Chapitre 38

Le chef de la police aux frontières de Lökösháza, Fekete László, se réveilla légèrement inquiet, ce matin-là. Tout le monde avait de la température, chez lui. Les jumeaux âgés de onze mois éternuaient et le front de son épouse brûlait de fièvre sous sa main. Ils étaient la prunelle de ses yeux. Ils avaient eu leurs enfants à quarante-huit ans, après plusieurs vaines tentatives et de longs traitements, et il était devenu ultraprotecteur. Il venait de prendre son service et y resterait pour deux tours de garde afin d’avoir ensuite deux jours pour emmener sa famille chez un meilleur médecin, à Békéscsaba. Avant de sortir de la maison, il s’était assuré que les trois malades avaient tout ce qu’il leur fallait et il avait prié une voisine, une ancienne infirmière, de veiller sur eux. Fekete László était très apprécié dans ce village proche de la frontière avec la Roumanie. D’une grande délicatesse et d’une rare générosité, il était toujours prêt à rendre service, en particulier à ses voisins. Il partageait même les bakchichs qu’il encaissait à la douane avec les personnes de son entourage qui étaient dans le besoin. Il demandait rarement quoi que ce soit en échange, si bien que les autres le lui rendaient bien dès qu’il en avait besoin. L’infirmière, qui avait une tête de gauleiter, lui avait assuré qu’elle s’occuperait de tout, qu’il n’avait aucun souci à se faire.

À peine avait-il sorti ses affaires de sa serviette que son téléphone portable se mit à sonner. Un numéro inconnu. Une voix gutturale avec un fort accent étranger lui ordonna d’allumer son ordinateur, de se connecter à Internet et de saisir une suite de chiffres dans le moteur de recherche. László crut d’abord à une plaisanterie et il prévint la personne au bout du fil qu’il était de la police et avait les moyens de l’identifier. Alors il valait mieux ne pas rappeler. Il raccrocha. Deux secondes plus tard, il reçut un MMS. C’était une photo de ses jumeaux endormis, prise de dessus. Il les avait habillés juste avant de partir et il se rendit bien compte que la photo datait du matin même. Il se sentit mal. Le téléphone retentit de nouveau. Il répondit, le souffle court.

— J’espère que j’ai enfin toute votre attention. À présent, faites exactement ce que je vous dis. Pas de conneries.

La personne raccrocha. Sur l’écran apparut une suite de chiffres. Il les saisit dans le moteur de recherche. Un écran s’ouvrit. Il appuya sur « play ». Une vidéo démarra. C’étaient des images de chez lui, du couloir. La caméra erra un temps au rez-de-chaussée, fit le tour de la cuisine, s’arrêta sur deux biberons, poursuivit dans le hall et monta les marches jusqu’au premier. La maison était faiblement éclairée. Il faisait gris dehors et tous les rideaux étaient tirés. On n’y voyait pas bien. Sur le palier, une lumière allumée améliorait l’image. László sentit le désespoir l’envahir. Par la porte entrouverte de sa chambre à coucher, la caméra filma de loin son épouse endormie avec des compresses sur le front. Puis elle en sortit rapidement et, par le couloir, entra dans la chambre des enfants. László était au bord de la crise cardiaque. La caméra tourna un peu dans la pièce et s’arrêta au-dessus du petit lit des jumeaux endormis. Un énorme couteau de chasse entra dans le champ et s’approcha du visage des bébés. Sa lame effleura la joue de l’un des deux puis se retira. Fin de la vidéo. La sonnerie du téléphone retentit de nouveau.