux semblaient déserts ; la main sur son arme, après avoir défait la pression de sécurité de l’étui à sa ceinture, il s’approcha prudemment de la porte d’entrée. Alors il entendit un bruit. Il tourna la tête et vit le buisson s’agiter.
Une demi-heure plus tard, l’un des médecins des services de secours se demandait encore ce qui avait pu plonger le jeune homme retrouvé derrière le buisson, à présent assis dans le fauteuil de son père et protégé par une couverture, dans cet état cataleptique. Il essayait de déclencher un réflexe oculaire, mais le regard restait incroyablement fixe. Son père aussi bien que sa mère qu’on était allé chercher avaient tenté de lui parler, de le prendre dans leurs bras, de le faire sortir de l’état de choc par tous les moyens. Ils lui avaient même jeté de l’eau fraîche sur le visage. Finalement le médecin lui injecta un décontractant musculaire. Le jeune homme se détendit et sembla s’endormir. Alors quelque chose lui échappa de la main et tomba avec fracas sur le sol. C’était le téléphone mobile qu’il avait tenu serré, comme quelque chose de très précieux.
Miloš Bambenek savait que son fils, comme tout jeune de son âge, était totalement obsédé par son Smartphone. Après avoir résisté pendant plusieurs mois, il avait fini par le lui acheter alors que cela coûtait une petite fortune. Depuis lors, le jeune homme ne se séparait plus de son appareil, qu’il soit à table, aux toilettes, ou devant la télévision, à tel point que Miloš commençait à se demander si son fils n’aurait pas besoin d’un petit passage chez le psy. Il avait abandonné l’idée quand il avait vu les enfants des voisins, un étudiant et une lycéenne, se comporter exactement de la même manière.
Le policier se demandait comment il était possible de se concentrer sur quoi que ce soit quand on était interrompu sans arrêt par ces satanés appareils. Son cadet aussi passait son temps à tirer sur tout ce qui bougeait sur sa PlayStation, qu’il lui avait offerte tant il était soulagé qu’il n’ait pas redoublé. Son salon était devenu le plus cruel champ de bataille qu’il ait jamais imaginé. Miloš résistait aux campagnes de Napoléon, aux guerres médiévales et même à la mitrailleuse qui fauchait tout ce qui débarquait à Omaha Beach, mais quand apparaissaient les robots protéiformes qui avaient des jambes à la place de la tête, il rendait les armes de la patience et il partait au poste.
Il savait aussi que son aîné photographiait et filmait absolument tout ce qu’il voyait pour le poster immédiatement sur les réseaux sociaux. Il songea que, peut-être, ne serait-ce qu’une fois, cette passion pourrait se révéler utile. Alors il s’assit sur une chaise et réveilla l’écran. Il avait eu raison. Il entra directement dans l’album photo. Il appuya sur le dernier cliché et l’agrandit. Il ne comprenait pas bien ce qu’il voyait alors il balaya l’écran en arrière. C’était la même chose, photographiée des dizaines de fois, en rafale. Alors que la réceptionniste qui travaillait à mi-temps passait devant lui, il lui demanda comment transférer la photo sur l’ordinateur. La jeune femme saisit l’appareil et envoya la photo par e-mail. Miloš se rendit dans le bureau voisin en se faufilant entre les morts allongés sous des draps et alluma l’ordinateur.