Comme Christa n’était pas encore arrivée, il s’assit dans l’un des confortables fauteuils du hall de l’hôtel et appela Ross. Ce dernier répondit presque instantanément.
— J’étais inquiet pour toi, dit Ross. Je voulais être sûr que tu t’étais débrouillé. J’ai surveillé les flux interagences et j’ai été soulagé de ne rien trouver à ton sujet.
— Un grand merci. Comment t’as réussi ça ? Ou bien ça relève des choses dont on ne peut pas parler ? En tout cas, je te dois une fière chandelle. Une fois de plus.
— Malheureusement, cette fois, je n’ai aucun mérite. Je voulais savoir comment tu avais fait pour passer.
Ainsi, Ross n’avait pas résolu le problème des contrôles de police aux frontières. Mais alors qui ? Probablement la personne qui avait apporté son passeport à l’hôtel. Mais comment savait-elle à quel hôtel il descendrait ? Charles soupira en pensant que le nombre des questions sans réponses augmentait à mesure que le temps passait.
— Allô ?… Allô ?… Tu es encore là ? interrogea Ross d’une voix enjouée.
— Oui, pardon. Je me demandais, puisque ce n’est pas toi, qui alors ? Peut-être Interpol.
— Interpol ? Ils ne sont pas même capables de faire passer leurs propres agents… Tu t’es maqué avec Interpol ? Tu es devenu une sorte de consultant pour eux ? le taquina Ross.
Charles voulut lui répondre, mais il aperçut Christa au milieu du hall. Il resta bouche bée devant cette apparition ; la beauté et l’élégance mêmes. Il se leva dans un mouvement presque automatique. La voix de Ross résonnait encore dans le téléphone, mais Charles n’écoutait plus. La classe de Christa le troublait tellement que lorsqu’il se rendit compte qu’il avait encore le portable à l’oreille, il formula à l’intention de Ross un très court « Je te rappelle ». Et il raccrocha.
Christa s’approcha de lui et lui adressa un compliment sur sa tenue. Charles voulait le lui retourner poliment, mais resta muet car au même moment elle se mit à arranger le nœud de son écharpe.
— On y va ? dit-il, posant son bras sur le sien.
Quelques minutes plus tard, ils commandaient au New York Café toutes les fantaisies culinaires qui passaient par la tête de Charles. Il voulait admirer Christa, et les notes du piano qui s’échappaient depuis le hall allaient très bien avec tout cela.
Après avoir pris la commande et apporté les boissons – Martini sec pour elle et un verre de Glenmorangie dix-huit ans d’âge « très rare » pour lui –, Charles décida de mettre fin une bonne fois pour toutes aux soupçons que le départ de Christa de l’hôtel avait réveillés en lui. Il espérait qu’elle lui fournirait une explication plausible et qu’ils pourraient poursuivre agréablement la soirée. La surprise était la meilleure méthode pour obtenir une réponse sincère ou pour déceler sur le visage de l’autre la moindre hésitation. Alors il lança :
— Je vous ai vue par la fenêtre quand vous êtes sortie de l’hôtel !
— Vous me suivez ? demanda Christa en souriant.
Puis, voyant qu’il attendait une réponse, elle poursuivit :
— Vous voulez savoir où je suis allée ?
Charles voulut rétorquer qu’il n’était pas dans ses intentions de la contrôler. Christa posa sa main sur la sienne.
— Je sais que vous n’avez confiance en personne. Et c’est compréhensible. Mais les seuls vêtements que j’avais étaient ceux que je portais.
Charles aurait voulu se flanquer deux claques.
— Vous alliez faire des courses ?
— Vous croyez que l’hôtel peut prêter ce type de robes ? Et de souliers ?
Elle prononça ces mots en allongeant ses jambes sous la table, tout près du fauteuil de Charles. Il se sentit rougir, non seulement à l’idée qu’il avait été idiot de la soupçonner, mais aussi à la vue de ses superbes chevilles. Il se sortit d’affaire en lançant des bêtises.
— Savez-vous que jusqu’à récemment voir la cheville d’une femme était l’espoir suprême de tout homme ? Les robes étant longues jusqu’à terre, avoir le privilège d’apercevoir les chevilles d’une jeune fille pouvait entraîner un effet si dévastateur qu’il conduisait souvent directement à l’autel ?
— Maintenant que vous avez vu mes chevilles, j’espère que vous n’allez pas me demander en mariage ! répondit Christa en minaudant.
Charles se troubla de nouveau et ils éclatèrent de rire.