Chapitre 72

Arrivé dans sa chambre, Charles ouvrit son ordinateur et entra le nom des trois grandes scènes de Prague : le Théâtre national, le Théâtre des États et l’Opéra d’État de Prague. Il s’était déjà rendu dans chacun et quelques souvenirs de spectacles exceptionnels lui revinrent en tête. Ces trois lieux étaient des chefs-d’œuvre d’architecture, chargés d’histoire. Au Théâtre des États, son préféré, avaient eu lieu deux premières de Mozart, dirigées par lui-même : La Clemenza di Tito et surtout, un des opéras favoris de Charles, surnommé « l’opéra des opéras », Don Giovanni. La célèbre scène avait accueilli des géants de la musique classique. Carl Maria Von Weber et Gustav Mahler y avaient dirigé des concerts et le plus grand violoniste de l’histoire, Niccolo Paganini, y avait donné une série de récitals. Charles feuilleta le programme de la semaine. Jenůfa, de Janáček, Salomé, de Strauss, et Cosi fan tutte, de Mozart, étaient les représentations des jours à venir. Ensuite, à la fin de la semaine, étaient programmés La Bohème et Nabucco, le ballet Casse-Noisette et Rigoletto. Pas trace de La Traviata ni de Turandot.

Il consulta sa montre et vit qu’il était déjà plus de 1 heure du matin. Il s’allongea sur le lit et recourut à une technique qu’il pratiquait assidûment depuis des années. Chaque fois qu’il avait des problèmes à résoudre, il les chassait de son esprit et s’efforçait de s’endormir en pensant à quelque chose de positif, à quelque chose qui évoquait pour lui le plaisir. De cette manière il s’endormait rapidement et se réveillait parfaitement reposé. Ce soir-là, c’était son opéra préféré. Il pensa à combien de représentations de Rigoletto il avait assisté. Peut-être une cinquantaine. Partout où il allait dans le monde, il renonçait à tout pour voir une nouvelle mise en scène de l’opéra de Verdi. De la Scala de Milan aux arènes de Vérone, de Covent Garden à l’opéra Garnier, et du Metropolitan à New York à l’opéra de Sidney, il n’en manquait pas une. Sa mise en scène préférée était celle de Jean-Pierre Ponnelle avec Luciano Pavarotti, Ingvar Wixell et Edita Gruberova. Il l’écoutait presque chaque matin, quand il se réveillait chez lui, dans sa maison de Princeton. La dernière chose à laquelle il pensa fut la réaction de Victor Hugo invité à la première de Rigoletto dont le livret signé Francesco Maria Piave était une adaptation d’une œuvre de Hugo lui-même, Le roi s’amuse. On rapporte que la seule chose que dit l’auteur après cette première fut : « Comme ce serait bien si dans un roman tout le monde pouvait parler en même temps comme ici. » Il s’endormit en souriant.

 

Sur l’écran, Werner suivit les sites que Charles avait consultés et se demanda si le professeur ne débloquait pas complètement, à chercher en pleine nuit le programme de l’opéra. Contrairement à Charles, il se coucha très contrarié et ne parvint à s’endormir qu’au petit matin.